Les thrillers psychologiques
Les thrillers psychologiques se distinguent en pénétrant l’esprit tourmenté de leurs personnages. Ces récits révèlent des héros et des héroïnes souvent marqués par des traumatismes anciens, des phobies irrationnelles ou des obsessions qui les dévorent littéralement. L’autrice et l’auteur dissèquent en fait l’esprit de leurs personnages, étalant sur l’autel du mystère d’inavouables pensées et d’obscures motivations.
Gone Girl (2014) de David Fincher
Dans Gone Girl de l’autrice Gillian Flynn, les chapitres alternés entre Nick et Amy nous révèlent leurs véritables intentions. Pénétrer ainsi dans l’esprit humain accroche la lectrice et le lecteur qui se retrouvent souvent à sympathiser avec des personnages moralement ambigus.
David Fincher (et l’adaptation perpétrée par Gillian Flynn elle-même) est parvenu de même mais en s’appuyant davantage sur des analepses et des expressions faciales pour traduire cette complexité psychologique (une exigence du langage cinématographique qui souligne l’importance de montrer les choses plutôt que de les dire).
La frontière entre le bien et le mal se dissout souvent dans les thrillers psychologiques. Les personnages ne sont pas seulement des figures exemplaires aux valeurs inébranlables, mais des êtres imparfaits, parfois corrompus par leurs propres faiblesses. L’ambiguïté qu’ils montrent nous fait nous interroger sur nos propres notions de justice et d’éthique.
Shutter Island (2010) de Martin Scorcese d’après Dennis Lehane (une adaptation de Laeta Kalogridis)
Situé dans un hôpital psychiatrique isolé, Shutter Island confronte la réalité à la folie. Le marshal Teddy Daniels est envoyé pour enquêter sur la disparition mystérieuse d’une patiente, mais il se retrouve rapidement confronté à ses propres démons. L’atmosphère claustrophobe de l’île et les révélations progressives sur le passé de Teddy plongent le lecteur/spectateur dans une spirale de doute et de paranoïa.
La manipulation et la tromperie constituent le cœur de nombreux thrillers psychologiques. Les personnages principaux peuvent être des maîtres de la manipulation par le mensonge et la ruse pour atteindre leurs objectifs. Cette manipulation s’étend souvent à la lectrice et au lecteur eux-mêmes, qui sont menés sur des sentiers trompeurs avant de découvrir la vérité.
La Fille du train (2016) de Tate Taylor d’après Paula Hawkins (adaptation de Erin Cressida Wilson)
Dans ce roman, Paula Hawkins utilise la perspective d’une narratrice pour créer un mystère psychologiquement riche. Rachel, une femme dépressive et alcoolique, devient obsédée par un couple qu’elle observe depuis le train. Son implication dans une enquête criminelle révèle non seulement les vérités cachées sur le couple, mais aussi les failles profondes de sa propre mémoire et de sa perception. Hawkins exploite en effet le thème d’une perception déformée nous faisant douter de chaque souvenir et de chaque témoignage.
Une tension psychologique
La tension dans les thrillers psychologiques naît autant de l’action que de l’atmosphère étouffante et des angoisses des personnages. L’autrice et l’auteur transforment des situations banales en expériences oppressantes, exploitant les peurs irrationnelles et les doutes terribles de leurs personnages.
Cette tension persistante est nourrie par des descriptions précises des environnements et par les réactions pour le moins passionnées. Dans Gone Girl de Gillian Flynn, des détails quotidiens minutieusement observés peignent une toile de suspense insidieuse, transformant une disparition en un dédale de mensonges et de manipulations psychologiques. Le lecteur/spectateur, plongé dans cette atmosphère suffocante, anticipe sans cesse une catastrophe imminente, rendant la tension omniprésente et inévitable.
