PERSONNAGE : INFLUENCE CHARACTER

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La théorie narrative Dramatica propose un personnage un peu particulier : l’Influence Character. Posons d’abord qu’un personnage est une perspective, un point de vue, un certain regard sur le monde et sur soi-même, une subjectivité qui conduit à des relations toujours intéressantes lorsque ces subjectivités se confrontent les unes aux autres.

Cette confrontation constitue bien souvent l’aspect dramatique d’une relation avec les conflits qu’elle suppose et fonde. Le personnage principal est accompagné d’un Influence Character. Et ce ne sont pas des personnages en conflit mais des perspectives qui s’opposent.

Dramatica

Dramatica est une proposition parmi d’autres. A Scenar Mag, nous avons abordé Robert McKee, Blake Snyder, Joseph Campbell et bien d’autres. Dramatica se propose seulement d’assurer la cohérence de votre récit et introduit un concept unique : l’Influence Character.

L’Influence Character n’est pas le personnage principal sous un autre nom. Tout comme l’idée fausse selon laquelle le protagoniste est bon par définition et l’antagoniste un méchant de l’histoire. Dans personnage principal, personnage fait référence à une personne tridimensionnelle pleinement réalisée. Cette personne fictive a un point de vue, une personnalité et en aucun cas ne sera un stéréotype.

Influence Character est aussi un personnage complexe qui possède sa propre ligne dramatique, c’est-à-dire qu’il évolue au cours du récit. Son point de vue change tout comme celui du personnage principal. C’est ce mouvement commun au personnage principal et à son Influence Character qui fascine tant lecteurs et lectrices.

Le point de vue du Tu – comme dans « Tu as une drôle de façon de voir les choses, mon vieux » ou « C’est toi qui t’es mis dans cette position, pas moi » ou « Tu sais, tu es un vrai emmerdeur » – est une perspective décrite dans la ligne dramatique de l’Influence Character mais vue du point de vue du personnage principal. C’est le Je (du personnage principal) qui juge le Tu.

Cette relation est essentielle dans le récit. Elle est même le fondement du Storymind.

Le Storymind

Le concept de Storymind de Dramatica stipule que toute histoire complète est une analogie avec un seul esprit humain essayant de résoudre un problème. Des choses comme le personnage, l’intrigue, le thème et le genre sont des choses que nous avons inventées au fil des ans pour nous aider à communiquer ce qu’il se passe dans notre esprit.

Les différentes lignes dramatiques de la forme narrative telle que la conçoit Dramatica prennent la perspective de cet esprit (tentant de solutionner un problème), et non d’un personnage en particulier. Ces relations entre lignes dramatiques sont importantes lorsqu’il s’agit de construire un récit, car il faut relier ces perspectives au problème initial (une injustice, une transgression…) rencontrée par le Storymind.

Le point de vue de l’Influence Character que décrit sa propre ligne dramatique (dénommée Influence Character Throughline) existe dans un récit pour remettre en question les justifications (qui révèlent la manière d’être du personnage principal souvent suite à un trauma qu’il essaie de dissimuler autant envers lui-même qu’envers les autres) du personnage principal, et non comme un moyen pour l’Influence Character de résoudre les problèmes à la place du personnage principal.

Pour rendre les choses intelligibles, Dramatica a commencé par déterminer quatre classes ou domaines et à attribuer à chaque ligne dramatique un domaine spécifique. L’Influence Character n’y échappe pas. Ben Kenobi par exemple dans Star Wars est l’Influence Character du jeune Luke et le domaine qui lui correspond est Mind, c’est-à-dire que sa position est solidement implantée, figée (Dramatica désigne aussi cette classe comme Fixed Attitude car il s’agit effectivement d’accepter les choses comme un donné et ne pas chercher à les réévaluer comme une opinion par exemple).
Néanmoins, envisagez toujours (et Dramatica insiste sur ce point) les deux aspects d’une notion : un préjugé, un penchant ou une tendance ne sont pas toujours négatifs ou positifs. Considérez les circonstances, la situation historique dans laquelle un préjugé est né, par exemple.

