La Dynamique des Relations
Les relations entre les personnages constituent précisément ce qui fait d’une intrigue une intrigue. Elles déterminent la manière dont les personnages se rencontrent, coopèrent ou se heurtent. La création de personnages aux traits de personnalité bien distincts est essentielle. Par exemple, opposer un individu méthodique et rationnel à un autre impulsif et émotif peut générer des interactions des plus intrigantes.
Une telle diversité ne fait pas seulement de beaux dialogues. Les réactions des personnages face aux diverses situations en bénéficient aussi et tout cela tisse un canevas narratif riche et complexe. En concevant des personnages aux tempéraments variés, vous pouvez explorer une vaste palette de comportements et d’attitudes, c’est-à-dire conforme à la condition humaine.
Aguirre, la colère de Dieu (1972) de Werner Herzog
La trame épique retrace la quête téméraire d’un contingent de conquistadors ibériques, menés par l’intraitable Don Lope de Aguirre, incarné par l’iconique Klaus Kinski. Obnubilés par la chimère d’El Dorado, cette cité aurifère dont la renommée n’avait d’égale que l’insaisissabilité, ces audacieux explorateurs s’engagèrent dans une descente abrupte et périlleuse du fleuve Amazone, véritable colosse liquide.
Au fil de cette odyssée hasardeuse, les dissensions intestines se muèrent en un torrent de discordes, tandis que les visées personnelles et les ambitions démesurées supplantaient inexorablement les objectifs initiaux de cette expédition. Les tensions exacerbées consumaient les esprits, transformant cette quête en un délire frénétique où la soif d’or primait sur toute autre considération.
Aguirre se révèle être un personnage à la fois impulsif et visionnaire, à la lisière de la folie, consumé par une soif insatiable de pouvoir et de domination. Son tempérament despotique et imprévisible instaure une atmosphère de conflit permanent au sein de l’expédition. Don Pedro de Ursúa, en tant que premier chef de l’expédition, se distingue par sa méthodologie et sa rationalité. Il s’efforce de maintenir un semblant d’ordre et de discipline au sein du groupe. Cependant, sa méthode, rigoureuse et réfléchie, contraste fortement avec celle de Don Lope de Aguirre, provoquant à la fois des affrontements évidents et des tensions latentes.
Frère Gaspar de Carvajal, moine accompagnateur de l’expédition, incarne la foi et la morale. Les échanges entre ce serviteur de l’esprit et Aguirre, l’avatar de l’avidité débridée, dévoilent les profondes divergences entre la spiritualité élevée et la cupidité brutale.
Inez de Atienza est la fiancée de Ursúa. Elle incarne la grâce et l’espoir dans un environnement de plus en plus désespéré et chaotique. Son personnage souligne la fragilité de la civilisation face à la sauvagerie de l’Amazonie et des ambitions humaines.
La diversité des personnalités dans Aguirre, la colère de Dieu rend les dialogues presque sublimes et déterminent les réactions face aux situations variées de l’expédition. Par exemple, la confrontation entre la rationalité d’Ursúa et la folie d’Aguirre crée une tension dramatique très concrète. Ursúa, tentant de garder le contrôle, est continuellement défié par Aguirre dont les actions impulsives mettent en danger tout le groupe.
Les personnages, confrontés aux épreuves de l’expédition, révèlent leur véritable nature, exposant leurs essences profondes et les principes qui les gouvernent. Face aux dangers de l’Amazonie, Aguirre devient de plus en plus tyrannique et paranoïaque, tandis qu’Ursúa s’efforce désespérément de maintenir une certaine rationalité. Les interactions avec les indigènes, la lutte pour la survie, et les trahisons dévoilent comment des personnalités distinctes réagissent différemment aux mêmes pressions et défis.
Herzog explore la complexité de la nature humaine à travers ces diverses personnalités. La folie d’Aguirre, la foi de Carvajal, la rationalité d’Ursúa, et l’innocence d’Inez se combinent pour tisser un récit captivant. Chaque personnage apporte une perspective unique, et ensemble, ils incarnent la lutte entre civilisation et barbarie, avidité et moralité, ordre et chaos.
