Construire un scénario, c’est développer une idée, martèle CJ Johnson. Seulement, avoir cette idée et vouloir en faire un récit, voilà qui décourage de nombreuses tentatives. On craint de ne pas avoir en nous le pouvoir d’écrire.
Certes, pour un roman ou une nouvelle, le processus d’écriture est davantage celui de l’écrivain. Pour un scénario, la tâche est tout aussi difficile mais un scénario possède l’immense atout de pouvoir se construire.
Le scénariste est alors un artisan qui possède un savoir-faire, c’est-à-dire des méthodes pour construire son œuvre, la développer en quelque chose de fini.
Le produit fini est un tout qui présente une cohérence. Un scénario a la particularité de s’analyser en éléments indépendants les uns des autres. Ce qui crée le tout est alors la manière dont sont assemblés ces éléments. C’est le principe des index cards sur lesquelles chaque scène est décrite et qu’on peut mouvoir pour les configurer efficacement afin qu’ils fonctionnent ensemble dans l’intention d’un tout.
Écrivez sur ce qui vous parle
CJ Johnson rappelle qu’il ne s’agit pas d’écrire sur soi. Décrire sa propre vie s’avérerait probablement ennuyeux à lire. Posons que vous ayez vu un film ou une série qui vous a laissé une impression tenace. Vous vous interrogez sur cette émotion et vous inférez de votre analyse réflexive ce qui a provoqué ce ressenti.
Vous avez cette expérience en vous. Vous pouvez maintenant la comparer avec votre vécu, avec toutes les relations que vous avez eues. Puis comprendre pourquoi cette émotion particulière vous a tant bouleversé. Alors vous allez écrire et réécrire des scènes pour en fin de compte recréer la même émotion chez quelqu’un qui lira votre scénario.
L’idée est l’effet recherché. Mais cette manière de représenter votre idée en quelque chose de dramatique, ce n’est pas parler de vous. Bien au contraire, le récit auquel vous aboutirez est l’illustration d’un message que vous tentez de faire passer. Voilà en quoi vous vous impliquez dans votre récit.
Peut-être y a t-il des choses innées en vous qui s’imposeront comme une évidence mais aussi ce degré d’implication dans votre récit dépend de la quantité et de la qualité de vos expériences. L’authenticité de vos écrits, de votre parole, a besoin d’une proximité entre ce dont vous parlez et comment vous l’avez éprouvé.
Vous pourriez m’objecter que pour parler d’un amour perdu, me faut-il vraiment avoir connu l’expérience d’une telle perte ? Pas forcément car sans avoir un degré de conscience suffisant, il suffit qu’il y ait un trouble en soi, une modification de l’état cénesthésique que l’on ne s’explique pas vraiment et qui donne à percevoir de manière tout à fait interne ce que peut être la perte d’un amour et d’en éprouver un malaise sans même l’avoir vécue.
C’est une expérience interne face à un phénomène auquel nous n’avons peut-être pas été confronté et qui, pourtant, nous bouleverse.
Ainsi, vous parlez de quelque chose que vous connaissez. Mais si vous n’avez pas vécu personnellement ce dont vous souhaitez parler, rencontrez des personnes qui ont participé aux événements que vous souhaitez décrire dans votre récit. Ainsi, vous confronterez votre idée avec des points de vue subjectifs. L’authenticité et la cohérence de votre récit seront assurées par les témoignages que vous glanerez au cours de vos recherches sur votre sujet [notez qu’en plus des personnes, les sources d’information ne manquent pas : bibliothèques, internet, cinéma et télévision, la presse ou les revues spécialisées…].
La structure en trois actes
Depuis Aristote, il est communément admis qu’une histoire s’articule en un début, un milieu et une fin. Entre un commencement et un dénouement, des choses arrivent. CJ Johnson se remémore Syd Field et sa distribution arbitraire de 25% des pages autant pour le commencement que la conclusion et donc 50% des pages pour l’acte Deux. Un autre calcul serait pour un scénario de 100 pages par exemple : 30 pages pour l’acte Un, autant pour l’acte Trois et ainsi, 40 pages pour l’acte Deux.
Ne prenez pas ces nombres à la lettre : Considérez plutôt que pour rendre votre récit intelligible, il sera utile d’abord d’exposer les choses, c’est-à-dire de présenter et de distinguer les personnages, de les situer dans un environnement. Ensuite, des choses leur arrivent. En effet, une intrigue, c’est-à-dire l’espace de l’acte Deux, est une succession d’événements. Ce sont des moments, des instants que nous partageons avec les personnages.
Puis vient le moment où le personnage principal a résolu son problème, souvent existentiel d’ailleurs. Il a certes un objectif à accomplir dans cette histoire dont on ne sait jamais s’il réussira ou non mais surtout, intimement, il doit se mettre en paix avec lui-même ou elle-même. Ainsi, la mort peut être une rédemption ou inversement, l’acceptation d’un deuil sera la solution.
La structure en trois actes est une forme d’expression parmi beaucoup d’autres. Seulement, depuis Aristote, on prétend que, pour que le discours soit compréhensible, qu’il ait un impact sur le lecteur/spectateur (ou auditeur), cette structure théorisée en trois actes est néanmoins ce qu’il y a de plus pratique.