Une situation

Une autre classe à laquelle peut appartenir un Influence Character est Universe. Une première approche serait de considérer Universe comme le monde de l’histoire. C’est effectivement une situation mais qui serait vue comme un état de choses. Universe (ou Situation) décrit autant un environnement dans lequel les personnages sont plongés (par exemple l’ambiance d’un manoir gothique) qu’une situation difficile dans laquelle l’Influence Character serait englué (si c’est l’Influence Character qui est concerné par cette classe).

« C’est toi qui t’es mis dans cette position, pas moi » décrit la situation sans issue qui influencera Rick dans Casablanca. S’il n’avait pas compris et vu comment Ilsa (Influence Character de Rick) s’est sacrifiée par amour, Rick n’aurait jamais élaboré un plan pour aider Lazlo et Ilsa à échapper aux nazis. Il ne se serait jamais mis lui-même dans cette situation sans issue.

Comprenez bien le sens du verbe influencer : il s’agit d’agir sur les dispositions psychiques, sur la volonté, sur le comportement, sur les opinions morales, intellectuelles ou artistiques d’une personne. L’influence porte sur la manière d’être d’un personnage.
Ces Influence Characters ne sont pas seulement des personnages – ce sont des points de vue destinés à remettre en question un point de vue personnel (un point de vue du Je).

Le point de vue du Je (le personnage principal) est important pour évaluer la position du point de vue du Tu (l’Influence Character), tout comme le point de vue du Tu permet de déterminer la place du Je dans un récit complet.
Et le point de vue du personnage principal ne dépend pas de celui qui change le plus ou de la perspective qui se développe le plus. La maturité personnelle peut se déplacer vers un autre point de vue, ou s’ancrer plus profondément dans la perspective actuelle : soit c’est un changement radical de personnalité, soit un renforcement ou une persistance d’une perspective qui pouvait être entachée de quelques doutes au début du récit.

Qui influence qui ?

Prenons l’exemple de Braveheart et de ses deux personnages centraux qui s’opposent sur l’avenir de leur pays. Quelle affirmation décrit le mieux la perspective de l’Influence Character : « Vous ne pouvez pas vous frayer un chemin dans le cœur de ces hommes » ou « Vous ne pouvez pas littéralement tuer tous ceux qui ne sont pas d’accord avec vous » ?

Sommes-nous témoins de la tentative de Robert Bruce d’influencer William Wallace ? Ou le film dépeint-il l’impact de William Wallace sur Robert Bruce ? La relation semble équilibrée entre eux. Considérons maintenant Braveheart non pas comme un récit historique de l’Écosse (on pardonne aisément à la fiction ses inexactitudes et ses partialités), mais plutôt comme le récit d’un seul esprit humain qui tente de résoudre un problème.

Quelle perspective maintenons-nous au moment crucial de la résolution – le moment où les perspectives internes et externes (dans les exemples cités ci-dessus Universe est externe et Mind est interne et forcément, il y aura un moment où ces notions s’opposeront) se heurtent ?

Auteurs et autrices devraient se poser la question de savoir auxquels de ces esprits lectrices et lecteurs s’identifient ? William Wallace ou Robert Bruce ? Sommes-nous en mesure de ressentir Robert Bruce et toutes ses considérations sur la relation dysfonctionnelle et les manipulations de son père ? Sommes-nous en mesure de vivre ses tourments et de ressentir sa lutte pour rectifier ses arguments ou motivations (Dramatica rassemble sous le vocable de justifications les choix, attitudes, décisions… d’un personnage dans une situation donnée) face à tout ce qu’il se passe autour de lui ?

Ou sommes-nous avec William Wallace et ses réflexions sur le fait que ses actions violentes valent ou non la peine, tant sur le plan personnel que pour ceux qui l’entourent ?

Si nous cherchions à déterminer à qui appartient l’histoire, ou le Storymind, de Braveheart, celui qui éprouve l’expérience du plus grand changement de perspective, c’est Robert Bruce qui l’emporterait. Même s’il essaie de s’y opposer, Robert se rallie au point de vue de William.
Mais si nous cherchons à savoir quelle perspective est mise au défi de reconsidérer les choses au cours du moment culminant où les préoccupations subjectives du personnage principal et de l’Influence Character se confondent avec les préoccupations objectives de la ligne dramatique de l’histoire (Overall Story Throughline), la réponse est facile. Robert Bruce est décidément l’Influence Character.

