L’arc dramatique, voilà bien un problème. Qu’est-ce qu’un tel arc ? C’est une évolution du personnage qui doit apprendre à se dépasser pour parachever sa véritable nature : disons pour qu’il arrête de se mentir à soi-même. Il nous faut donc commencer avec un personnage déjà biaisé par quelques circonstances passées qui ont laissé sur son âme ou son esprit quelques empreintes assez douloureuses. L’une de celles-ci est la culpabilité, c’est-à-dire un mépris de soi ou dit autrement, un rejet de lui-même par lui-même.
Les racines de la culpabilité
C’est un a priori. Nous devons faire savoir à notre lecteur/spectateur ce qu’il se passe à l’intérieur du personnage. C’est une impression qu’il faut préparer pour qu’elle soit ressentie.
Quel est donc son univers ? À savoir plus précisément comment se voit-il ? Qu’a-t-il fait ou subi pour se sentir si misérable aujourd’hui ?
Clint Eastwood avec Bird (1988) a très bien compris que Charlie Parker se considère comme un échec personnel. Il nie son génie. Il ne recherche pas la renommée, simplement à soulager sa souffrance dans le plaisir qu’il prend à composer et à jouer. Parker est un être fragile. D’où lui vient cette fragilité ? N’est-ce pas cette humiliation qu’il a connue lors de son adolescence ? Et puis sa dépendance à l’héroïne ne fait que l’entraîner dans sa propre destruction dont il a parfaitement conscience. De la mort de sa fille, il tire la conviction d’être indigne. Certes, ses relations sont sincères et amour, mais son drame personnel reste qu’il est incapable et comme condamné à ne jamais se réconcilier avec lui-même.
Ici, le discours est sombre : il n’y a pas de salut pour Parker et nous le comprendrons au fil de l’intrigue à travers ses excès, ses errances nocturnes et bien-sûr le sublime de sa musique.
Tout comme nous, un personnage peut se sentir coupable de ne pas être à la hauteur des attentes que portent sur lui le regard des autres. Ce n’est pas une résignation, mais un poids qui écrase toute une vie. Oppenheimer (2023) de Christopher Nolan met ce principe bien en évidence. Oppenheimer est pressé par les américains pour mettre au point cette bombe essentiellement parce que Roosevelt apprécie très peu de devoir demander à Staline son aide pour vaincre le Japon et aussi par sa propre communauté scientifique malgré les réserves éthiques qui, déjà, le hantent.
Et effectivement, après Hiroshima et Nagasaki, il porte l’écrasante responsabilité de milliers de morts immédiates et il le découvrira plus avant, combien d’autres après ? Comprenons bien que ce n’est pas le devoir qu’il s’est imposé qu’il regrette ; et il en est digne. Ce qui l’accable, c’est la prise de conscience des conséquences de ce devoir qu’on attendait de lui.
Un autre cas encore : et si le personnage ressent un mal-être ? Un besoin irrésistible de fuir son quotidien ; toutes les habitudes ne sont pas bonnes et il est difficile de les fuir. Dès le prologue de Zarathoustra, Nietzsche, dès la première ligne, explique que Zarathoustra quitte le lac de son pays pour s’en aller dans la montagne. Qu’est-ce que cela signifie ? Qu’il renonce à une fausse tranquillité d’esprit. Son âme n’était pas en repos, qu’elle n’était pas à l’image de ce lac aux ondes si douces, et pour trouver sa voie, il lui fallait agir.
De même dans Les choses de la vie (1970) de Claude Sautet. Malgré une apparente réussite, Pierre se morfond, il se sent insatisfait et c’est pourquoi il décide de remettre en question ses choix de vie afin de trouver une paix intérieure enfouie sous un quotidien qui n’est qu’une confortable illusion, une inexacte sérénité. La question à se poser en fin de compte est de savoir si nous pouvons vraiment atteindre nos aspirations.
Et la faille s’ouvre
Un événement passé a provoqué chez le personnage un fort sentiment de culpabilité. Ce peut être une action telle qu’un acte de trahison ou de lâcheté ou encore une erreur de jugement aux conséquences terribles. Ce peut être aussi d’avoir été dans l’incapacité d’agir tout comme Sophie dans Le Choix de Sophie de Alan J. Pakula.
Et puis il y a aussi la conviction d’avoir fauté sans que cela soit légitime. Ce qui importe est que nous élaborions notre personnage en ayant en tête le rapport qu’il entretient avec lui-même. Si le personnage en vient à se mépriser pour ce qu’il a fait ou croit avoir fait, c’est bien avec lui-même et non avec autrui qu’il faut définir sa culpabilité.
Même s’il arbore un sourire de façade, il est consumé par sa souffrance. Lee de Manchester by the sea (2016) de Kenneth Lonergan avait réussi à dissimuler son passé dans un coin de sa mémoire jusqu’à son retour dans sa ville natale. Son passé, on nous l’explique : alcoolique, Lee a par accident tué ses trois enfants dans l’incendie de sa maison. Depuis, il se méprise et il s’est totalement coupé des autres en s’accoutumant à une attitude distante. C’est ainsi que l’apparence camoufle le tumulte intérieur.
En conclusion partielle, quelles sont les conséquences sur le personnage ? La plus pertinente est le déni. Considérons un moment Marion (Le Dernier métro (1980) de François Truffaut). Elle se sent coupable d’être attirée par un autre homme alors que son mari risque sa vie. Extérieurement, elle donne d’elle-même l’image d’une femme qui maîtrise la situation dramatique de l’époque. Mais là n’est pas le déni. Il se situe dans la souffrance toute intérieure de Marion qui n’apparaît pas quand elle rejoint Lucas pas plus que sur scène.
Parfois le personnage tente de justifier ce qu’il a fait et qui le mine dorénavant ou bien, probablement plus dramatique, il adopte un comportement autodestructeur, tout comme l’est d’ailleurs d’éviter les êtres ou les situations qui ravivent la douleur.