Les thrillers psychologiques baignent dans des profondeurs sombres et inquiétantes. L’obsession, la paranoïa, la trahison, la folie et la dissolution d’une réalité en une autre sont ses atouts gagnants. Ces thèmes se dévident à travers les personnages et leurs luttes internes. En effet, la visée de l’autrice et de l’auteur est de révéler les facettes les plus ténébreuses, les plus mornes de l’âme humaine. Dans Shutter Island, par exemple, la folie imprègne tout, chaque découverte enfonce un peu plus Teddy dans l’incertitude de sa propre santé mentale. Ces récits fascinent le lecteur/spectateur parce qu’ils évoquent des peurs profondes et des expériences communes.
Adaptations
Transposer un thriller psychologique du papier à l’écran réclame une transformation. L’essence de l’intrigue et des personnages demeure souvent intacte, mais la nature des deux médias exige des ajustements. Dans les romans, les pensées et des émotions sont dites. L’autrice et l’auteur se servent de monologues intérieurs, de points de vue variés et des passages introspectifs pour que le lecteur et la lectrice participent de l’esprit du personnage. À l’inverse, les adaptations cinématographiques ou télévisuelles doivent véhiculer cette dimension psychologique à travers les dialogues, les attitudes et des images, bien-sûr.
Les thrillers psychologiques dans un roman peuvent prendre leur temps pour développer l’intrigue et les personnages, souvent avec amples détails car l’esprit du lecteur et de la lectrice se nourrit d’eux et il est facile de s’arrêter de lire et de se livrer à quelques ruminations. En revanche, les adaptations doivent souvent condenser ces éléments pour maintenir l’attention du lecteur/spectateur et se contraindre à la durée.
Cela peut entraîner la suppression de quelques intrigues secondaires ou un rythme plus rapide des événements. Dans Shutter Island de Dennis Lehane, le roman s’attarde longuement dans les pensées de Teddy, tandis que le film de Martin Scorsese doit précipiter certaines révélations pour conserver une dynamique. L’autrice Paula Hawkins insuffle à son roman La Fille du train une atmosphère malsaine et psychologiquement éprouvante par ses descriptions étudiées et ses mots. Le septième art, quant à lui, s’emploie à restituer pareille ambiance au moyen d’artifices visuels et sonores judicieusement agencés. La transposition cinématographique de l’œuvre use ainsi d’une palette d’ombres et de lumières crépusculaires, de décors et d’angles de prises de vues savamment étudiés, tandis qu’une trame musicale singulière ponctue chaque séquence.
Cette symbiose d’éléments plastiques et sonores habilement orchestrés jette le lecteur/spectateur dans une atmosphère d’oppression et de malaise identique à celle distillée par Hawkins, recréant avec une grande fidélité le climat psychologique unique de l’ouvrage original.
Les mystères surnaturels
Les éléments surnaturels ne sont pas de simples embellissements d’arrière-plan ; ils sont constitutifs de l’intrigue. Les fantômes laissent des messages cryptiques, les vampires peuvent être responsables d’une série de morts inexpliquées : ces éléments testent la rationalité de l’enquêteur et l’oblige presque à croire que le surnaturel est réel (s’il était indécis à ce sujet du moins). Par exemple, une ancienne malédiction pourrait condamner une famille, chaque génération souffrant de morts mystérieuses qu’il devra comprendre puis briser, s’il y parvient.
À la croisée des chemins de l’investigation policière classique et des mystères ésotériques, l’enquête se transforme en une quête initiatique. L’enquêteur, souvent protagoniste de cette intrigue labyrinthique, doit affiner son savoir dans les arcanes de l’occulte et les légendes immémoriales, ces clés indispensables pour déchiffrer l’énigme surnaturelle.
Il se plonge dans l’étude des anciens grimoires, interprète des symboles cryptiques et s’efforce de dévoiler des mystères extraordinaires. Ce qui semblait au départ n’être qu’une simple quête d’indices se mue en une épopée à travers des contrées insoupçonnées. Ici, il ne s’agit point simplement de désigner un coupable, mais bien de répondre à l’impérieuse nécessité de révéler les secrets des forces paranormales qui tissent l’intrigue.
Un film tel que The Lighthouse (2019), présenté au Festival du film fantastique d’Avoriaz, illustre parfaitement ce mélange d’enquête policière et de mystères ésotériques. Ce thriller psychologique, réalisé par Robert Eggers, suit deux gardiens de phare qui sombrent lentement dans la folie en raison de leur isolement et des forces surnaturelles qui semblent hanter l’île.