Des Objectifs Contradictoires
Lorsque les personnages poursuivent des objectifs divergents, la tension naît naturellement. L’un peut vouloir rétablir l’ordre, tandis que l’autre cherche à semer le chaos pour ses propres intérêts. Cette confrontation alimente les situations conflictuelles et force les personnages à des choix ardus. Les buts opposés des personnages constituent également une stratégie d’écriture pour les auteurs, car chaque action de l’un peut profondément modifier le cours de l’intrigue.
Ninotchka (1939) de Ernst Lubitsch
Quand les personnages ont des objectifs opposés, la tension s’installe d’elle-même, avons-nous dit. Prenons l’exemple du film Ninotchka d’Ernst Lubitsch. D’un côté, il y a Ninotchka, une commissaire soviétique déterminée à défendre les idéaux du communisme et dépêcher à Paris pour ramener de l’ordre dans une mission. De l’autre, le Comte Léon d’Algout, un aristocrate français, incarne la frivolité et le charme de la vie parisienne qui cherche à séduire Ninotchka et à introduire le chaos dans ses rigides convictions.
Leurs objectifs opposés garantissent le conflit : Ninotchka, inflexible et pragmatique, vise l’efficacité et l’absence de distractions dans sa mission. Elle veut protéger les intérêts de son gouvernement en récupérant les bijoux volés, symboles du capitalisme qu’elle abhorre. En revanche, Léon considère ces bijoux comme essentiels à son mode de vie luxueux et insouciant. Il ne cherche pas seulement à séduire Ninotchka, mais aussi à sauvegarder la liberté et l’insouciance qu’il apprécie tant dans la société parisienne.
La dialectique entre idéaux et émotions naissantes insuffle une dynamique captivante à l’intrigue. Les personnages se voient confrontés à des dilemmes cornéliens, oscillant entre leurs convictions idéologiques et les affres de la passion grandissante. Ninotchka se trouve déchirée par ce conflit intérieur, son stoïcisme idéologique ébranlé par les sentiments qu’éveille en elle la séduisante persuasion de Léon.
Celui-ci, bien que galvanisé par le désir de la conquérir, se bute à la détermination inébranlable de sa proie. Chaque joute verbale les propulse sur des trajectoires inattendues, générant cette dynamique qui conquiert l’esprit du lecteur/spectateur. Leur relation se mue en un ballet sinueux où Léon doit sans cesse réajuster ses stratégies pour déjouer la résistance inflexible de Ninotchka. Cette dernière, portée par le devoir, lutte contre les élans de son cœur, tiraillée entre son attachement aux préceptes idéologiques et l’attrait naissant pour cet homme qui la courtise avec ardeur. Leur affrontement latent, teinté d’attirance mutuelle inavouée, nous maintient dans un délicieux suspense.
Les objectifs contradictoires de ces personnages illustrent une stratégie narrative efficace. Chaque action de Léon pour courtiser Ninotchka bouleverse son plan initial, modifiant ainsi le cours de l’intrigue de manière significative. La tension entre leurs objectifs respectifs donne au film son dynamisme et son charme inimitable, typique du style de Lubitsch. Les scènes de confrontation entre Ninotchka et Léon deviennent des nœuds dramatiques où chaque mouvement de l’un influence directement la trajectoire de l’autre, ce qui rend chaque interaction cruciale pour le développement de l’histoire.
Un Passé Partagé
Un passé commun peut complexifier les choses. Des amis d’enfance devenus rivaux ou des amants ayant vécu un traumatisme partagé enrichissent la dynamique de leurs interactions actuelles. Cette biographie partagée peut être révélé progressivement à travers des analepses, des souvenirs ou des conversations, pour permettre au lecteur/spectateur de comprendre les motivations et les émotions des personnages. Un passé commun donne aussi une dimension tragique ou nostalgique à la relation, ce qui rend les conflits actuels encore plus émouvants et significatifs.
