RENDRE LE PERSONNAGE & L’HISTOIRE CRÉDIBLES

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Votre personnage ne trouve pas sa place chez votre lecteur ou votre lectrice. Ils ne croient pas en lui. Que faire ? Demande Dwight V. Swain.

Dans le langage imagé de Swain, le manque de crédibilité n’est rien d’autre que cela : un manque qu’il faut combler.

La crédibilité d’un personnage est indépendante de la qualité de l’histoire. D’une manière ou d’une autre, le personnage sonne faux (l’expression est identique dans la langue anglaise).

La suspension du jugement

Une fiction, c’est d’abord une suspension volontaire de juger de la crédibilité, de la véracité d’une chose. On ne s’étonne pas qu’une chose existe. On l’admet le temps de la fiction. Les lecteurs savent qu’une histoire n’est pas vraie. Mais dans leur rôle de lecteurs et lectrices de fiction, à un niveau inconscient peut-êre, ils prétendent que c’est vrai, l’acceptent et vivent l’histoire à travers les personnages.

personnageLe Monde Perdu d’Arthur Conan Doyle, par exemple, est un roman d’aventures fantastiques qui nous mène à la rencontre des animaux préhistoriques. Intellectuellement, la plupart des lecteurs savent qu’un tel « monde perdu » n’existe pas vraiment.

Mais le concept les fascine, alors ils lisent la suite, pris dans la même excitation que le professeur Challenger et ses compagnons. Pendant le temps qu’ils passent avec le livre, ils suspendent leur incrédulité, leur connaissance que la situation et l’histoire ne sont pas vraies. Et c’est ainsi aussi que l’on accepte le temps d’une fiction un personnage cauchemardesque comme celui de Freddie des Griffes de la Nuit de Wes Craven.

Si lecteur et lectrice répugnent à vous suivre, cela ne tient pas à votre histoire, rassure Dwight V. Swain. Elle n’est tout simplement pas parvenue à cette acceptation de l’imaginaire, à cette suspension de l’incrédulité. Prétendument, c’est à cause d’un défaut dans votre présentation des personnages.

personnage

Le nombre de possibilités est pratiquement infini. Mais elles peuvent se répartir en sept grandes catégories, selon Swain :

  1. La digression.
  2. Le manque de recherches.
  3. Trop dire votre histoire, vos mots ne créent pas d’images.
  4. Les motivations et les réactions ne coïncident pas.
  5. Les situations ne sont pas assez décrites.
  6. Ce que fait le personnage ne passe pas auprès du lecteur.
  7. Le personnage n’est pas sympathique.
Le manque de rigueur du point de vue

Le point de vue est l’angle ou la position à partir de laquelle vous présentez votre histoire. Habituellement, cela implique la sélection d’un narrateur qui raconte l’histoire ou dont l’expérience est indirectement partagée par le lecteur et la lectrice.

Le point de vue va bien au-delà du physique, rappelle Dwight V. Swain. Ce n’est pas seulement un personnage de fiction qui raconte une histoire ; c’est la façon dont nous percevons cette histoire. Et l’essence de cette réception réside dans les croyances, les attitudes et les préjugés du personnage tels qu’il nous les expose lui-même, dans l’émotion qui le motive dans telles ou telles circonstances, la façon dont il réagit à ce qu’il se passe dans la scène et les stimuli qui l’affectent au cours de cette scène.

Il y a une reconnaissance parce que nous-mêmes répondons différemment à chaque nouvelle rencontre que nous faisons, à chaque événement selon des attitudes, des sentiments que nous avons déjà éprouvés. Dit autrement, Dwight V. Swain prétend que notre vécu influence notre présent et il en serait de même avec cette copie d’une existence qu’est le personnage de fiction.

Est-ce que cette question d’émotions et de réactions conditionnées par l’expérience est limitée aux stimuli extérieurs ? Non, bien sûr que non, ajoute Dwight V. Swain. Nous répondons à tout ce qui nous entoure dans le monde sans que celui-ci agisse effectivement sur nous (le monde nous ignore tout simplement. C’est peut-être pour cela que nous souffrons tant à y trouver notre place).

