La narration fait référence aux techniques utilisées par les auteurs et les autrices pour organiser leurs récits sous une forme claire et satisfaisante pour la lectrice et le lecteur. Il s’agit d’ordonner les événements en une structure cohérente mais aussi de prendre des décisions concernant le portrait des personnages.
Un texte appartient en propre à son autrice et à son auteur qui reconstruisent à leur manière une version de la réalité. La manière dont un récit est présenté a le pouvoir d’influencer le point de vue du lecteur/spectateur sur les personnages et les lieux.
Cette influence est possible en regard des détails qui sont inclus dans le récit et ceux qui ne le sont pas. L’interprétation d’une scène est formée précisément par ce qui nous est donné à voir. Ce sont les codes narratifs qui nous divertissent et, dans le même temps, nous offrent un regard significatif sur le monde.
Roland Barthes
Selon Roland Barthes, les signifiants peuvent être regroupés en cinq codes narratifs qui se tissent entre eux pour former le récit.
Le code herméneutique
La question
Lorsqu’un auteur ou une autrice dissimule délibérément des informations au lecteur/spectateur pour laisser un point de l’intrigue inexpliqué, il ou elle utilise un code herméneutique. Nous devons nous forger notre propre interprétation de l’événement ou nous interroger sur la manière dont il pourrait être résolu plus tard dans le récit.
Selon Barthes, les auteurs et autrices peuvent utiliser des espèces d’énigmes et des réponses partielles à celles-ci avant que la lectrice et le lecteur ne découvrent la vérité et ne parviennent à une conclusion satisfaisante du récit. Ces informations conçues pour nous séduire et ces fausses-trappes ludiques retardent la résolution de l’affaire et nous maintiennent dans le texte.
Le mot énigme est souvent employé comme chez les autrices et les auteurs qui veulent que le lecteur/spectateur continue à deviner qui a commis le crime jusqu’à la révélation finale à la fin de l’histoire. Un code herméneutique est un élément inexpliqué qui soulève une question sans réponse, apparaissant souvent au début de tout récit, créant ainsi une tension qui interpelle le lecteur/spectateur.
Les codes herméneutiques sont à la base de tous les mystères. Une trame cohérente finira par expliquer et donc par résoudre toutes ces questions en suspens. Lorsque quelque chose d’inattendu se produit, nous essayons d’expliquer le pourquoi et le comment du phénomène. Nous observons ensuite attentivement pour savoir si notre interprétation est vraie. Si nous n’avons pas fait de prédiction, nous nous focalisons encore plus attentivement afin de pouvoir expliquer. C’est tout à fait dans la logique de notre entendement de chercher des causes ou des buts aux choses.
Le code herméneutique consiste à créer des questions. Il participe à la thématisation du récit, c’est-à-dire à mettre en relief l’idée véhiculée par le texte.
Comment la narration peut-elle porter une énigme ? En se contredisant elle-même. Par exemple, une héroïne vit à Venise alors qu’elle hait de toute son âme cette cité. Pourquoi y vit-elle ? Le thème dont il est question ici est la beauté. Une métaphore est établie entre l’éclat de Venise et celui de notre belle.
Ou bien Venise aurait pu être le théâtre de la mort de l’enfant de notre héros. Pour ce héros, Venise rappelle les souvenirs des moments heureux avec l’enfant mais aussi le moment de sa mort : contradiction ou systématique négation de ce qui est ou fut.
Le positionnement
Considérons cette affiche de Kiss of the Vampire. Placé à gauche en haut de l’image, le vampire attire aussitôt notre regard et suggère l’autorité, mais son regard vers un danger inconnu incite le lecteur/spectateur à s’interroger sur ce qui peut pousser cette figure d’autorité à être si craintive.
En bas à droite de l’image, l’homme agenouillé surélève son regard vers la vampire s’offrant ainsi lui-même d’une manière très soumise. De nouveau, nous nous interrogeons sur le pourquoi & le comment d’une telle posture d’impuissance.
L’énigme ainsi posée par ce positionnement retient le lecteur/spectateur qui exige déjà une réponse, une résolution narrative. Une autre scène pourrait être celle d’un PDG qui entre dans le bureau d’une secrétaire. Celle-ci est assise à son bureau et lui se tient debout devant elle. La figure d’autorité qu’il représente est indéniable.
