SCÉNARIO : ÉCRIRE L’ÉMOTION

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Écrire est une entreprise solitaire. A un point tel, d’ailleurs, que cela peut sembler étrange aux regards d’autrui. Écrire est une nécessité.

Tout récit pour être intelligible, quelle que soit son ambition, devrait posséder une structure. Beaucoup a été écrit sur la structure. Il est important de découvrir par soi les différentes approches et c’est ainsi que fonctionne Scenar Mag en vous apportant le plus d’informations possibles sur les différentes façons d’écrire.

Écrire l’émotion

Une belle écriture est celle qui touche émotionnellement le plus grand nombre. Quand on a quelque chose à dire, c’est un sujet qui parle à un sujet. Deux subjectivités s’affrontent dans un débat, deux points de vue biaisés par son expérience personnelle du monde mais qui se rejoignent sur le plan des émotions.

Que vous soyez sensible à cette personne face à vous ou que son discours éveille en vous des émotions dont vous ne comprenez pas d’où elles viennent, il se produit une alchimie émotionnelle parce que nos passions si trompeuses nous dissolvent à notre insu, parfois l’espace infime d’un instant, dans cet autre.

Écrire, c’est communiquer de l’émotion. Un scénario, c’est comme un contrat passé ente un lecteur/spectateur et un auteur. Le lecteur/spectateur veut être émotionnellement touché. C’est ce qu’il ou elle attendent d’un scénario.

Quels que soient le lieu, l’époque ou la culture, l’esprit humain n’a pas tellement changé dans ce processus. Bien sûr, les thèmes peuvent avoir évolué ou régressé mais l’instrument qui atteint le lecteur au cœur a été, est et sera l’émotion.

Une volonté de comprendre

L’esprit humain a cette particularité de vouloir donner de la signification au monde, de comprendre pourquoi lui-même et le monde existent. Ce n’est pas seulement dans un but intellectuel ou spirituel, comprendre l’est certainement devenu mais avant tout, apporter de la signification aux choses qui nous entourent lorsqu’elles sont extérieures à nous, ou lorsque ces choses se produisent en nous, c’est se sentir en sécurité.

Les récits sont particulièrement aptes à nous donner cette signification. La vie est si ambiguë, si chaotique, on ne sait jamais par quel bout la prendre. Alors auteurs et autrices prennent un fragment de vie et insufflent en lui une part de signification et cela nous édifie et nous rassure.

Pour communiquer ainsi, deux esprits ont besoin d’être organisés. C’est pourquoi structurer un récit est d’une importance capitale parce que l’instrument qui communique l’information par l’émotion s’intègre dans un système, car il ne fonctionne pas de lui-même, mais dans ses rapports aux autres éléments déjà présents dans l’esprit.

Certaines objections craignent que la structure nuisent à la créativité. Il est dommage si ce n’est dommageable de la penser ainsi. Une écriture efficace est une écriture structurée. Il est d’ailleurs fort probable que la structure s’impose d’elle-même même lorsqu’on n’en a pas conscience.

Organiser les éléments

Il y a d’abord l’idée. Elle se compose de trois choses :

Un héros qui attire notre sympathie ou notre compassion d’une manière ou d’une autre même si ses actions peuvent être critiquables et d’ailleurs, ce qui le caractérise en tant que héros ou héroïne (le mot héros tire son nom de la déesse Héra), c’est que c’est un personnage qui agit, quelles que soient ses actions ou ses attitudes. Et il doit agir pendant 120 pages.

L’auteur doit chercher à créer une empathie afin que ce qu’il arrive au héros soit reconnu par les lecteurs et les lectrices qui seront amenés par les détails donnés sur ce personnage à comprendre ce qu’il ressent parce qu’eux-mêmes, peut-être de manière très lointaine, ont connu une expérience similaire (comme la mort d’un proche par exemple). Émotionnellement, il y a partage. Il y a une implication.

La seconde chose qui devrait définir ce héros, c’est que dans ce récit que vous vous apprêtez à faire d’un fragment de sa vie, les enjeux pour lui (ou pour elle) n’ont jamais été aussi élevées. Faust par exemple risque son âme, mais cette âme est personnifiée, rendue concrète par la seule présence de Faust. En effet, l’enjeu doit être physique.

