Scénariste, connais-tu ce vers de Mallarmé : Mon doute, amas de nuit ancienne, s’achève en maint rameau subtil… ? Et si… nous valorisions le doute comme élément essentiel d’un processus créatif ? Le doute stimule la curiosité et par là innove et découvre. Bon sang, quelle angoisse de se remettre constamment en question. Pourtant, je le sais, se complaire dans ses certitudes, c’est glacer son imagination.
L’uniformité n’est pas mon propos : l’habit monastique peut mener au sublime. Ce que je crains, c’est la médiocrité d’une approche qui refuse l’esprit critique. Ne tombons pas dans les ornières des sentiers battus : osons toujours une écriture de possibilités. Scénariste, ne dissipe pas ton doute trop vite : tu sais des choses, qu’elles ne deviennent pas certitudes.
On considère trop souvent le doute comme une eau noire, impénétrable, un étrange writer’s block ; c’est raisonner de manière erronée : au contraire, il est un espace d’éclosion duquel l’imagination devient imprévisible, ose les métaphores, donne du sens improbable et des chemins insoupçonnés.
Maintenant, nos personnages.
Marcello (Dogman (2018) de Matteo Garrone) est un être plutôt pacifique. Seulement voilà : un mauvais être s’empare de lui. Quel est ce doute enkysté dans le personnage ? Marcello doute non seulement de lui-même, mais aussi de la justice, de la logique du monde, de la réalité de la bonté. En un mot, il doute de sa place : en a-t-il seulement une parmi les autres ? Est-il vraiment un homme s’il ne parvient pas à se faire respecter ? Est-il complice s’il se tait ou victime s’il obéit ?
Le doute est un questionnement. Ce n’est pas de savoir si on doit faire quelque chose ou pas. Trop facile. Le doute est quelque chose qui s’empare de notre corps et ne se raisonne pas. Dit autrement, il détruit avant de créer. Certaines traditions parlent d’ailleurs de tuer le vieil homme afin de renaître, mais spirituellement. Immoler le corps sur l’ablution du doute, c’est se remettre en cause, interroger ces réalités que nous croyons, à tort ou à raison, car le discernement est important, avoir fondé ce que nous avons été, ce que nous sommes et probablement ce que nous deviendrons.
Mais on peut s’y brûler, être consumé par la désillusion et le désespoir. Face à nous, le néant. L’absence de sens, si on veut. Mais il nous la faut, cette table rase de nos fausses certitudes. Car, sans cette œuvre de destruction, sans ce percement, point de nouvelles voies de devenir. Enfin, je me sens capable de nouvelles formes, que je ne souhaite point figées, d’expression. Enfin, mes pensées et mon imagination s’innervent de nouveaux vecteurs d’expression poétique.
Face à la brute Simoncino, Marcello se soumet. C’est une position archétypale : la soumission a toujours été un effacement de soi. La tranquillité n’est pas un lac tranquille, elle est un acide. Marcello est rongé par sa peur de perdre la reconnaissance d’une apparente communauté et son humiliation devant le traitement qu’elle lui inflige. Voilà le doute devenu souffrance. Est-il un homme ? Oui ? Pour se soulager, il lui suffirait de dire non, ne le peut-il point encore ?
Dans Blancanieves (2012) de Pablo Berger, le doute est certainement plus diffus, mais sa présence est certaine. Carmen doute d’elle-même, elle ignore ses racines, ce qui fait d’elle un être distancé du monde et son futur lui paraît très vide. Tout être a besoin d’un récit pour s’expliquer, pour se justifier, et ce qui définit Carmen lorsque nous la rencontrons, c’est précisément cette absence. Quelque chose voile Carmen à elle-même et nous serons les témoins de la reconquête de son être.
Mais que le passé soit rendu à Carmen ne résout rien. Au contraire, elle plonge davantage dans l’angoisse. Un père brisé, une mère absente et une belle-mère dont il vaut mieux ne pas s’approcher. La liberté conquise par Carmen se transforme en destin, non en destinée. La différence est que nous maîtrisons notre destinée alors que le destin semble s’imposer de l’extérieur.
Ce que je constate avec Dogman ou Blancanieves, c’est que le doute n’est jamais résolu. À toi de voir, scénariste, si ce vecteur poétique te convient.