PROPP & LE FAUX HÉROS

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Vladimir Propp, célèbre folkloriste russe, s’est illustré par son examen méthodique des structures fondamentales des contes populaires de sa patrie. Dans son œuvre capitale, Morphologie du conte (1928), Propp a mis en lumière 31 fonctions narratives qu’il considérait comme le socle de tous les récits féeriques. Parmi ces fonctions émerge celle du faux héros, un individu qui, d’abord perçu comme le protagoniste, laisse peu à peu transparaître sa nature fallacieuse et indigne. Cet article se consacre à l’étude de cette figure du faux héros, en scrutant son importance dans le folklore et en démontrant comment les analyses de Propp révèlent la véritable essence de ces personnages trompeurs.

L’archétype du faux héros

Dans l’univers fécond des récits populaires, la figure de l’imposteur émerge telle une ombre tenace, usurpant insidieusement la place qui aurait dû être réservée au véritable héros. Ce héros ou cette héroïne éphémère, auréolé d’un succès illusoire ou d’une reconnaissance fallacieuse, voit son masque définitivement arraché à l’issue du conte. Cette révélation n’a pas seulement pour fonction de redresser le cours de la narration, mais aussi d’illustrer l’inéluctable triomphe de la vérité et de la vertu.
À travers une exploration méticuleuse de centaines de contes russes, Propp a mis en exergue cet archétype singulier. Il a constaté que ces faux semblants surgissent fréquemment à l’approche du dénouement, créant ainsi une tension accrue qui captive davantage le lecteur et la lectrice. En dévoilant la véritable nature de ces imposteurs, le conte ne se contente pas de rétablir l’ordre, mais réaffirme également les valeurs cardinales qui cimentent la société.

Le faux héros s’empare souvent des honneurs et des récompenses destinés au véritable héros, usurpant ainsi une gloire qu’il ne mérite point. Ce subterfuge survient généralement après que le vrai héros ait accompli des exploits prodigieux ou ait triomphé d’épreuves monumentales.

Les machinations du faux héros engendrent de nouveaux conflits et complications au sein du récit, intensifiant la tension et le suspense. Ces embûches additionnelles mettent encore plus à l’épreuve le véritable héros, qui se voit contraint de prouver sa valeur et sa résilience face à l’adversité. Cette série croissante de défis culmine en une résolution d’autant plus gratifiante et légitime.

Les stratagèmes et les embûches ourdis par le faux héros ne font que sublimer la noblesse et la grandeur d’âme du véritable héros. Face à ces épreuves, il se transcende, et sa victoire, éclatante et amplement méritée, se déploie avec magnificence et justice.
L’instant où le faux héros est dévoilé, souvent grâce à l’intervention perspicace du véritable héros ou d’un personnage sage, marque un tournant dramatique essentiel du récit. Ce dénouement entraîne la chute inexorable de l’usurpateur et la réhabilitation éclatante du véritable héros. La révélation de l’imposteur ne se borne pas à rétablir l’ordre moral ; elle illustre avec force que justice et intégrité triomphent invariablement. Cette catharsis procure à la lectrice et au lecteur une satisfaction profonde, démontrant la victoire de la vérité et de la vertu sur la duplicité et l’injustice.

Des contes

L’archétype du faux héros trouve une incarnation des plus amusantes dans la célèbre aventure de Cendrillon. Dans ce conte, les demi-sœurs de l’héroïne, animées par une convoitise si dévorante qu’elles auraient pu avaler le monde entier en un seul engloutissement, tentent d’usurper la pantoufle de cristal et, accessoirement, de mettre le grappin sur le prince. Se parant des atours de l’héroïne, elles utilisent plus de ruse et de stratagèmes que le plus vil des escrocs.

CendrillonMais leurs pieds refusent obstinément de se faufiler dans le délicat soulier de verre, leurs efforts désespérés restent aussi infructueux qu’essayer de faire danser un éléphant sur une corde raide.
Le moment décisif arrive lorsque Cendrillon, avec une humilité qui pourrait presque nous faire croire aux miracles, glisse son pied dans la pantoufle comme si elle avait été taillée sur mesure. Cette révélation éclate comme un pétard de fête foraine, dévoilant la perfidie des demi-sœurs et consacrant Cendrillon comme la véritable élue.

Le prince, enfin lucide, accueille ce dénouement avec liesse. Justice et bonheur triomphent, prouvant une fois de plus que la bonté et l’humilité sont toujours gagnantes face à l’hypocrisie et la malveillance.
La princesse GrenouilleUn autre exemple saillant se trouve dans le récit de La Princesse Grenouille. Dans cette histoire, un imposteur audacieux prétend avoir accompli les exploits héroïques du véritable héros. Aspirant à s’approprier les récompenses et la reconnaissance légitimes, le faux héros sème la discorde et la tension, enrichissant ainsi l’intrigue.
Le masque de l’imposteur commence néanmoins à se fissurer sous le poids des épreuves destinées à faire éclater la vérité. Celles-ci, souvent des tâches que seul le véritable héros peut mener à bien ou des secrets connus de lui seul, agissent comme un test ultime. Parfois, c’est la relation singulière du vrai héros avec des éléments magiques ou des vérités cachées qui finit par trahir l’imposteur.

