L’ANALEPSE

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L’analepse (ou flashback) sont comme les stratifications que le géologue découvre ou devine dans les sédiments. Ce sont des images de souvenirs, des dépôts du temps qui s’accumulent. Cette profondeur peut paraître inaccessible et elle l’est bien souvent mais notre esprit peut être sollicité par un quelconque stimulus et une mémoire involontaire réapparaît soudain.
En fiction, l’analepse est le moyen d’informer la lectrice et le lecteur sur le passé, sur l’histoire personnelle des personnages. Néanmoins, un avertissement doit être ici donné car l’analepse rompt le mouvement de l’histoire.

Posons par analogie que le déroulement du récit est le fil de trame d’une étoffe. Il possède donc une direction horizontale et les différentes lignes dramatiques qui le constituent sont parsemées d’événements de durées variables.
Nous avons ainsi une série d’événements qui assument la progression du récit et dont la succession confère au récit un rythme donné. Maintenant, un événement peut avoir eu lieu dans le passé (alors que le récit se conjugue au présent). Le souvenir qui surgit à ce moment est, si vous me permettez encore cette analogie, le fil de chaîne.

L’analepse présente une direction verticale. Mais pendant que l’on explore cette verticalité, le récit n’avance plus. Cette immobilité apparente est néanmoins très utile pour donner de la signification aux événements, de la profondeur au récit.
Parce que l’événement passé ne nous est pas décrit froidement mais selon la perspective du personnage qui se souvient. Et celle-ci est très subjective.

L’intrigue

L’intrigue pose des questions. Elle crée volontairement des lacunes dans le récit. Comme il ne faut laisser aucune question sans réponse, l’analepse sert alors à combler le non-dit d’un personnage. On ne peut cependant la proposer sans réflexion.

Posée au mauvais moment, l’analepse ne semblera pas appartenir au récit alors qu’elle fait partie de l’histoire (du moins de l’histoire personnelle du personnage). Ce qui caractérise l’histoire, ce sont des événements chronologiquement réglés, souvent liés logiquement (suivant une relation de cause à effet).
Le récit distribue ces événements selon sa propre exigence. Si un souvenir s’insère dans le fil de l’intrigue, c’est parce que celle-ci l’exige. Par exemple, l’analepse peut mettre en place les conditions d’une situation conflictuelle : un personnage refuse l’aide qu’on lui propose. Nous ne comprendrons sa position que lorsque l’autrice ou l’auteur nous auront fourni l’explication qui se trouve dans le passé du personnage (qu’ils auront d’ailleurs établi préalablement dans une espèce de courte biographie de ce personnage avant le processus d’écriture du récit proprement dit).

Comme l’analepse sert le conflit, elle acquière alors le droit d’être citée. Notons aussi que s’il existe une analepse (un retour vers le passé), un récit peut proposer une prolepse, c’est-à-dire une anticipation de ce qu’il se produira plus tard.
Néanmoins, l’analepse est la plus souvent utilisée. Elle nous fournira les raisons qui font qu’un personnage est ce qu’il est. Sinon, elle peut apparaître avec une intention de désorienter le lecteur/spectateur et participe à la tension dramatique. Ainsi, un personnage ne cesse de nous dire qu’il se considère en quelque sorte maudit par la malchance et effectivement, les détails (une tasse de café se renverse sur son journal intime, la chaîne qui retient le lustre cède et celui-ci s’écrase sur le sol au moment où il rentre dans son salon..) nous en donne la preuve.

Les raisons qui font qu’il se pense malchanceux nous seront révélées progressivement par de courts rappels d’un passé qui se révélera par bribes et qui ne seront pas données de manière chronologique. Les situations présentes seront ainsi l’occasion de faire réapparaître à la surface des moments désordonnés du passé que lectrice et lecteur devront réassemblés. Cet effort participe à l’immersion du lecteur/spectateur dans le récit.

Les séquences oniriques sont aussi possibles. Le passé est rappelé par ses moments les plus intenses. A chacun de voir si cette manière de faire lui convient.