Wake et Winslow se retrouvent confrontés à des visions et à des symboles étranges qui les font s’interroger sur leur propre réalité et les secrets cachés de leur environnement lugubre. La tension croissante et les révélations surnaturelles qui parsèment le film transforment ce qui aurait pu être une simple histoire de survie en une véritable épopée initiatique où les frontières entre le réel et l’occulte se brouillent inéluctablement.
Les décors des mystères surnaturels sont minutieusement conçus pour distiller une atmosphère de profonde angoisse et de ténèbres. Qu’il s’agisse de manoirs hantés aux planchers grinçants et aux recoins secrets, de cimetières nappés de brume où les ombres furtives se glissent à la lisière du regard, d’asiles abandonnés résonnant encore des souffrances d’antan, ou de villages isolés imprégnés de légendes séculaires, chaque lieu évoque la terreur.
Ces descriptions riches et immersives transportent le lecteur/spectateur, lui faisant ressentir le frisson glacial du souffle d’un spectre ou le silence oppressant d’une forêt ensorcelée, l’enveloppant toujours plus dans l’atmosphère captivante et sinistre du récit.
On ne sait plus faire la différence entre réalité et imagination. L’héroïne et le héros se trouvent confrontés à des événements inexplicables qui les poussent à interroger leur propre santé mentale, ce qui génère ainsi un conflit personnel. Les thèmes de la peur, de la culpabilité et de la paranoïa s’invitent dans le récit, transformant le voyage du personnage en une double quête : une confrontation avec ses démons intérieurs et la résolution du mystère extérieur. Cette profondeur psychologique enrichit et sublime le récit.
Nous pourrions pensé que dans le surnaturel, ou bien les choses sont entièrement bonnes, ou bien elles sont entièrement mauvaises. Mais le mystère surnaturel n’est pas un conte. Les histoires personnelles des personnages et les éléments surnaturels vont souvent de pair. Le détective peut avoir un passé hanté ou posséder une sensibilité unique au paranormal. Les personnages secondaires, tels que des alliés sceptiques qui fournissent un contrepoint rationnel, des occultistes connaisseurs qui offrent des informations cruciales, ou des suspects sinistres qui ajoutent de l’intrigue et du danger, contribuent à complexifier le récit. L’interaction de chaque personnage avec les éléments surnaturels révèle aussi leurs motivations et leurs peurs.
Un film tel que Midsommar (2019), présenté au Festival du film fantastique de Sitges, illustre à merveille cette subtile alchimie entre récits personnels et éléments surnaturels. Ce chef-d’œuvre d’Ari Aster narre les péripéties de Dani et son compagnon Christian, qui entreprennent un voyage en Suède pour assister à un festival estival singulier au sein d’une communauté isolée.
À mesure que les festivités se déroulent, ce qui semblait être une innocente célébration folklorique se transforme progressivement en un spectacle de plus en plus inquiétant et surnaturel. Les personnages sont confrontés à des rites païens et à des pratiques occultes, moyens par lesquels leurs peurs les plus intimes et les motivations qu’ils ne sauraient dire se dévoilent.
Les personnages secondaires, qu’ils soient des alliés sceptiques apportant une perspective rationnelle ou des experts en traditions ésotériques, enrichissent le récit en y ajoutant une profondeur supplémentaire. Cette interaction met en lumière la vulnérabilité et les conflits intérieurs des personnages, complexifiant ainsi l’intrigue et soulignant la tension entre le naturel et le surnaturel.
L’intrigue est riche en rebondissements. À l’instant même où le héros ou l’héroïne semble avoir percé le mystère, de nouvelles révélations ou des manifestations surnaturelles viennent réorienter le cours de l’histoire. Ces retournements de situation entretiennent le suspense et maintiennent l’attention du lecteur/spectateur sans cesse à anticiper et à réévaluer sa compréhension de l’énigme. La révélation finale se complaît habilement à lier les éléments surnaturels avec la sagacité de l’enquêteur, offrant ainsi une conclusion à la fois satisfaisante et surprenante.
