Arc dramatique : la fin du parcours
Des hommes et des dieux (2010) de Xavier Beauvois
L’histoire est celle d’un groupe de moines trappistes français en Algérie, confrontés à la montée du terrorisme. Chaque personnage, en particulier le personnage principal Christian, traverse un cheminement intérieur profond. Leur décision collective de rester ou partir face au danger constitue le cœur de l’intrigue. La résolution du film, bien que tragique, représente l’aboutissement de leur voyage spirituel et moral.
Le sacrifice collectif
L’arc dramatique d’un personnage (ou d’un groupe de personnages) peut trouver sa résolution dans un sacrifice collectif. Ce sacrifice représente l’aboutissement d’un cheminement, lorsque les personnages dépassent leurs peurs et leurs désirs individuels pour adhérer à une cause supérieure.
Cette conclusion n’est pas nécessairement heureuse au sens traditionnel, mais elle apporte une forme de paix intérieure et une cohérence avec les valeurs véritables des personnages.
Le sacrifice collectif étudie comment le parcours d’un personnage ou d’un groupe peut culminer dans un renoncement volontaire et partagé. Cela va au-delà de la simple conclusion d’une intrigue ; c’est l’apogée d’une transformation intérieure des personnages.
Ce sacrifice n’est pas nécessairement physique ou fatal. Il peut l’être comme dans Des hommes et des dieux mais autrement ce sera un abandon, un renoncement ou accepter une destinée peut-être insatisfaisante en faveur de sa communauté ou bien d’un idéal.
C’est le caractère collectif qui importe, quand les personnages agissent de concert et renforce ainsi la puissance de leur décision.
Les personnages traversent un processus de maturation éthique et existentielle. L’autrice et l’auteur inventent alors les dilemmes nécessaires pour les forcer à réévaluer leurs valeurs et leurs priorités. Au cours de leur parcours, les personnages apprennent à dépasser leurs intérêts personnels. Ils développent une conscience collective qui les amène à considérer le bien-être du groupe ou d’une cause plus large comme supérieur à leurs désirs individuels.
Le sacrifice s’adresse à des craintes très communes telles que la peur de la mort, de la perte, ou du changement. C’est d’ailleurs assez passionnant d’observer les personnages surmonter leurs peurs, de les voir s’aligner sur des valeurs ou des principes qui les détachent de leur quotidien comme seul peut le faire la révélation d’une croyance, d’un idéal humaniste ou bien le besoin vital de s’engager envers une communauté.
Certes, le dénouement ne semble pas très positif. Néanmoins, bien que tragique parfois, il apporte une paix intérieure et une satisfaction morale aux personnages qui se communique jusqu’au lecteur/spectateur.
Cette harmonie entre des convictions et les actions qu’elles engendrent nous donne un sentiment de complétude et d’authenticité. Et nous sommes amenés à réfléchir à la solidarité, à la résistance face à l’oppression et à la force que nous pouvons nous-mêmes donner à nos propres convictions.
Le Nom des gens (2010) de Michel Leclerc
Dans cette comédie, l’intégration des personnages dans l’intrigue est réalisée de manière originale. Les parcours de Bahia, une jeune femme extravertie d’origine algérienne, et d’Arthur, un scientifique conservateur, s’enchevêtrent de façon inattendue. Leur évolution personnelle et leur relation constituent le fil conducteur de l’intrigue. Le dénouement démontre comment ces deux personnages aux antipodes l’un de l’autre parviennent à trouver un équilibre, complétant ainsi leur voyage personnel et commun.
La synthèse des opposés
La synthèse des opposés est une approche qui considère le développement des personnages comme un processus de réconciliation et d’intégration. Elle s’inspire en partie de concepts philosophiques comme la dialectique hégélienne, où la thèse et l’antithèse convergent vers une synthèse.
Le récit commence souvent par établir des contrastes marqués entre les personnages ou au sein d’un même personnage. Ces contradictions peuvent être idéologiques, culturelles, émotionnelles ou comportementales. Ici, point de refoulé car ce qui s’oppose est mis en évidence et génère alors de la tension et des situations conflictuelles. Ce qui s’expose ce sont les limites et les faiblesses de chacune des positions.
Le concept est assez simple : de l’expérience de l’autre, on reconnaît la valeur de ses perspectives ou de ses traits de caractère d’abord honnis. Cela engage de l’empathie mais pas seulement car cette reconnaissance est assez puissante pour que nous remettions en question nos propres convictions.
Et il y a évolution lorsque des aspects de cet opposé trouvent leur chemin en nous, dans notre propre personnalité ou dans la vision que nous avions du monde.
Il faut seulement prendre garde pour renforcer le propos de réserver au cours de l’intrigue des régressions ou des moments de doute. Le nœud majeur de cet arc dramatique se réalise lorsque ce qui était initialement perçus comme contraire à nos valeurs s’avère en fait nécessaire pour que nous saisissions la réalité dans sa totalité.