Nostalgie

L’imparfait est décidément empesé de nostalgie. Le moment heureux mais d’autrefois permet la comparaison avec le maintenant du personnage. L’analepse facilite ainsi l’accès à l’émotion. Elle doit demeurer cependant un recours possible non une solution.
Considérons le personnage de Jessie dans Toy Story 2 : elle nous apparaît plutôt renfermée sur elle-même et sa peur du noir nous semble incompréhensible. Ces deux comportements nous seront alors révélés par de courtes analepses au cours de l’intrigue qui agit alors sur le personnage comme le ferait un thérapeute avec son patient névrosé.

Le souvenir ne surgit pas du néant. Quelque chose le déclenche. Il faut chercher une association même si celle-ci semble totalement illogique. L’analepse est un moyen de dire la passion. Elle a donc un but. Si elle n’augmente pas les enjeux pour le personnage dans sa situation actuelle, si elle ne participe pas ainsi à la progression de l’histoire (qu’elle a tendance à freiner) ou bien encore si elle ne nous informe pas sur le personnage ou l’un des thèmes traités par le récit, l’analepse serait une erreur.
Nous avons par exemple une jeune femme qui regarde la rue depuis son appartement. Son regard s’attarde sur une mère tenant un enfant par la main. Cette scène nous sert de transition vers le passé du personnage qui revit sous sa propre perspective le moment de la mort de sa mère alors qu’elle était encore une enfant.

Écrire une analepse, c’est commencer par répondre à quelques questions :

  • Qu’est-ce que le lecteur/spectateur a besoin de savoir sur le passé du personnage qui ne peut pas être montré dans une scène actuelle ?
  • Quel est le lieu de l’analepse ? Car de ce lieu dépend le moment rappelé dans le temps.
  • Qui sont les autres personnages qui apparaissent dans le souvenir ? Et pourquoi sont-ils présents dans ce passé ?

Le détail est un moyen de rendre le passé tangible. C’est d’ailleurs l’embarras avec les séquences oniriques car elles renvoient davantage sur des idées que sur des choses concrètes. Pour qu’elle puisse s’intégrer au récit, il faut s’assurer que l’analepse soit exploitée de manière intentionnelle et efficace. Quelles informations spécifiques et pertinentes donne t-elle sur vos personnages ou votre histoire ?
Par exemple, vous avez une scène avec un couple dans le bureau d’un conseiller conjugal auquel ils ont demandé de l’aide dans les difficultés que rencontre leur relation. Le lecteur/spectateur doit avoir une idée de l’histoire de ce couple et de sa dynamique actuelle pour que la scène ait l’impact qu’elle doit avoir. Peut-être qu’une occasion spécifique de leur passé (ou de leur présent récent) pourrait illustrer ces points clés de manière forte et vivante.

Dans cet exemple, il est essentiel que la lectrice et le lecteur aient une idée précise de ces personnages et de leur relation afin que nous nous sentions investis dans l’issue de cette scène de consultation (dont vous vous êtes déjà assuré qu’elle était essentielle à l’avancement de l’histoire principale).

Le dialogue est plus économique

Avant d’imaginer une scène spécifique, les personnages ne peuvent-ils dire eux-mêmes ce qu’il leur est arrivé par le passé ? Essayez de donner les mêmes informations que votre analepse dans une ligne de dialogue. Ou bien utilisez un objet qui appartient au passé ou bien encore élaborez une situation conflictuelle sur des éléments qui relèvent du passé.

Posez ces versions alternatives et demandez-vous si l’une d’entre elles vous semble encore plus puissante que l’analepse, ou a contrario si elles rendent nécessaire l’ajout d’une analepse.

L’analepse n’est pas un moment figé dans le temps. Elle possède sa propre ligne dramatique qui s’inscrit dans une durée. Cette action peut alors être découpée et désordonnée afin de donner au lecteur/spectateur des informations qui ne respectent pas un ordre chronologique mais nécessite de sa part une reconstitution comme un puzzle qu’il faut assembler pour saisir enfin sa signification.
Ainsi, l’analepse possède son propre élan, son propre devenir, qui la meut d’un point de départ à une arrivée.

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