Un scénario se doit d’ajouter des métaphores visuelles pour traduire les états émotionnels ressentis par le personnage. Une métaphore visuelle est une représentation créative d’un concept, d’une personne, d’un lieu, d’une chose ou d’une idée à travers une image qui utilise l’analogie ou l’association.
Une autre définition de la métaphore visuelle pourrait être lorsque le quotidien est transformé en quelque chose d’extraordinaire et d’attrayant.

Nous avons tous des systèmes de croyance différents et percevons le monde d’une certaine manière. C’est pourquoi nous pouvons donner un sens aux métaphores visuelles. Avec l’aide d’images métaphoriques, vous pouvez créer une nouvelle imagerie qui fera éclater la réalité de votre audience et donnera du sens au quotidien. Dans un scenario, ce quotidien consiste à traduire ce qui est intérieur pour l’instiller dans l’esprit du lecteur/spectateur.

Cette expression d’une émotion se lit à travers le comportement du personnage, les choix qu’il fait, ses attitudes lorsqu’il est soumis à une pression inhabituelle, les actions qu’il entreprend dans la visée de son objectif… Le comportement ne révèle pas la personnalité mais un état d’esprit spécifique dans une situation donnée, comme conséquences de ce qu’il s’est passé.

C’est pourquoi la causalité peut être importante, qu’on l’admette ou pas, parce qu’elle permet de remonter les différentes causes qui ont eu pour effet un état émotionnel particulier. Elle l’explique du moins et partant, le rendent crédible.

L’unité de l’intrigue et du personnage

Métaphoriquement, l’intrigue (c’est-à-dire les tribulations et pérégrinations d’un personnage arc-bouté sur la poursuite d’un objectif) et ce personnage ne font qu’un. On pourrait tout aussi bien se concentrer sur la ligne dramatique du personnage principal, sur son évolution qui sera aussi l’intrigue. D’ailleurs, la toute première question dramatique que se pose lecteurs et lectrices est de savoir s’il réussira ou non cette réalisation désirée.

Rien ne l’oblige d’ailleurs à réussir. S’il échoue dans son objectif, sur un plan personnel, il peut être tout à fait comblé. Mais pourquoi la métaphore est-elle si importante dans un scénario ? Parce que dans ce cas, c’est à l’image de nous dire, à nous, lecteurs/spectateurs d’un média visuel, ce qu’il se passe à l’intérieur des personnages afin que nous puissions le partager, ou dit autrement, que nous vivions par personnage interposé des expériences que notre quotidien ou nos habitudes de vie ne nous autorisent pas.

Un adversaire puissant

C’est la troisième chose qui définit une idée de scénario. Cette idée contient une entité (même si elle est en germe) qui s’opposera au désir du héros. Ce sera sa fonction dans le récit. Mais c’est une fonction car sur le plan humain (même la nature peut être personnifiée), sa personnalité méritera autant d’attention que pour le personnage principal.

Il est important aussi que la puissance de cet antagoniste le rende nettement supérieur au héros ou à l’héroïne. Cela représente pour eux un défi.

Maintenant, nous avons l’un des éléments les plus essentiels de la fiction : le conflit. Parce que si le personnage principal avait devant lui un horizon parfaitement dégagé, il n’y aurait pas d’histoire. Dès qu’il existe le moindre obstacle, on a quelque chose à raconter.

En fait, même s’il n’y avait qu’un seul obstacle, il doit paraître impossible à vaincre. Dans l’idée du scénario, il devrait y avoir un conflit en puissance. Il ne sera peut-être pas encore en acte mais la ou les conditions de sa possibilité sont déjà présentes.

Le protagoniste et l’antagoniste ne seront pas les seuls personnages (bien que cela ne soit rédhibitoire), d’autres personnages interviendront. Certains aideront le personnage principal dans sa quête et d’autres dont l’existence entravera la volonté du héros à accomplir son désir.

En fouillant dans les archétypes, vous aurez à votre disposition tout un ensemble de personnages dont la fonction permet de distinguer qui fait quoi. Voyez comme un système se met déjà en place : le schéma actanciel par exemple distingue les adjuvants et les opposants (ou aidant et adversaire).