L’usurpateur est alors découvert, sa ruse mise à nue devant tous, et le héros sincère retrouve sa place d’honneur. Ce dénouement rétablit non seulement l’ordre naturel des choses, mais il accentue aussi la leçon morale que justice et intégrité finissent toujours par triompher sur le mensonge et la tromperie.
La conclusion de cette histoire n’apporte pas seulement une résolution satisfaisante, mais elle réaffirme avec éclat que la vérité et la vertu l’emporteront toujours sur la duplicité et l’injustice, offrant ainsi à la lectrice et au lecteur une profonde satisfaction et une leçon intemporelle.

L’influence de Propp

Le concept de faux héros élaboré par Propp a transcendé le folklore pour imprégner la narration contemporaine dans divers médias. Films modernes, littérature et séries télévisées exploitent régulièrement cet archétype pour imaginer des personnages d’une grande complexité et des intrigues sophistiquées.
Dans la saga Harry Potter, Gilderoy Lockhart incarne un parfait exemple de faux héros contemporain. Séduisant et apparemment courageux, Lockhart se révèle être un imposteur, usurpant les exploits des autres. Cette découverte illustre avec acuité que le véritable héroïsme repose sur l’intégrité et le courage, loin des attraits superficiels du charisme. Quand Harry dévoile la véritable nature de Lockhart, il comprend que les actions authentiques surpassent les paroles vaines. La confrontation dans la Chambre des Secrets expose la réalité derrière le masque de Lockhart et démontre comment une quête effrénée de renommée peut pervertir un individu.

Ainsi, l’archétype du faux héros de Propp s’entend puissamment dans les récits contemporains. Il nourrit les intrigues et offre une réflexion profonde sur les véritables vertus de l’héroïsme.
Dans Frozen, le Prince Hans apparaît d’abord comme un noble chevalier, empreint de charme et de droiture. Pourtant, au fil de l’intrigue, il dévoile son véritable visage : celui d’un opportuniste rusé, avide de pouvoir. Sa déchéance met en lumière l’importance cruciale de l’authenticité et de l’altruisme. Lorsque Anna découvre les sombres machinations de Hans, la trahison qui en découle accentue le message que l’amour sincère et la véracité triomphent toujours de l’illusion et de la tromperie. La scène émouvante où Hans révèle son plan machiavélique à une Anna mourante de froid renforce puissamment l’idée que les apparences peuvent être profondément trompeuses.

Le conte : nécessairement moral

L’archétype du faux héros revêt une grande importance morale en narration. En opposant le faux héros au véritable, ces récits mettent en lumière les vertus de l’honnêteté, du courage et de l’intégrité. La chute éventuelle du faux héros sert d’avertissement, mettant en garde contre la tromperie et l’arrogance. Dans de nombreuses cultures, les contes populaires jouent un rôle éducatif essentiel, transmettant des leçons de morale aux auditeurs. L’exposition du faux héros renforce l’idée que le véritable mérite ne peut être obtenu par la ruse et que les héros authentiques seront finalement reconnus pour leurs vertus.

Prenons par exemple les récits traditionnels chinois. Dans certains contes, un personnage se fait passer pour un grand sage ou un vaillant guerrier, mais ses véritables intentions finissent toujours par être découvertes. La communauté rejette alors cet imposteur, valorisant ainsi les véritables sages et guerriers qui ont prouvé leur valeur par leurs actions désintéressées et leur loyauté. De même, dans la mythologie grecque, des figures comme Sisyphe incarnent ce faux héroïsme. Sisyphe, roi rusé et arrogant, défie les dieux par ses tromperies. Cependant, sa punition éternelle de pousser un rocher en haut d’une colline pour le voir redescendre sans cesse, démontre que la ruse et l’orgueil ne mènent qu’à une perdition éternelle.

Ces récits vont au-delà du simple divertissement. Ils transmettent aux générations futures les valeurs fondamentales de la société. Le faux héros, par son échec retentissant, démontre que les chemins de la ruse et de la malhonnêteté sont vains et infertiles. On n’en retire aucun bénéfice durable, alors pourquoi s’y engager ? En contraste, les véritables héros, ceux qui agissent avec droiture et bravoure, sont célébrés et érigés en modèles à suivre.
Cette dynamique perdure dans la littérature contemporaine. Des œuvres telles que Le Seigneur des Anneaux de Tolkien éclairent cette dualité à travers des personnages comme Saruman, dont la quête insatiable de pouvoir et les manigances finissent par causer sa perte. La comparaison avec Gandalf, un être de sagesse authentique et de courage, accentue la leçon morale selon laquelle seul le véritable héroïsme mérite respect et admiration.

Ainsi, ces histoires, en opposant les faux héros aux vrais, offrent une réflexion profonde sur les vertus cardinales. Elles rappellent que l’intégrité, le courage et l’honnêteté sont les pierres angulaires du véritable héroïsme, tandis que la tromperie et l’ambition démesurée mènent invariablement à la déchéance.

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