Petite Sœur (2020) de Stéphanie Chuat & Véronique Reymond
Un passé commun densifie l’intrigue. Prenons l’exemple de Petite Sœur. Lisa et Sven, jumeaux inséparables, portent en eux une enfance tissée de complicité et marquée par des épreuves familiales. Leur histoire partagée, imprégnée de souvenirs vifs et de traumatismes, nourrit la profondeur de leurs échanges présents.
Cette biographie commune émerge peu à peu à travers des analepses, des souvenirs réveillés au détour de conversations intimes et des instants de tendresse retrouvée. Le lecteur/spectateur découvre progressivement les motivations cachées et les émotions enfouies des personnages, leurs rêves évanouis et les cicatrices qui les tourmentent.
Le passé conjugué de Lisa et Sven confère une teinte tragique et nostalgique à leur relation, amplifiant l’intensité de leurs conflits actuels et touchant profondément le cœur du lecteur/spectateur. L’inextricable imbrication des existences de Lisa et Sven, forgée dès le creuset de l’enfance, voit son lien indéfectible perpétuellement éprouvé par l’âpre épreuve de la maladie. Les réminiscences des espoirs et des peines partagées autrefois avivent la flamme de leur attachement fraternel, mais aussi la cornélienne complexité des sacrifices à consentir.
Leur relation singulière, riche d’un édifice mémoriel commun, se voit ainsi dotée d’une profondeur émotionnelle d’une puissante intensité. Chaque échange se fait alors l’écrin d’un dialogue de non-dits et de sentiments enfouis, conférant à leur histoire une aura fascinante pour le lecteur/spectateur. Le soutien et la dépendance mutuels unissant ces deux âmes se voient inexorablement remis en jeu par le défi que représente l’épreuve de Sven. Lisa doit alors consentir à d’inéluctables renoncements, son dévouement fraternel se heurtant aux dures réalités d’un quotidien teinté de souffrance.
Ce lien indéfectible, mais éminemment précaire, captive indubitablement par la richesse des émotions qu’il soulève.
Un Conflit Externe
Un antagoniste redoutable, des circonstances accablantes ou un environnement implacable peuvent engendrer un conflit externe saisissant. Dans un tel cadre, les personnages se transcendent et se métamorphosent. Prenons un héros ou une héroïne confronté à une invasion extraterrestre : ils doivent non seulement défendre la planète mais aussi remettre en question leurs propres capacités et convictions.
Ce conflit externe est un moyen du changement qui dévoilent les véritables forces et faiblesses des personnages, les arrachant à leur confort pour les plonger dans des choix terrifiants, essentiels à leur survie et à celle des autres.
Ce tumulte impitoyable révèle la profondeur de leur courage et leurs imperfections telles les peurs, créant une symphonie dramatique où chaque décision s’entend avec l’intensité de la vie et de la mort.
L’Invasion des profanateurs de sépultures (1956) de Don Siegel
L’invasion extraterrestre dépeinte dans L’invasion des profanateurs de sépultures bouleverse les paradigmes en arrachant les personnages à leur quiétude. Face à cette menace exogène d’une effroyable altérité, ils se voient contraints d’ériger un rempart pour la survie de leur communauté, tout en examinant les tréfonds de leurs propres perceptions et croyances désormais ébranlées.
En ces heures d’un chaos abyssal où plane l’ombre du désespoir, l’inéluctable désordre révèle les strates de leur bravoure, tout en mettant à nu leurs peurs et leurs doutes. Chacun se trouve alors engagé sur le périlleux sentier d’une incontournable métamorphose, contraint de transcender ses antiques certitudes pour embrasser l’insondable inconnu.
Le monde qui les entoure se distord, la réalité même se faisant incertaine. Chaque décision, aussi infime soit-elle, est gravide de conséquences d’un poids terrible. Toute action entreprise devient le théâtre d’une lutte existentielle contre cette force alien et implacable qui menace de réduire leur univers à l’anomie (Émile Durkheim).