Maintenant, le thème est que cette autorité est usurpée. Cette scène ne fonctionnera plus. Dans ce cas, la secrétaire pourrait être grimpée sur un tabouret pour ranger un dossier dans le haut d’un casier. Elle domine l’homme et nous nous interrogeons peut-être silencieusement sur les raisons de cette espèce de rébellion envers cet homme.
Le positionnement confirme la question initiale.
Sarrasine de Honoré de Balzac illustre les recherches de Roland Barthes. La question initiale qui porte le sujet ou thème est La Zambinella, un castrat dont le héros tombe follement amoureux. Et la formulation de la question est simplement Qui est Zambinella ?
Mais la réponse n’est pas donnée immédiatement. Seul une promesse est faite : Je vous dirais..
Le texte contient un tel code herméneutique (car c’est une question d’interprétation) : ce sont des entités ou des éléments qui articulent une question et sa réponse, ainsi que des événements qui préparent la question (tel pourrait être le positionnement) ou retardent sa réponse.
Souvent, je remarque qu’un personnage se fait un mensonge à lui-même : par exemple, à cause que dans son passé, il connût un événement traumatique, il peut se croire maintenant indigne de l’amour ou bien méfiant envers celui-ci.
C’est pourtant un mensonge de croire cela : chez Vladimir Propp ou Claude Bremond ou Roland Barthes, le mot utilisé est Fraude. Dans Sarrazine de Balzac, la fraude ressentie par le personnage principal est la découverte par Sarrazine du castrat. Dès ce moment, il jure ne plus jamais aimer ou de faire confiance à quiconque.
La fraude consiste à se donner du temps afin d’éviter l’inéluctable vérité. A la question Qui est-il ?, la réponse actuelle sera C’est un ami de.. Ce n’est pas un indice mais le moyen de retarder le nécessaire dénouement. On ne cherche pas à détourner l’attention du lecteur/spectateur mais à le maintenir dans le récit.
Équivoquer
Maintenant vient le moment de détourner l’attention du lecteur/spectateur qui consiste, selon Roland Barthes, en une proposition qui, en donnant quelques indices sur la vérité, entraîne le lecteur/spectateur à croire autrement. Pratiquement, cette équivocation sert à épaissir l’énigme ; surtout à maintenir aussi le lecteur/spectateur dans le récit mais en le divertissant cette fois.
Des informations sont ajoutées qui n’ont absolument aucun rapport avec la vérité ou bien des informations cruciales sont omises et qui serviraient la vérité autrement.
L’ironie dramatique qui consiste soit en l’ignorance d’un personnage alors que le lecteur/spectateur est informé ou bien lorsqu’un personnage connaît certaines informations qui n’ont pas encore été données au lecteur/spectateur ou bien encore quelques variantes : entre deux personnages, l’un peut connaître des choses que l’autre ignore et le lecteur/spectateur lui-même peut être informé tout comme le personnage qui détient une information inconnue de l’autre ou être lui aussi dans l’ignorance, est une forme possible de cette équivocation.
Rendre confus le lecteur/spectateur est aussi une technique pour éviter son détachement du récit principalement parce qu’il s’y ennuie. Il s’agit bien de divertir la lectrice et le lecteur car le manque de clarté actuelle s’illuminera lorsque la réponse sera enfin donnée.
Alors que l’ennui est fatal.
Parfois il apparaît que l’énigme ne puisse être résolue. Lorsqu’un personnage proche de l’héroïne ou du héros meurt alors que cette relation nous a été démontrée comme puissante, la question qui se formule dans notre esprit est de savoir comment notre héroïne ou notre héros pourra se remettre du désespoir dans lequel cette situation l’a jeté.
On peut assimiler ce moment à cette nuit obscure de l’âme au cours duquel tout semble perdu. Le désespoir est un début de réponse mais celle-ci semble suspendue car en effet, l’héroïne et le héros devront explorer leurs propres profondeurs afin de justifier l’effort qui les mènera vers la vérité.
Alors tout sera expliqué.
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