Ce n’est pas tant une question de volonté. Nous répondons aux expériences nouvelles (personnes et événements) en leur appliquant des sentiments, un conditionnement (notre éducation, notre culture, nos expériences passées, la société dans laquelle on vit…).
Nous portons un jugement sur les événements et les circonstances ainsi que sur les personnes selon un regard nécessairement biaisé par ce que nous avons vécu. Et le souci alors, c’est que nos réponses fondées sur des expériences similaires n’ont aucune justification à solutionner le problème actuel. Là où cherche à en venir Dwight V. Swain, c’est que les attitudes d’un personnage sont déterminées par son vécu. Et il faut avoir en tête ce vécu (qu’il soit d’importance ou non pour l’intrigue) lorsqu’on élabore le personnage.

On pense le personnage pour pénétrer son point de vue. Et si l’histoire ne l’exige pas, ces expériences d’autrefois ne seront pas mentionnées tant que vous, auteur et auteure, vous avez travaillé les sources dont l’expérience nouvelle est forcément enveloppée.

Une identification voulue

Selon Dwight V. Swain, définir ce point de vue est la voie d’accès par laquelle le lecteur puisse comprendre un personnage. Les défauts d’un point de vue mènent à l’incrédulité lorsqu’ils embrouillent votre lecteur, lorsque les réactions d’un personnage vont à l’encontre de sa propre expérience avec la vie et autrui.

La confusion écarte le lecteur de la fluidité de l’histoire. Malgré lui, il fronce les sourcils. Raisonnement et questionnement remplacent l’état hypnotique induit par l’histoire et, trop souvent, l’incrédulité s’installe pour le remplacer, constate Dwight V. Swain.
En un mot, le point de vue est le regard du personnage par lequel le lecteur reçoit l’histoire. Ce que suggère Dwight V. Swain, c’est de se tenir à ce regard.

Et si le récit exige un changement de point de vue, il faut l’établir aussitôt dans l’esprit du lecteur. Le point de vue est donc un des vecteurs de l’empathie. Mais les lecteurs aiment rarement un personnage stupide comme point de vue. Pour prendre un exemple, l’héroïne dans un mystère ou une romance reçoit un message lui disant d’aller seule dans un ancien manoir à minuit pour une raison ou une autre.

L’héroïne y va — et le lecteur rejette totalement l’idée parce qu’il ne peut pas croire qu’une femme moderne qui possède un peu de bon sens puisse agir ainsi. L’héroïne a perdu sa sympathie et c’est toute l’histoire qui en pâtit. Il ne veut plus s’identifier à l’héroïne, parce qu’aucun d’entre nous ne veut se sentir stupide — ce que l’héroïne, qui se comporte de façon stupide, nous fait maintenant sentir. En ce qui concerne le lecteur, l’héroïne et l’histoire ne sont plus crédibles.

Si, au moins, elle avait une stratégie et que de se rendre en ce lieu improbable faisait partie de ce qu’elle avait planifié, l’échec serait encore accepté. Mais obéir aveuglément ainsi sans même s’étonner n’est décidément pas croyable.

Un autre écueil à éviter est d’offrir une trop grande intelligence du point de vue d’un personnage. Le héros ou l’héroïne acceptables se révéleront plus satisfaisants si il ou elle est un individu normal. Car la plupart d’entre nous sont moins qu’enthousiastes au sujet d’un individu que nous pensons trop intelligent. Pourquoi ? S’interroge Dwight V. Swain.
Parce que nous savons que nous-mêmes ne sommes pas si intelligents, et nous nous sentons inconfortables ou inférieurs à la personne qui nous est clairement supérieure, même si nous savons que c’est un personnage de fiction. Si le personnage est fondamentalement intelligent pour les besoins du récit, Dwight V. Swain conseille alors de travailler sa modestie. Une personne supérieurement intelligente mais humble ou présentant des petites manies la mettra davantage à notre portée.

Savoir de quoi l’on parle

Dwight V. Swain conseille de faire en sorte d’en connaître autant sur le sujet que le lecteur ou la lectrice qui le lit. Mais il pousse sa réflexion un peu plus loin. Trop souvent, dit-il, nous présumons que les autres — et partant, les personnages de fiction — ressentent et pensent comme nous le faisons, et ce n’est tout simplement pas le cas.