Ces personnages secondaires offrent une opportunité à l’auteur et à l’autrice : ils sont les personnages principaux de leur propre intrigue, c’est-à-dire d’une intrigue secondaire. De plus, ces intrigues secondaires éclairent l’intrigue principale mais surtout, elles sont l’occasion de nouveaux conflits ce qui enrichit le récit.

Un récit à organiser

On peut distinguer 5 moments de réflexion concernant l’élaboration d’un scénario.

  1. D’abord, il y a l’idée avec un protagoniste, un antagoniste et un objectif visible, connu de tous les personnages et que le protagoniste s’efforcera de réaliser tandis qu’il sera empêché par l’antagoniste dans cette volonté.
  2. Le second moment de réflexion que Eric Edson propose (il n’est pas le seul) est d’envisager déjà la fin du récit. On peut très bien écrire les scènes comme elles nous viennent et découvrir où elles nous mènent. Mais cette façon de faire est souvent un souci parce qu’avant d’atteindre le point médian du récit, on est souvent perdu et on abandonne, croit-on provisoirement, son scénario.
    Essayez d’organiser votre récit à rebours, décrivez les événements majeurs en commençant par le dernier. Remontez des effets aux causes. Une fois que vous avez posé votre idée, interrogez-vous sur l’ultime émotion que vous souhaitez communiquer. Quel sentiment souhaitez-vous que vos lecteurs et vos lectrices ressentent au moment du dénouement ? Mais ne vous sentez pas prisonnier de ce processus. Un plan n’est jamais définitif. Vous pourriez concevoir d’autres solutions possibles que vous jugeriez meilleures lors du processus d’écriture. Alors, retravaillez votre plan puis reprenez le processus d’écriture. Un plan est un guide qui vous dit où vous allez avec votre histoire. Mais vous n’êtes pas poings liés à ce guide. Vous conservez votre liberté d’action. Le risque de ne pas planifier son récit, de laisser courir sa plume sur la page au gré d’une éventuelle inspiration est que vous n’invitez pas le génie de l’artiste mais un mauvais génie qui vous leurre.
  3. Un premier nœud dramatique majeur.
  4. Un second nœud dramatique majeur.
    Ces deux nœuds dramatiques se produisent respectivement à la fin de l’acte Un qui précède ainsi le passage dans l’acte Deux et à la fin de l’acte Deux. Ce sont des articulations majeures qui orientent l’histoire dans une nouvelle direction. Syd Field les nommait Plot Point 1 et Plot Point 2. Joseph Campbell avait remarqué que le premier nœud dramatique consistait à franchir le seuil d’un nouveau monde (celui de l’aventure). Il dénomma cet engagement comme Crossing the First Threshold.
    Ce qui importe avec ces deux moments, c’est de préparer l’impact qu’ils sont censés avoir sur le lecteur/spectateur. Cet impact n’est rien moins qu’une émotion. Cette émotion sera partagée entre le héros et le lecteur ou la lectrice.
  5. Maintenant, vous pouvez envisager le commencement. Eric Edson conseille de respecter un minimum de planification avant de se lancer dans le processus d’écriture proprement dit car lorsque vous vous êtes engagé dans ce processus, il est très difficile d’en sortir.
Le commencement

C’est un choix difficile. Un récit est une chronologie d’événements. L’histoire débute à un moment de ce récit ce qui signifie qu’elle possède un passé. L’embarras réside dans le moment où elle commence. Le risque est de débuter trop tôt ou trop tard (ne serait-ce que de quelques scènes).

Lors de ce commencement qui consiste en une exposition, il faut laisser au lecteur/spectateur le temps de se connecter émotionnellement à l’histoire.

Une structure classique se compose de trois actes. L’acte Un, c’est le monde ordinaire du héros. Emmuré dans des habitudes qui le rassurent mais le trompent sur sa destinée, le héros prendra conscience de celle-ci après un incident déclencheur à la suite duquel il se fixe un objectif dont il ne connaît pas encore les spécificités.
Il sait seulement qu’il doit prendre en main sa destinée. C’est une chose bonne qu’un monde ordinaire se désagrège car, inconsciemment peut-être, le lecteur/spectateur aspire aussi à dépasser un monde dans lequel il s’est laissé enfermé. Cette simple comparaison initie l’identification.

