Dans un récit, on s’attache aux personnages. Néanmoins, il existe d’autres forces qui interviennent dans le cours de l’intrigue. L’amour, la guerre, le destin… sont parmi ces forces : ils sont abstraits, ce sont des concepts, des principes… une idée !
Elles ne sont pas inutiles, bien au contraire, car elles structurent le récit et encadrent l’action, les décisions, les revers de fortune aussi, des personnages. Il existe dans The Power of the Dog (2021) de Jane Campion une force qui recouvre tout le discours du récit : c’est le pouvoir du patriarcat et ce désir excessif de masculinité. Le comportement de Phil en est tout particulièrement affecté. Son rapport aux autres et à lui-même d’ailleurs est totalement dominé par cette croyance sociale et culturelle qui le force à camoufler sa sensibilité et son propre désir. Dans Anatomie d’une chute (2023) de Justine Triet, c’est le concept de vérité qui recouvre tout le récit. Mais quelle vérité nous demande-t-on ? Celle des juges ou celle de la morale ? Ce que nous démontre Anatomie d’une chute, c’est que la vérité est éminemment subjective et s’interprète alors sur des témoignages et des preuves apparentes, mais qu’elle perd toute objectivité. En somme, c’est ma propre interprétation, la vérité se corrompt au contact de l’homme.
Des concepts historiques comme la lutte des classes par exemple ont encore droit de cité dans des œuvres contemporaines : prenez Parasite (2019) de Bong Joon-ho, s’il n’y avait pas cette différence entre riches et pauvres, cette dynamique liée au système même, comment justifier tout le récit ? Un petit aparté : n’allez pas croire que je vous parle ici du thème. Ce que je décris, ce sont des forces, abstraites certes comme un thème, mais celles-ci influent sur les actions et les interactions des personnages. Elles orientent les choix qu’ils font, décident de la nature des conflits et, en règle générale, de l’évolution des événements (qui, habituellement, ne dépendent pas des personnages).
Alors le thème est un sujet de réflexion ; c’est un problème que l’on soumet au lecteur/spectateur afin qu’il y appose son assentiment ou son rejet. Donc cette force qui modèle l’action et conduit au drame est omniprésente sans qu’on puisse l’apercevoir autrement qu’à travers ces situations dans lesquelles sont jetés nos personnages.
L’absurde, si difficile à mettre en images, est possible pourtant : Les Banshees d’Inisherin (2022) de Martin McDonagh. C’est l’absurde lui-même quand les personnages sont incapables de donner du sens à ce qu’il leur arrive. Si on ne perçoit pas cet absurde, on ne peut pas comprendre ; si on reste attaché à sa rationalité, on n’appréciera pas.
Il faut tordre son esprit, parfois.