La distinction est importante. Se documenter aide à distinguer les choses, peut-être même apercevoir sous les apparences une réalité cachée et la faire toucher du doigt par le lecteur. L’idée pour qu’il touche du doigt une réalité que l’auteur ou l’autrice pensent avoir découverte est qu’il faut la lui montrer.

Dire son histoire, ce n’est pas raconter une histoire. Dans une œuvre de fiction, les mots sont porteurs d’abord d’images et ce sont les images qui apportent du sens et accessoirement de l’émotion. Certes, nos sens peuvent nous tromper. Et le sens visuel n’est pas le seul à évoquer des images, souvent du vécu d’ailleurs parce qu’une histoire, c’est un peu comme un rêve qui combine des morceaux d’expériences qui n’ont aucun lien de subordination entre elles (tout au plus une vague association) et qui colle les unes à la suite des autres des images d’un vécu reconfiguré.

Dwight V. Swain ne parle pas de croyance. Ce qu’il explique, c’est que de dire à quelqu’un que vous pouvez léviter rencontrera souvent de l’incrédulité. Cependant, si vous en faites la démonstration, et c’est ce que font les magiciens qui ne font pas que prétendre mais qui prouve par l’illusion, et vos déclarations auront alors les apparences de la vérité.

Par la démonstration, vous forcez votre interlocuteur à vous croire. L’image prouve le fait et c’est une des raisons de son pouvoir de manipulation.

Une histoire se compose d’une succession de scènes et de séquelles, comme autant de confrontations ou conflits ou bien de moments de transition ou de prise de décision. En général, remarque Dwight V. Swain, le déroulement d’une scène suit sa propre logique.

Il s’agit d’une série de motivations et de réactions : d’abord un stimulus extérieur au point de vue, puis la réponse du personnage selon son point de vue, forcément subjectif, à ce stimulus.
Et cette réponse suscite une autre motivation de la part de la personne ou de la circonstance en cause qui suscite une autre réaction et ainsi de suite, comme quand quelqu’un vous parle ; vous répondez ; l’autre personne répond à votre réponse ; ce qui vous amène à parler à nouveau, en faisant une autre remarque… jusqu’à ce que la scène, la confrontation, soit terminée.

Une scène, une unité de conflit par nature, est composée d’une série continue de ces unités de stimulus et réponse ou de motivation et réaction. C’est ce qui donne à vos lecteurs le sentiment qu’ils vivent cette expérience, dit Swain.

Si vous ne suivez pas ce modèle de développement, continue Swain, si vous construisez votre scène sans qu’une motivation ne conduise à une réaction, ou qu’une réaction se produise sans motivation à sa source (un effet sans cause), vous risquez d’ébranler la confiance de votre lecteur ou de votre lectrice en votre récit. La suspension de l’incrédulité accordée ne jouera plus.

C’est un problème de cohérence comme l’entend par ailleurs la théorie narrative Dramatica. Laissez votre lecteur être déséquilibré trop de fois, et il peut décider que quelque chose ne va pas avec votre histoire, même s’il ne peut pas dire quoi. Notons, toutefois, que Dwight V. Swain se situe au niveau de la scène et non pas du récit à partir duquel l’histoire agence les événements comme bon lui semble et peut présenter un effet avant que sa cause ne soit explicitée.

Une description incomplète

Les descriptions auxquelles pense Dwight V. Swain se fondent sur le Chekhov’s Gun. Par exemple : Le héros va avoir besoin d’une arme pour tuer le méchant de l’histoire ou au moins le tenir à distance.

Donc, vous révélerez la présence de cette arme (à l’attention de vos lecteurs) dans le tiroir du bureau dès les premières pages et vous laisserez quelqu’un du côté de votre héros en prendre conscience. Le lecteur aperçoit l’arme et maintenant, il sait que le personnage possède une arme. Ensuite, ce sera par exemple lors du climax (l’ultime moment de la confrontation) que cette arme sera utilisée, donc bien après qu’elle ait été annoncée.