Considérons Shrek par exemple. Dans son monde ordinaire, Shrek se pense heureux dans son marécage. Mais c’est une illusion, c’est un mensonge qu’il se fait à lui-même. En posant le principe d’un monde ordinaire (Ordinary World), donc, en tant que principe, il n’est pas nécessaire d’expliquer les raisons de cette illusion, vous mettez déjà en place les conditions d’une possibilité d’évolution pour ce personnage.

Lorsque son marécage est envahi de créatures de contes de fée, chassées par Lord Farquaad, Shrek se fixe un premier objectif spécifique à cet acte Un : il veut retrouver sa tranquillité.

A la fin de l’acte Un, il se produit un événement qui articulera la transition vers l’acte Deux et la détermination du véritable objectif qui consistera à combler un besoin (le besoin est intérieur, le désir qu’on dénomme habituellement objectif est extérieur).
Dans le cas de Shrek, l’événement qui concrétise le passage de l’acte Un vers l’acte Deux est le marché que Lord Farquaad passe avec Shrek : la délivrance de la princesse en échange du retour des créatures. Ce sera l’objectif. Mais le besoin, ce pourquoi Shrek existe, c’est de rencontrer l’amour et de fonder une famille. C’est sa destinée et c’est à lui de l’accomplir.

Un nouveau monde

C’est alors que le héros pénétrera un nouveau monde qu’il n’a jamais expérimenté. Ce pourrait être le même lieu, les mêmes rues qu’il a toujours fréquentées mais il fera face à des situations, des circonstances qu’il n’a jamais vécues. Le héros ou l’héroïne sont faces à de nouvelles règles, de nouvelles lois qu’ils devront apprendre et intégrer pour survivre à leur aventure.

Dans cet acte Deux, le héros élabore une stratégie, du moins les rudiments d’une stratégie, ce sont davantage quelques tactiques qu’il teste avec plus ou moins de réussite. Le personnage n’a pas encore atteint sa perfection, sa vérité. Il se cherche encore dans cet acte Deux. C’est ainsi qu’il apprend de ses tribulations et pérégrinations au cours de cette intrigue.

A la fin de l’acte Deux (c’est l’acmé ou climax de l’acte Deux), au moment du second nœud dramatique, toute la stratégie si péniblement préparée s’effondre. Cet épisode de la vie du héros ou de l’héroïne est connu aussi comme le Dark Night of the Soul ou Nuit Obscure de l’Âme selon le poète du seizième siècle Jean de la Croix.

Tout semble perdu (All is lost). En apparence, du moins, il ne semble plus y avoir d’issue possible. Il n’y a plus de plan : le personnage est aspiré dans le néant. C’est bien pour cela que ce moment est considéré comme le second nœud dramatique car l’histoire prend une tournure dorénavant totalement imprévisible.

Le passage dans l’acte Trois

L’acte Trois est celui de l’improvisation puisqu’il n’y a plus de plan. Selon Eric Edson, l’acte Trois est celui de la maturité du héros. J’hésite sur ce terme de maturité. J’objecterais plutôt la découverte d’une harmonie. Une conformité du personnage avec lui-même d’abord et ensuite dans son rapport au monde puisque le regard que l’on porte sur soi biaise souvent celui que l’on jette sur le monde. Eric Edson, cependant, considère cette maturité comme émotionnelle. On peut y parvenir à n’importe quel âge de la vie.

Concernant cette émotion, prenons par exemple quelque chose d’aussi banal et émotionnellement douloureux qu’une peine de cœur. Tant que celle-ci n’est pas surmonté, on n’est pas suffisamment entier pour affronter l’adversité.

Vaincre ses peurs, ses angoisses, comprendre ce qui nous retient d’avancer, voilà comment un héros ou une héroïne peuvent croire qu’au moment du climax, il ou elle est capable (sans garantie de réussite, néanmoins) de triompher de son adversaire.

Voyons Collatéral de Stuart Beattie, Frank Darabont et Michael Mann. Le personnage principal est Max. Que découvrons-nous de Max lorsque nous faisons sa connaissance ? Il est chauffeur de taxi, rêve de monter sa propre compagnie. En fait, il aurait pu le faire depuis longtemps mais n’en a jamais trouvé le courage.