Dans cette plongée en des abîmes à la lisière du surnaturel, l’épreuve de l’invasion oblige chaque personnage à renaître, transfiguré par un processus cathartique de confrontation à l’Autre absolu et impénétrable. Le besoin de transformation s’impose, irrésistible. Ceux qui s’accrochaient à leurs habitudes et certitudes se voient contraints de changer pour ne pas périr. Cette douloureuse métamorphose exige des sacrifices et met à nu des vérités amères. Les relations entre les individus se reconfigurent, se soudent ou se disloquent sous la constante menace extraterrestre.
Face à l’anéantissement de leur monde, ils explorent des profondeurs incroyables de résilience et d’ingéniosité. Leurs frayeurs les plus intimes, révélées par la brutalité de la survie, deviennent des moyens de la transformation. Ils découvrent en eux des puissances, des facettes de leur être qu’ils n’auraient jamais cru possibles.
Le Conflit Interne
Les luttes internes, comme les dilemmes moraux ou les peurs profondes, ajoutent une dimension psychologique à l’histoire. Un héros hésitant entre le devoir et le cœur offre une profondeur narrative saisissante. Ce type de conflit explore les facettes les plus intimes des personnages, révélant leurs contradictions et leurs vulnérabilités, en un mot leurs imperfections. En pénétrant dans leur psyché, vous pouvez créer des arcs dramatiques où les personnages affronteront leurs démons intérieurs, ce qui peut être aussi dramatique et engageant que les conflits externes.
Drunk (2020) de Thomas Vinterberg
L’odyssée éthylique dans laquelle nous plonge Thomas Vinterberg, à travers son œuvre Drunk, nous emmène loin des sentiers battus pour s’immiscer dans les méandres les plus intimes mais toutefois universels de la psyché humaine. Les affres et les tourments lancinants qui rongent l’âme de ses personnages se muent en la trame primordiale de cette épopée tragique.
Martin n’est que l’écorce désabusée d’un être déchiré, englué dans les marécages d’une existence léthargique. La flamme qui l’animait jadis à transmettre le savoir s’est éteinte, terrassée par l’apathie. Ses liens familiaux ne sont que lambeaux de l’habitude et de sa compagne nonchalante. Mais c’est par une prémisse audacieuse que s’amorce ce récit pour le moins singulier. Martin, environné de trois autres compagnons d’infortune évoluant également dans les cénacles de l’éducation, décide d’explorer une théorie pour le moins hétérodoxe.
Émise par l’éminent psychiatre norvégien Finn Skårderud, cette hypothèse défend que l’être humain naîtrait avec un déficit d’alcool de 0,05% dans les veines. Avides d’un renouveau existentiel, ces âmes égarées se lancent alors dans une expérimentation où ils maintiennent ce taux tout au long des jours, espérant de la sorte ré-insuffler un souffle vital à leurs vies ternies par la grisaille.
Ce choix déclenche une cascade de métamorphoses et de révélations personnelles. Martin, autrefois engourdi par ses peurs et ses incertitudes, se redécouvre une étincelle de vitalité et un renouveau de confiance en lui-même. Ses cours, autrefois mornes, s’animent de passion, et les liens distendus d’avec sa famille commencent à se resserrer. Cependant, cette renaissance demeure précaire, enveloppée d’illusions trompeuses.
Les dilemmes moraux de Martin se manifestent avec une clarté percutante. Il oscille entre la séduction d’une évasion euphorique et la conscience croissante des effets pernicieux de cette dépendance naissante. Ce conflit intérieur, entre l’appel du devoir et les désirs, entre la responsabilité et la quête de liberté, donne à l’histoire une profondeur psychologique marquée. On découvre un homme écartelé, vulnérable, aux prises avec ses propres contradictions et imperfections.
Les autres personnages, chacun en proie à ses propres tourments et aspirations variées, enrichissent cette fresque intime. Tommy se débat contre une solitude écrasante, tandis que Nikolaj s’efforce désespérément de raviver la flamme vacillante de sa vie familiale. Leur amitié, éprouvée par cette expérience, dévoile leurs forces et leurs fragilités, peignant une toile complexe de relations humaines.