Continuons avec Ari Aster et Hereditary (2018). Ce film suit la famille Graham, dont la vie est bouleversée par une série de révélations troublantes et de manifestations surnaturelles après la mort de la matriarche. Juste au moment où les personnages semblent comprendre l’origine de leurs malheurs, de nouvelles et terrifiantes vérités surgissent, redéfinissant sans cesse le mystère. Les retournements de situation maintiennent le suspense et nous forcent à reconsidérer incessamment nos suppositions. La révélation finale, qui mêle habilement les éléments surnaturels à la découverte progressive des secrets familiaux, offre une conclusion à la fois déconcertante et satisfaisante.
L’acmé se cristallise bien souvent en un affrontement terrible avec l’entité ou la puissance de l’Outre-Monde. Héros et héroïne doivent alors convier tout leur savoir, leur bravoure et les connaissances glanées lors de leur parcours héroïque pour se mesurer victorieusement à la menace. Cette confrontation à haute teneur dramatique, aux enjeux jamais aussi élevés, met à rude épreuve la volonté de l’enquêteur.
La résolution dévoile d’ordinaire la véritable essence des forces occultes, parachevant ainsi la trame narrative. Quelquefois pourtant, des arcanes demeurent tels des sphinx énigmatiques, perpétuant un malaise psychique, témoignage d’une part d’ombre que l’inexplicable conserve jalousement.
Un film tel que The Witch (2015), réalisé par Robert Eggers, exemplifie parfaitement ce sentiment de mystère persistant et de malaise psychique. Ce film plonge le lecteur/spectateur dans l’Amérique puritaine du XVIIe siècle, où une famille est exilée à la lisière d’une forêt sombre et menaçante. Confrontés à des événements inexplicables et à la suspicion de sorcellerie, les membres de la famille sombrent peu à peu dans la paranoïa et la folie. Bien que la confrontation avec les forces occultes culmine dans un affrontement ultime, la véritable nature de la menace reste en grande partie voilée. Les réponses aux mystères demeurent énigmatiques, perpétuant un sentiment de malaise profond et un témoignage de l’ombre impénétrable que l’inexplicable conserve jalousement.
Les dialogues dans un récit de mystère surnaturel ne se contentent pas de transmettre des informations ; ils sculptent la dynamique entre les personnages comme une conversation entre un personnage intuitif, sensible aux phénomènes étranges, et un autre, sceptique mais pragmatique. Cet échange devient une source de révélations, cultivant l’énigme et conservant l’attention du lecteur/spectateur.
Ces dialogues instaurent une atmosphère chargée de tension et d’anxiété. Bien qu’ils puissent clarifier certains éléments de l’intrigue, leur véritable force réside dans leur charge émotionnelle. L’émotion permet d’éviter de tout révéler explicitement, respectant ainsi l’intelligence du lecteur et de la lectrice. Les non-dits et les sous-entendus abondent, traduisant les angoisses des personnages. Chaque mot prononcé est accompagné de gestes et d’attitudes, exprimant l’indicible.
À travers ces échanges, l’enquêteur en paranormal ne se contente pas de recueillir des indices ; il découvre des motivations cachées et cela participe à l’atmosphère inquiétante. Le mystère se dévoile progressivement par les interactions entre les personnages, qui révèlent les fondements psychologiques et surnaturels de l’histoire.
Dans The Conjuring (2013), réalisé par James Wan, les dialogues entre Ed et Lorraine Warren créent la dynamique de leur relation et intensifient la tension. Lorraine, dotée d’une sensibilité aiguë aux phénomènes paranormaux, contraste avec Ed, pragmatique mais également réceptif aux manifestations surnaturelles grâce à ses nombreuses expériences. Leurs conversations ne se contentent pas de transmettre des informations essentielles sur les hantises et les entités malveillantes ; elles maintiennent une ambiance de tension et d’anxiété. Les non-dits dénoncent les angoisses sous-jacentes. Chaque réplique est accompagnée de gestes et de réactions émotionnelles et facilite une profondeur psychologique qui enrichit l’atmosphère inquiétante du film.