Et c’est bien là où émotionnellement, le bas blesse chez Max : le monde ordinaire de Max est celui de sa propre lâcheté qu’il intègre ou ne veut pas reconnaître par le songe ou l’imaginaire.

L’articulation vers l’acte Deux se produit au moment où Vincent kidnappe littéralement Max et s’en sert comme chauffeur pour accomplir ses méfaits. Voyez comme le trait marquant de la personnalité de Max, dont nous avons été informé dès l’acte Un, intervient entre Max et Vincent. Car pour Max, l’enjeu est sa propre vie. Si Max ne trouve pas la force de faire face à cette menace, s’il se réfugie dans sa lâcheté habituelle, il ne survivra pas.

Max doit se dépasser. La raison de cette motivation, de cette volonté est tout à fait légitime et nous la comprenons. Dans l’acte Trois, Max devient un héros authentique et nous y croyons parce qu’il tente de sauver Annie que nous avons rencontré lors de l’exposition et dont nous avons perçu la relation naissante entre elle et Max (notez le déplacement de l’enjeu).

L’incident déclencheur

Une structure est une série d’événements nécessaires et ordonnés. Cet ordonnancement (incident déclencheur, passage dans l’acte Deux, point médian, passage dans l’acte Trois, climax et le dénouement) est nécessaire car il participe à la tension dramatique qui ne cesse de tendre jusqu’à son éclatement à l’issue du climax.

Si cette tension dramatique échoue à se mettre en place, alors le lecteur/spectateur décrochera de l’histoire.

Il y a deux événements à planifier dans l’acte Un : l’incident déclencheur et le propre climax de l’acte Un qui consiste à se lancer dans l’aventure, à pénétrer l’espace de l’intrigue, c’est-à-dire l’acte Deux. Dans E.T. par exemple, on aurait tendance à penser que l’incident déclencheur est ce moment lorsque E.T. est abandonné sur la planète terre. Après tout, c’est ce qui semble lancer toute l’histoire. C’est la définition d’un incident déclencheur.

Mais ce serait vite oublié que E.T. n’est pas le personnage principal. Or l’incident déclencheur est intimement lié au personnage principal. E.T. représente plutôt cet archétype d’autrefois : la demoiselle en détresse que le héros doit sauver des griffes du méchant de l’histoire.

La théorie et pratique narrative Dramatica considère plutôt que ce type de figure dans un récit est un Influence Character, c’est-à-dire sommairement un personnage qui pèsera sur l’évolution émotionnelle, spirituelle, intellectuelle du personnage principal, sur son arc dramatique en fait qui constitue en soi une ligne dramatique à part entière (notez que Dramatica considère aussi que l’évolution de l’Influence Character est au cœur de sa propre ligne dramatique).

Donc dans E.T., l’incident déclencheur est lorsque Elliot (le héros) fait cette rencontre terrifiante avec le petit extra-terrestre. Cet incident déclencheur occupe toute une séquence et cela fonctionne. Ce qui importe dans la structure d’un scénario, ce n’est pas la durée mais la succession des événements.

A partir de cette rencontre, l’objectif de Elliot dans ce premier acte, selon ses propres termes, c’est de faire de E.T. son animal de compagnie. L’évolution de Elliot est conditionnée par l’incident déclencheur. Sans cet incident, il ne peut connaître d’arc dramatique.
Mais alors à quel moment la relation entre E.T. et Elliot change t-elle ? C’est là que se produit l’articulation vers l’acte Deux lorsque E.T. décrit d’où il vient en se jouant de la gravité terrestre. A ce moment, Elliot comprend que E.T. n’est définitivement pas un animal de compagnie.

Et son objectif change : Maintenant, il s’agit pour Elliot de permettre le retour de E.T. chez lui. Toute l’intrigue se fonde sur cet objectif. Dit autrement, l’incident déclencheur est la condition de l’intrigue.
Ce passage dans l’acte Deux est ce que Syd Field nomme l’événement clef (après l’incident déclencheur) et qui constitue une prise en charge du problème par le personnage principal. L’entrée dans l’acte Deux ne peut se faire sans un engagement du personnage principal. Dorénavant, il a une intention, une visée, une volonté.