Juste pour tenter de clarifier : les personnages perçoivent ce qu’il se passe dans l’histoire et l’interprètent. Mais les événements vécus nous sont racontés selon le regard que ces personnages portent sur ces événements. Prenons un exemple : Une jeune femme est arrêtée pour vol dans une épicerie. C’est un fait objectif. Si ce fait nous est conté par l’épicier, nous pourrions comprendre ses difficultés d’un commerce de centre-ville, un commerce dans lequel il s’est totalement investi.

Maintenant, si l’événement nous est conté par le regard de la jeune femme, nous pourrions éprouver une sympathie envers elle lorsque nous comprendrons qu’elle élève seule son bébé et ce qu’elle volait dans l’épicerie, c’était pour l’enfant. La sympathie peut vite se transformer en compassion et empathie.
Et si nous voulions étendre cette relation entre l’épicier et la jeune femme, alors cet épicier serait changé d’ici la fin du récit s’il était le personnage principal par l’histoire de cette jeune femme qui serait alors Influence Character.

La forme du changement

Le personnage principal peut connaître d’ici la fin de l’histoire soit un renforcement de ce que Dramatica nomme justifications, c’est-à-dire les raisons ou motifs qu’un personnage donne pour ses agissements (dans ce cas, un personnage pourrait asseoir davantage encore une croyance par exemple alors qu’il lui arrivait d’éprouver quelques doutes) ou bien un personnage pourrait se résoudre à adopter les justifications d’autrui, c’est-à-dire changer radicalement de perspective. Dorénavant, il ne pense plus comme il l’avait toujours fait.

L’exécution de William Wallace n’est pas quelque chose qui se passe hors écran. Ce n’est pas quelque chose que l’on entend dire ; c’est quelque chose que le sujet Je (c’est-à-dire le personnage principal) vit personnellement.

Cette notion de sujet (Je) doit jouer un rôle important dans le processus ou phénomène qu’on nomme identification avec un personnage ; c’est un peu comme vivre une vie par procuration. Vivre, c’est faire l’expérience d’une vie.

La résolution de William Wallace de rester inébranlable (une attitude que Dramatica réduit à Remain Steadfast et qui est donc une possibilité pour les auteurs et autrices) dans ses justifications et de crier jusqu’à la dernière once de sa fibre « Liberté » n’est pas quelque chose dont on entend parler – c’est quelque chose que nous voyons, dont nous sommes témoins et dont nous faisons l’expérience de première main.

Par contre, l’évolution du regard de Robert Bruce et la conclusion à laquelle elle aboutit n’est pas illustrée par le récit. Nous le voyons faire le dernier pas et convaincre les nobles qui l’entourent de le rejoindre. Mais le véritable changement de perspective qu’il lui a fallu pour endosser sa responsabilité, saisir son épée et conduire son armée au bord du champ de bataille – cette résolution s’est faite en interne, dans le personnage, et nous ne pouvons que la supposer ou bien la déduire de la perspective du Tu qui désigne Robert Bruce comme Influence Character.

Ces décisions chez les personnages se manifestent clairement au moment du climax (c’est-à-dire ce moment où les subjectivités des personnages ou préoccupations (Concerns dans le vocabulaire de Dramatica) se confondent avec l’objectif du récit) et ce climax porte le message de l’auteur et de l’autrice.

Ce moment de la résolution des lignes dramatiques respectives du personnage principal et de son Influence Character (moment structurel essentiel de la forme d’un récit surtout de fiction) explique pourquoi un tel récit existe : ce moment est chargé de sens, de significations, il est le message de l’auteur.

Ainsi, dans l’expression Je t’aime passionnément, le Je serait le personnage principal et le Te, l’Influence Character. En revanche, dans l’expression Liberté oblige !, vous thématisez votre discours et vous pourriez l’illustrer par un objectif choisi qui deviendrait alors la raison d’être de la ligne dramatique globale que Dramatica distingue comme Overall Story Throughline.

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