En sondant ainsi la psyché de ses personnages, Drunk compose des arcs dramatiques fouillés, où les personnages confrontent leurs ténèbres intérieures. Les instants de triomphe, souvent suivis de désillusions cruelles, transforment leur parcours émotionnel en une odyssée aussi amère que les défis extérieurs qu’ils affrontent.
Sous la direction de Vinterberg, rehaussée par l’interprétation saisissante de Mikkelsen, la dualité des personnages se livre avec intensité. Les scènes de liesse, capturées avec une énergie intense, authentique mais parfois chaotique et souvent spontanée, imprévisible, se heurtent aux instants de solitude et de retour sur soi, où chaque personnage se confronte à ses propres démons. Cette alternance entre l’exaltation euphorique et l’introspection mélancolique infuse au film une profondeur narrative exceptionnelle.
Le Conflit Relationnel
Les personnages se heurtent constamment, que ce soit par des quiproquos, des trahisons amères ou des divergences de valeurs. Ces tensions captivent le lecteur/spectateur. Les conflits qui découlent de ces interactions évoluent et se résorbent en dévoilant la maturité des personnages. Les affrontements relationnels, souvent les plus chargés d’émotion, plongent au cœur de la nature humaine et des liens qui unissent les individus. Ils ouvrent la voie à des moments de réconciliation, de pardon profond ou de ruptures irréversibles, chaque choix influençant durablement le parcours narratif.
In the bedroom (2001) de Todd Field
Ce drame examine les conséquences dévastatrices d’une tragédie familiale. Le film met en scène un couple dont le fils unique est assassiné. Une spirale de chagrin, de colère et de désir de vengeance s’empare alors des personnages. Les situations conflictuelles et leurs tensions inhérentes naissent des interactions entre les personnages et cette dialectique entre eux révèlent leurs véritables natures et les forcent à confronter leurs valeurs et leurs émotions.
Le film illustre les quiproquos et les trahisons amères. Les conflits découlent des interactions émotionnellement chargées entre les personnages. Les tensions captivent le lecteur/spectateur en en faisant un témoin de la maturité et des transformations des personnages. Le récit est ancré dans la nature humaine et les relations interpersonnelles, aboutissant à des moments de réconciliation, de pardon ou de rupture.
INT. LA CUISINE FAMILIALE - JOUR Ruth est assise à la table de la cuisine. Ses yeux sont rougies par les larmes. Matt entre. Son expression est sombre. Il s'assied en face d'elle. Le silence entre eux est lourd et pesant. RUTH (essuyant une larme) Il faut qu'on parle, Matt. MATT De quoi, Ruth ? De notre fils ? De sa mort ? De ce qu'on va faire maintenant ? RUTH Oui, Matt. De tout çà. On ne peut pas continuer comme çà, à faire semblant que tout va bien. MATT (levant les yeux, le visage durci par la douleur) Tu crois que je fais semblant ? Chaque jour, je pense à lui. Chaque jour, je me demande ce que j'aurais pu faire autrement. RUTH (se penchant en avant, la voix tremblante) Alors pourquoi on ne parle jamais de lui ? Pourquoi tu ne partages pas ta douleur avec moi ? MATT (frappant la table de sa main, la voix brisée) Parce que parler ne ramènera pas Franck, Ruth. Rien ne le ramènera. Le silence s'installe dans le chagrin et la colère. Ruth prend une profonde inspiration tentant de calmer ses nerfs. RUTH Je sais, Matt. Mais on doit apprendre à vivre avec. Ensemble. Sinon, ça nous détruira. Matt regarde Ruth, ses yeux adoucis par l'émotion. Il tend la main et prend la sienne. MATT Peut-être que tu as raison. Peut- être qu'on peut essayer de s'en sortir.. Ensemble.