Le lancement de l’intrigue

Une moyenne a été calculée pour situer le passage dans l’acte Deux dans un scénario. Il se produit en général entre la vingt-cinquième et la trente-cinquième minutes (ou pages considérant une minute par page). C’est le héros ou l’héroïne qui doivent en faire l’expérience.

Une caractéristique singulière de cet engagement du personnage principal dans son aventure concerne sa durée. En effet, il doit se produire en un instant (un seul plan, une seule scène doivent suffire pour l’exprimer).

Sa brièveté est nécessaire pour créer un effet de surprise. Mais ce n’est pas une condition nécessaire et suffisante. Ce moment doit être chargé de signification. Le héros ET le lecteur/spectateur doivent comprendre quel est l’objectif et quel est l’enjeu. Dans l’exemple de E.T., Elliot et le lecteur/spectateur comprennent que la mission sera de sauver E.T.

émotionNéanmoins, cette signification peut être subtile. Dans le Dark Water (2002) de Hideo Nakata et Takashige Ichise adapté d’une nouvelle de Kôji Suzuki, mon interprétation est que le personnage principal est la petite fille disparue.

Lorsque que Ikuko s’approprie cet étrange petit sac rouge d’enfant, nous sommes précisément au passage dans l’acte Deux parce qu’à ce moment, l’objectif de la petite fille disparue est que Yoshimi (la mère de Ikuko) devienne sa mère.
En effet, la mère de la petite fille disparue a abandonné son enfant, c’est ce qui a mené à la disparition de l’enfant. Le petit sac rouge qui appartenait à la petite fille disparue représente le transfert de personnalité (dit autrement, la possession) entre la petite fille disparue et Ikuko. L’enjeu de notre personnage principal est de retrouver une mère. Si l’enfant échoue, ce sera une éternelle solitude.

La détermination de l’objectif sera initié au moment du passage dans l’acte Deux même s’il n’est parfaitement compris qu’après réflexion, après le dénouement.

Eric Edson continue avec l’exemple de Shrek. L’intrigue commence lorsque Lord Farquaad, rusé, fait de Shrek le nouveau champion de la ville. L’étonnement se lit sur le visage de Shrek. C’est bien là le signe, cet effet de surprise, qui entame l’acte Deux parce que la stratégie du méchant de l’histoire Lord Farquaad est de lancer Shrek sur les traces du dragon qui a enlevé la princesse Fiona (entendu qu’aucun des chevaliers de Farquaad n’en est capable).

Voyez aussi le changement d’objectif. Lorsque Shrek se rend à DuLoc, c’est pour demander à Farquaad d’évacuer les créatures féeriques qui ont migré dans le marais privé de Shrek. C’est l’objectif de l’acte Un.

L’objectif de l’acte Deux est d’aller délivrer la princesse. Pour Shrek aussi, l’enjeu est de sortir de la solitude (dans laquelle il se croit heureux) et de rencontrer l’âme sœur.

Un héros excellent dans son domaine

Une caractéristique d’un personnage principal est qu’il possède une qualité qu’il maîtrise parfaitement. Considérons Max de Collatéral. Avez-vous remarqué comme son taxi est impeccable ? Il est bon de se creuser la tête à la recherche de signes pour délivrer des informations à travers des images. Le taxi de Max reflète la passion de son métier. Cela suffit. Il serait maladroit de lui faire dire qu’il aime son métier car il y a toujours un doute sur la sincérité des mots prononcés. A contrario, les actes sont indéniables.

L’incident déclencheur dans Collatéral se produit au moment où Max accepte le deal de Vincent bien qu’il offre quelques réticences (il est préférable dans un premier temps de refuser l’appel à l’aventure, le Refusal of the Call théorisé par Joseph Campbell).

La prime que lui offre Vincent cependant finit par le convaincre d’accepter. La condition de l’aventure est posée mais celle-ci ne lance pas encore l’intrigue d’autant plus que pour Max, son taxi est simplement loué pour la nuit avec lui comme chauffeur. Sa compréhension de la situation s’arrête là à ce moment du récit.