L’arc dramatique consiste à détruire une identité biaisée mais il ne s’agit pas de se compromettre avec soi-même. Au contraire, en s’ouvrant à l’autre, en acceptant qu’il soit différent, se constitue alors une nouvelle entité plus sincère envers ce que nous sommes vraiment.
Cela ne suggère nullement que nous nous fondions totalement dans l’autre. Les tensions persistent mais elles seront gérées de manière constructive. L’enjeu n’est pas d’annihiler l’autre mais du contact de cet autre de trouver en soi ce que des préjugés ou quoi que ce soit d’autre voilaient.
Un arc dramatique n’est rien d’autre qu’un mûrissement. En travaillant les arcs de vos personnages, vous éviterez les stéréotypes. Un arc dramatique n’oblitère pas non plus les rebondissements. Nous assistons à un processus de croissance et de maturation émotionnelle qui nous apporte la démonstration que la vie est faite d’une nuance de gris. Si nous ne voyons en l’autre qu’un antagonisme, alors nous nous aliénons envers nos propres préjugés. Nous manquerons d’esprit critique et nous nous rendrons vulnérables aux discours et manœuvres tendancieux. La synthèse est donc de trouver un point d’équilibre, une entente entre soi-même et l’autre qui n’est pas vraiment un alter ego.
Il y a une satisfaction en cela. Nos émotions, notre vécu ne sont pas niés dans cette reconnaissance. C’est seulement une réconciliation de l’esprit et du cœur. Au début, un enfant ne voit le monde que de façon manichéenne : il y a les gentils et les méchants. En grandissant, il apprend et découvre que la réalité n’est pas sa réalité. Et il en apprécie davantage sa situation. C’est d’autant plus positif que le personnage et nous d’ailleurs sommes plus flexibles face aux épreuves de la vie. Nous nous sommes libérés d’une vue rigide et sommes capables dorénavant d’accepter d’autres points de vue que le nôtre.
La satisfaction du lecteur/spectateur est faite de l’impression que l’itinéraire du personnage est cohérent avec la fin de son parcours. Celle-ci est fidèle à l’ensemble des expériences, des choix et des combats du personnage. Ce n’est pas parce qu’il y a une transformation que le passé du personnage est anéanti comme quelque chose d’honteux, mais plutôt à ce qu’il s’intègre de manière cohérente dans cette transformation. Chaque difficulté, chaque contradiction et chaque moment de croissance contribue à créer cette nouvelle identité. Ainsi, nous ressentons que cette évolution est authentique et méritée. Elle n’est pas forcée sur le personnage.
Intouchables (2011) de Olivier Nakache & Éric Toledano
Ce récit nous conte la relation improbable entre Philippe, un aristocrate tétraplégique, et Driss, son aide-soignant issu des banlieues. L’évolution de leur relation est au cœur de l’intrigue. Chaque personnage influence profondément l’autre, ce qui les conduit à des transformations personnelles tout à fait éloquentes. Le dénouement montre comment chacun a complété son parcours, Philippe retrouvant goût à la vie et Driss trouvant sa voie.
Une conclusion en forme de transformation mutuelle
Les trajectoires de Philippe et Driss sont intrinsèquement liées. Ils évoluent parallèlement. Le personnage principal ne sera pas le seul à connaître un changement. Cela signifie que notre développement personnel se fait à travers nos interactions avec autrui. Deux individus issus de classes sociales différentes, par le simple fait de leur rencontre, connaissent de vrais changements dans leurs personnalités respectives.
Philippe, invalide mais privilégié socialement, et Driss, au mieux de sa forme mais socialement marginalisé, échangent leurs points de vue. Chacun d’entre eux s’imprègne de l’expérience de l’autre et cet échange leur permet de remettre en question leurs propres limites, qu’elles soient physiques, sociales ou psychologiques.
Ce récit nous apporte la preuve de forces chez l’un qui compense les faiblesses de l’autre et réciproquement. Driss apporte à Philippe une vitalité et une spontanéité qui lui manque, tandis que Philippe offre à Driss une stabilité et des opportunités qu’il n’a jamais connues. C’est précisément cela qui est au cœur de leur transformation mutuelle.
Cette relation spéciale éclate les préjugés de classes, d’ethnie et physique. C’est une occasion de voir l’humanité autrement. L’un redécouvre le plaisir de vivre et l’autre explore son potentiel. Comme dans tout parcours héroïque, c’est une renaissance pour l’un comme pour l’autre. Mais sans pour autant, là non plus, oublier le passé. Par l’autre, ils se voient autrement. Et là aussi, nous avons un équilibre. Aucun des deux n’est le moyen de la rédemption de l’autre. Ils donnent et reçoivent mutuellement. Cet équilibre garantit un récit authentique car après cette période de cohabitation, ils persisteront dans leur nouvelle identité.
Chaque rencontre que nous faisons peut nous faire grandir si nous sommes ouverts à cette possibilité.