Cet extrait souligne la profondeur de la douleur et la nécessité de communication entre Ruth et Matt. L’utilisation de phrases telles que les yeux rougies par les larmes et le silence entre eux est lourd et pesant mettent en scène une atmosphère de tristesse et de tension.
Les questions de Matt (De quoi, Ruth ? De notre fils ? De sa mort ?) témoignent de la confusion et du désespoir de Matt, tandis que sa déclaration (Chaque jour, je pense à lui) met en évidence son tourment intérieur. Les répétitions de parler et ensemble accentuent le besoin de dialogue et d’une entraide mutuelle bien que non dite.
Les visuels de la scène renforcent la situation conflictuelle qui participe de l’émotion générée. La cuisine familiale comme cadre suggère habituellement un lieu de chaleur et de communauté, ici, elle est désormais marqué par le deuil. Ruth est décrite assise à la table de la cuisine, une attitude qui traduit sa détresse et sa vulnérabilité. Matt entre avec une expression sombre et s’assied en face d’elle.
Un objet aussi simple qu’une table marque une distance émotionnelle malgré la proximité physique (Welles dans Citizen Kane utilisa cette image). Son geste de frapper la table de sa main exprime une frustration intense et une impuissance face aux circonstances de la mort de leur fils. Le silence qui suit est rempli de chagrin et de colère et nous rive davantage à la scène.
La scène s’explique par la mention de notre fils et sa mort. Nous sommes dans la tragédie de la perte de leur enfant, Frank. La métaphore de faire semblant que tout va bien illustre la façade de normalité que Ruth et Matt tentent de maintenir face à l’acceptation du crime par la communauté. Ruth demande à apprendre à vivre avec leur douleur ensemble. L’intention des auteurs n’est pas de suggérer que le drame conduit à la désunion mais plutôt à une possibilité de guérison à travers l’unité.
Le geste de Matt, prenant la main de Ruth, symbolise un premier pas vers cette réconciliation et l’espoir. Cette action finale, accompagnée de ses yeux adoucis par l’émotion signifie un changement potentiel vers une compréhension et un soutien mutuels.
La Croissance des Personnages
Quelle que soit l’évolution des personnages, elle doit toujours être crédible et bien construite.
Chaque personnage et en particulier le personnage principal aura un arc dramatique où il apprend, change ou évolue. Un personnage qui passe de l’égoïsme à l’altruisme ou un autre qui tombe dans la corruption montre une évolution tangible, c’est-à-dire qu’elle se montre à travers leurs actions. Ces arcs qui soulignent la transformation donnent du sens à l’histoire et la justifie aux yeux du lecteur/spectateur qui éprouvent les expériences vécues par les personnages, du moins si ceux-ci parviennent à susciter son intérêt car une évolution bien construite dévoile toute l’humanité des personnages et les rend bien plus réels et par là, attachants.
Les épreuves et tribulations sont les moyens de l’évolution des personnages. Ils se confrontent à des obstacles qui testent leurs convictions et leur détermination. Tout comme dans la vie réelle, l’adversité peut nous submerger, et nous régressons la plupart du temps, soit nous résistons et nous en devenons renforcés.
Les êtres de fiction ne diffèrent pas. Leurs épreuves, qu’elles soient physiques, émotionnelles ou spirituelles, surgissent selon la personnalité définie dans leur biographie. Les moments de crise révèlent la véritable essence des personnages et ils ont à faire des choix décisifs qui déterminent non seulement leur avenir mais aussi celui de leur entourage.
Les moments d’illumination où un personnage perce le mystère d’une vérité le concernant ou touchant à son univers représentent des nœuds dramatiques d’une puissance singulière. Le retour sur soi, succédant à l’épreuve imposée ou aux efforts consentis, consolide ce changement et lui confère une authenticité.
Ces prises de conscience font que les personnages reconsidèrent leurs actes antérieurs et amendent en conséquence leur conduite à venir. Elles insufflent au récit une dimension d’ordre tant émotionnel qu’intellectuel et témoignent ainsi que les personnages et en particulier le personnage principal ne demeurent point figés, mais évoluent de manière nécessaire.