Au premier arrêt, Vincent lui demande d’attendre dans une allée. Un principe que vous devriez retenir est que votre personnage principal ne peut rester sans agir. Que fait Max dans son taxi ? Non seulement, il en profite pour manger (son côté pragmatique) mais surtout l’information de ce désir qu’il entretient depuis douze années déjà de créer sa propre compagnie de locations de véhicules nous est donnée.

Et alors que Max est plongé dans ses rêveries, l’intrigue lui tombe littéralement dessus, du moins sur son taxi. Mais, nous prévient Eric Edson, malgré l’effet de surprise et Max sous le choc, il n’a pas encore pris la décision de s’engager dans l’aventure. Car cet engagement est un point de non retour. Au moment où ce corps s’effondre sur le taxi de Max, Max a encore la possibilité de fuir et de reprendre sa vie telle qu’il l’avait laissé avant cet incident.

On dit souvent que l’incident déclencheur est cet événement qui bouleverse le quotidien du héros. Il est vrai qu’une rencontre fortuite peut nous changer la vie. Encore une fois, ce n’est pas une condition nécessaire et suffisante.
L’engagement est un choix. Ce contrat que l’on passe avec soi-même est une décision irréversible qui fait entrer le personnage dans un engrenage. Maintenant, la question dramatique est posée : ce sera le triomphe ou l’échec.

Notons néanmoins que dans le cas de Shrek ou de Max, cette décision se lit davantage comme une contrainte. D’où la surprise qui se lit sur leurs visages au moment où ils comprennent qu’il leur faut accepter la proposition qu’on leur fait.

Une nouvelle situation

Cette décision forcée soit par l’extérieur (Vincent ou Lord Faquaad) ou de l’intérieur comme une urgence (la volonté de Yoshimi dans Dark Water d’obtenir la garde légale de son enfant) place le personnage principal dans une situation qu’il n’a jamais vécue auparavant.

Maintenant, il faut comprendre que ce paradigme de structure est une proposition. Vous êtes libre, fort heureusement, de la plier à votre intention. Le genre, par exemple, peut vous inciter à limiter le nombre de pages consacrées à l’acte Un. Eric Edson mentionne le cas du Thriller par exemple où l’action est intensément attendue par le lecteur/spectateur.
Ainsi, si on tarde trop à franchir le seuil de ce nouveau monde dans un Thriller, vous jouez dangereusement avec la patience du lecteur/spectateur qui est bien conscient d’avoir choisi un Thriller et non une comédie romantique.

Puis vient le moment du passage dans l’acte Trois, le second nœud dramatique. Eric Edson considère que ce second nœud dramatique est le All is lost, c’est-à-dire que la stratégie élaborée par le personnage principal s’effondre.

Au début de l’acte Deux, alors qu’il s’est fixé un objectif, le héros élabore une stratégie afin de compléter sa mission. De tribulations en pérégrinations, nous parvenons au climax de l’acte Deux (ce n’est pas le climax du récit qui répond à la question dramatique majeure).
La stratégie mise en place est aussi ce moment où le héros découvre ses ennemis et se fait des alliés (le Tests, Allies, Enemies de Joseph Campbell dans la première moitié de l’acte Deux avant le point médian).

Pourtant, tout au long de l’acte Deux, l’auteur ou l’autrice sont parvenus à nous convaincre que le plan du héros allait fonctionner. Mais survient le second nœud dramatique et son issue nous révèle que c’est un échec. Il n’y a plus de plan, plus d’espoir. C’est une détresse totale.

C’est en prenant conscience que tout est perdu (All is lost) que le personnage principal connaît cette Dark Soul of the Night. Le désespoir l’envahit, le néant est palpable. Eric Edson mentionne toutefois que l’inverse est aussi possible, c’est-à-dire que le climax de l’acte Deux renverse une situation catastrophique en quelque chose de positif. En règle générale, c’est cependant le Dark Soul of the Night qui est préféré.

Après tout cela, un acte Trois bien plus court.

Deux mouvements nécessaires

Un scénario se distingue par deux notions : le conflit et l’émotion. La théorie narrative Dramatica se fonde sur un concept surprenant : le Story Mind. Ce concept postule qu’un récit est comparable à l’esprit humain dans son effort de résoudre les problèmes qui l’assaillent au quotidien.