Lors de la scène du climax, le héros se retrouvera un moment en très mauvaise posture. Le méchant est sur le point de remporter la partie. Seulement, l’allié du héros se souviendra de l’arme cachée et s’en emparera. Il s’agit de faire diversion car ce n’est pas à l’allié de résoudre le problème du héros. C’est au héros lui-même. Surtout qu’à ce moment de l’histoire, il a découvert tellement de choses sur lui-même, que son triomphe peut être mérité.

Mais cette intervention ne sera pas providentielle. Elle permettra au héros de reprendre le combat.
Le Chekhov’s Gun n’est pas nécessairement un objet. Ce peut être ainsi une qualité, une puissance que le personnage principal possédait déjà en lui mais qu’il ignorait. Ce sont ses tribulations au cours de l’intrigue qui lui permettront cette reconnaissance.

La mise en place du Chekhov’s Gun dès les premières pages du scénario consistera à montrer un indice qu’il existe chez le personnage un trait de caractère qui va le surprendre lui-même. Ce peut être un geste d’une banalité confondante comme d’aider une vieille dame à monter son sac de courses. Au moment de cette action, on ne comprend pas quel rapport cela peut-il avoir avec l’intrigue (rien ne devrait être gratuit dans une intrigue).

Lorsque votre personnage se fera par exemple agresser à l’étage de la vieille dame, alors celle-ci se manifestera ostensiblement en ouvrant sa porte et le téléphone à la main fera comprendre qu’elle est en train d’appeler les secours.

Cette possibilité est alors crédible parce qu’elle a été préparée précédemment par le geste du héros envers la vieille dame. Même si dans la vie réelle, on peut espérer un tel comportement d’une vieille dame, en fiction, il faut pouvoir justifier cette réaction en tant qu’effet d’une cause précédemment statuée.
Et il devrait en être de même avec des aptitudes. Si votre personnage parvient à réparer la radio de bord de son bateau en perdition, il est préférable que le lecteur ait compris bien avant cela que votre personnage sait manier un fer à souder.

Dans quelle mesure le réalisme est-il acceptable dans une histoire où le comportement de vos personnages est en cause ? La recherche du réalisme peut-elle jouer contre la fiction ? C’est quelque chose à considérer, estime Dwight V. Swain.

En fait, Swain ne répond pas vraiment à la question. Ce n’est pas une problématique liée à l’auteur ou à l’autrice mais plutôt à leurs lecteurs. Si le lecteur accepte ce qu’il se passe dans l’histoire, alors il reste dans l’histoire. Si cela le répugne, il n’y croira pas.

L’appréciation des personnages

Lecteur et lectrice ont semble t-il besoin d’une orientation émotionnelle plutôt positive pour apprécier une histoire et lui permettre de suspendre son incrédulité (et souvent son jugement vu la médiocrité de certaines œuvres).

Cette émotion recherchée s’obtient lorsque le personnage principal (celui sur lequel se porte généralement l’empathie du lecteur) se bat pour obtenir quelque chose. Cela lui donne un but et ajoute du suspense au récit. Pour que ce personnage soit crédible (dit autrement que son existence soit acceptée par le lecteur), il doit se conjuguer au présent. Quel que soit son monde, il le vit au présent.

Mais surtout, ce que dit Dwight V. Swain, ce personnage correspond à la réalité actuelle telle que vos lecteurs la connaissent.

Swain estime qu’il faut se concentrer sur les normes et les modèles de comportement de votre lectorat pour que celui-ci accroche à votre histoire. Le souci est que les mœurs et les standards ou même les références culturelles, les leaders (dans tous les domaines) et tout un tas d’autres choses sont choses changeantes.

Absolument rien n’est figé. Or un texte précisément grave des mots comme dans du marbre. Ce que semble vouloir dire Dwight V. Swain, c’est qu’une histoire peut être crédible à un moment et ne plus l’être à un autre plus tard.

Le lectorat d’aujourd’hui n’accepte peut-être pas une femme qui sacrifie une carrière florissante pour satisfaire l’ego de son mari en restant à la maison à préparer des conserves parce que ce n’est pas la société telle qu’il la connaît.
Swain donne l’exemple de Easy Rider. Sorti en 1969, ce film était totalement dans le comportement social de la mouvance hippie des années 60 et 70. Aujourd’hui, Swain n’est pas certain que cette histoire serait crédible parce que les temps ont changé.

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