RELATIONS

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Il y a des relations qui ont commencé bien avant le début du récit. D’autres sont apparues au cours du récit et de son intrigue. Chacune a sa spécificité et l’on se demande pourquoi sont-elles là ? À quoi servent-elles pour le récit tout entier ?

Insidieusement, elles se rapprochent, toutes distinctes qu’elles sont, du nexus, ce moment extraordinaire qui ne se produit qu’une fois tel un hapax, c’est ce qui apparaît qu’une seule fois et qui, sur le plan dramatique, constitue un bouleversement, un ébranlement des choses que l’on croyait pourtant bien établies. Mais de quelle spécificité se distingue une relation ? Nous avons un lac aux ondes tranquilles, nous avons la fougue d’un torrent, nous avons un cours d’eau sous la surface qu’on ne soupçonne même pas. Ce sont autant de relations. Notre lecteur/spectateur porte sur chacune d’elles son regard et comprend sa texture. Il connaît la relation.

Chacune d’entre elles a un horizon qui lui appartient et chacune puise à une source que nous avons posé sur ce fond contre lequel se meuvent nos personnages. Une romance, une rivalité, une culpabilité… les thèmes paraissent infinis pour décrire une relation. Nous ne voulons pas que notre lecteur/spectateur reste dans l’ambiguïté sur la nature d’une relation. Scène après scène, il la découvre et il l’investit avec son propre vécu, ses expériences passées ; peut-être aussi ose-t-il juger.
Nous souhaitons tellement sa participation à notre récit que s’il juge, nous devrions être satisfaits.

Ce n’est pas très compliqué à mettre en œuvre, il suffit de considérer l’affect qui domine au sein de cette relation. Ce peut être de la tendresse et probablement même une trop grande retenue dans cette déclaration, la rancœur et la rivalité sont aussi de la partie. Tant que vos relations n’apparaissent pas redondantes, toutes sont dramatiquement valables. The Florida Project (2017) de Sean Baker nous décrit deux relations. L’une d’entre elles est marquée du signe de l’insouciance et de l’imaginaire et elle contraste d’emblée avec la relation entre Bobby et ses résidents. Pourtant, ces deux sphères animées par des acteurs (au sens de ce qui fait l’action) aux antipodes les uns des autres finissent par se heurter comme si une capillarité se réalisait entre les univers et cela crée de la tension jusqu’au nexus dans lequel la précarité de Halley est à son comble et met en péril l’univers magique de Moonee.

Travaillez vos relations de manière que le lecteur/spectateur les distingue comme s’il les rangeait dans des boites.

Le travail sur ces relations consiste essentiellement à les inscrire dans une situation. Qu’elle soit un besoin, un dilemme ou bien qu’elle se meut dans l’espace du secret, chaque relation a une situation qui lui appartient en propre. Analysons le contexte de Rocks (2020) de Sarah Gavron et démontrons comment chaque situation s’individualise dans l’esprit du lecteur/spectateur.
La prémisse qui amorce le récit est celui d’un abandon. Une jeune fille, surnommée Rocks, se retrouve contrainte de protéger son frère contre les institutions. Comment ce contexte se déploie-t-il ? En mettant en place des relations : Rocks, le personnage principal, et son frère Emmanuel constitue la relation fondamentale de ce récit. Analysons à l’aide de la théorie narrative Dramatica : dans cette relation précise, Rocks est le Main Character (le personnage principal) et Emmanuel est l’Influence Character. C’est la situation d’abandon de la mère qui fait d’Emmanuel l’Influence Character de Rocks ; en effet, au-delà du lien fraternel sincère, il s’agit d’une substitution maternelle de Rocks envers Emmanuel. Selon Dramatica, nous sommes dans le domaine Universe pour Rocks, car elle lutte contre une situation qu’elle n’a pas cherchée : l’abandon par sa mère et l’intérêt des institutions qui cherchent, elles aussi, à protéger Emmanuel.

Rocks adopte une posture sacrificielle envers Emmanuel qui non seulement l’épuise, mais aussi l’amène à changer, à se remettre en question par le bouillonnement entre tendresse, responsabilité et frustration.
Une seconde relation qui épaissit encore le récit est celle entre Rocks et sa meilleure amie Sumaya. Dans cette relation, Rocks est toujours le Main Character, tandis que Sumaya est son Influence Character. Ici, Rocks résiste au changement : elle s’isole, par orgueil, par peur, mais surtout, parce qu’elle refuse de se faire confiance. C’est son dilemme. Quant à Sumaya, elle propose à Rocks une alternative par sa présence amicale, loyale, toujours teintée d’affection sincère pour Rocks. Seulement, la résistance de Rocks érode cette relation. Et nous ressentons cela. En tant qu’autrice et auteur, c’est à notre lecteur/spectateur que nous nous adressons, il est notre interlocuteur.

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