Un problème est un conflit en acte. Mais l’esprit humain est surtout capable de s’émouvoir. Si un récit est comparable à l’esprit humain, alors il devrait être capable d’agir émotionnellement sur le lecteur/spectateur.

Comment un scénario peut-il communiquer une émotion ? D’abord, il y a l’objectif que le héros ou l’héroïne poursuivent. Eric Edson estime entre trois et sept pages la séquence décrivant la quête du personnage principal dans l’obtention d’un objectif physique. C’est un désir et lorsque ce désir est assouvi, nous avons le dénouement du récit.
On constate aussi que cette quête se déroule en deux séquences : dans l’acte Un, un premier objectif est établi puis un nœud dramatique intervient qui crée une seconde quête, c’est-à-dire le véritable objectif qui propulsera le héros ou l’héroïne dans un nouveau monde.

Ce nouvel univers pourrait être les mêmes lieux qu’il ou elle ont toujours fréquentés mais ce qui change et qui est véritablement novateur pour eux est que les circonstances dans lesquelles ils se trouvent pour réaliser cet objectif n’ont jamais été rencontrées jusqu’à présent dans leur vie. Certes, il sera naturel qu’ils tentent de résoudre le problème selon des schémas de comportement habituels, des schémas déjà éprouvés dans des circonstances similaires.
Mais deux situations apparemment identiques ne se résolvent pas de la même manière. Lorsque Shrek vient demander des comptes à Lord Farquaad qu’il tient responsable de l’invasion du marais, il se comporte comme d’habitude.

Lord Farquaad profite de cette faiblesse du héros pour lui imposer un nouvel objectif.

Ce nouveau but exige un engagement du héros, d’où son hésitation, d’où son incrédulité. D’où une émotion palpable qui commence à s’instiller dans l’esprit du lecteur/spectateur. Une émotion nourrie ensuite par la tension dramatique qui ne cesse de croître jusqu’à l’issue du climax ainsi que par l’intérêt du lecteur quant à l’issue du récit, c’est-à-dire la réponse à la question dramatique principale de savoir si le personnage réussira ou échouera.

Prenons l’exemple de Gravity de Alfonso et Jonas Cuarón et Rodrigo Garcia. Ryan Stone a accepté une mission dans l’espace parce qu’elle est une astronaute compétente mais ce que nous comprendrons assez rapidement, c’est que cette femme est meurtrie par la mort accidentelle de sa fille.

La mort d’un enfant provoque une réponse émotionnelle universelle. Le récit communique sur cette émotion. Nous ressentons que Ryan Stone a perdu tout sens à son existence. Elle n’a pas fait le deuil de son enfant et cette compréhension que nous avons du personnage nous émeut.

Poétiquement, on pourrait même imaginer que le silence de l’espace est ce qui remplit la vie de Ryan depuis la mort de son enfant. Et ceci est le premier objectif de Ryan : se plonger dans l’espace corps et âme pour oublier sa souffrance.

L’urgence d’une situation

Lorsque Houston les informe que des débris se dirigent droit sur leur navette, nous avons le premier nœud dramatique. Cette information est totalement inattendue et crée un effet de surprise augmenté par l’urgence.
Shrek aussi se retrouve dans une situation menaçante lorsque les archers de Lord Farquaad s’apprêtent à déverser sur lui une pluie de flèches.

J’ai dit plus haut qu’il y avait une réticence à s’engager dans l’aventure. Cette indécision est présente aussi dans Gravity. Elle est illustrée par le fait que Ryan veut rebooter le système et qu’elle est sur le point d’y parvenir. Mais le nœud dramatique est imparable et les débris frappent la navette.
Le véritable objectif consiste maintenant à survivre.

Métaphoriquement, si le personnage était un point qui se déplace le long d’une ligne (dramatique donc), il rencontrerait assurément différents états émotionnels. Entre deux états qui ne sont pas réguliers le long de cette ligne car leur intervalle est variable et leur durée l’est tout autant et qui surviennent selon les différentes articulations du récit, ce personnage n’est plus le même à chaque étape. Il y a bien changement dans sa personnalité. Par ce changement, par ce mouvement, s’engendre de l’émotion. N’inventez pas artificiellement de l’émotion. Suivez les articulations, du moins dans un scénario, et l’émotion surgira.

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