Un protagoniste et un antagoniste
Pour qu’une histoire soit dramatique, il lui faut du conflit. Dans la définition du conflit, il entre deux fonctions, deux activités : le protagoniste qui a en charge l’avancée du récit vers sa conclusion et un antagoniste dont l’existence même est de contrecarrer cette intention du protagoniste.
Ce qu’il importe de comprendre est que la fonction n’est pas une condition suffisante. La notion de personnage principal sera certainement votre tâche la plus fascinante. Vous incarnez la fonction dans une subjectivité, dans un être humain. Vous fouillez le fonds d’une personnalité et vous allez lui donner un but motivé.
Il en sera de même avec l’antagoniste qui représente une force qui, d’une manière ou d’une autre, volontairement ou non, s’opposera à ce désir du personnage principal. Vous pourriez avoir deux personnages, tous deux animés d’une volonté de vivre, de trouver leur place dans le monde, qui ne se connaissent pas et pourtant, par le fait même de ces volontés distinctes, s’opposer dans une sorte de frottement jusqu’à ce que l’un d’entre eux domine l’autre.
Il peut être compliqué d’admettre que dans une histoire d’amour, une Love Story, il y ait un méchant de l’histoire. Et pourtant, c’est le cas. Deux êtres se rencontrent. Qu’ils soient manifestement attirés l’un vers l’autre ou non, la convention du genre romantique fait que le lecteur/spectateur souhaite inconsciemment qu’ils connaissent un véritable amour.
Mais dans l’acte Deux, des complications surgiront empêchant cet amour naissant de s’accomplir pleinement. Le fait est que l’un des deux aura des raisons tout à fait légitimes de se montrer réticent envers cet idéal. Il représentera un obstacle à l’amour et en tant que tel, il sera considéré comme le méchant de l’histoire même si ses actes n’ont rien de machiavélique.
La tâche du personnage principal sera alors de vaincre les réticences, de surmonter les obstacles afin de convaincre l’autre qu’accepter cet amour est la seule voie possible pour le bonheur. Dans une telle relation, vous devrez faire ressortir les émotions qui agitent ces personnages. Même si, psychologiquement, il s’agit pour l’autre de gagner en confiance sur lui-même (et cet autre peut être autant le protagoniste que l’antagoniste), dans chaque scène où ils sont ensemble, l’émotion devrait transcender.
Le protagoniste est proactif
Pourquoi le protagoniste devrait-il être le facteur essentiel du mouvement de l’intrigue ? Probablement parce qu’à la fin du premier acte, il prend la décision de s’engager dans son aventure. Il prend conscience de son problème et décide de le résoudre.
Certes un mentor pourrait le guider vers cette décision mais c’est le protagoniste qui décide. Maintenant il a une intention. Fort de cette volonté nouvelle, il prend en main les rênes de l’intrigue. Dans Le Verdict, par exemple, Frank est un avocat à la dérive. A fin de l’acte Un, lorsqu’il est face à cette jeune fille dans le coma à l’hôpital, soudain il réalise qu’il doit réussir cette affaire non seulement pour rendre justice à cette jeune fille, victime d’une erreur médicale, mais aussi parce qu’intérieurement, il ressent le besoin de changer.
Aristote ne disait rien de moins : le mouvement est changement. Le protagoniste en tant que personnage principal passera autant d’épreuves successives pour l’amener progressivement à devenir autre, certainement plus conforme à sa véritable nature.
C’est aussi ce qui distingue le protagoniste de l’antagoniste car l’antagoniste ne change pas. L’antagoniste n’a rien à apprendre des tribulations et pérégrinations du protagoniste. Dans une comédie romantique, une jeune femme pourrait avoir connu tant de déceptions amoureuses qu’elle est aveugle des sentiments sincères qu’un Love Interest pourrait lui adresser.
Mais le Love Interest est un archétype, une fonction de l’histoire différente du protagoniste ou de l’antagoniste. En effet, le véritable antagoniste est la jeune femme elle-même si elle est aussi le protagoniste ou personnage principal.
Elle est le principal obstacle à sa quête de bonheur. Si elle ne vainc pas l’antagoniste, si elle ne change pas, elle échouera définitivement dans une solitude sans fin. Si vous hésitez entre deux personnages pour ne choisir qu’un protagoniste (et un seul), demandez-vous lequel des deux a le plus intérêt à changer, le plus à perdre s’il ne change pas.
Deux options s’offrent à vous pour le personnage principal : soit il doit changer radicalement de personnalité. Par exemple, s’il est un être hésitant, il doit apprendre à se faire confiance.
Soit il renforce un trait particulier. Par exemple, la relation entre un père et son fils est distante mais le sentiment filial du garçon est bien présent, ténu au début du récit puis, progressivement au cours de l’intrigue, il se rapprochera de son père parce que les épreuves qu’il vivra pendant cet acte Deux lui auront ouvert les yeux sur l’importance de ce père.
Ce n’est pas seulement un point de vue différent sur le monde. Le personnage principal est soumis à un puissant bouleversement émotionnel. Cette émotion nouvelle qui l’envahit est ce qui lui ouvre les yeux. C’est une révélation, une anagnorisis, c’est-à-dire ce moment où l’illusion s’effondre et fait place à une vérité, sa vérité.
Le conflit
Le conflit devrait être présent dans la plupart des scènes. Prenez deux personnages. L’un fait une proposition à l’autre mais l’autre ne l’acceptera jamais d’emblée. A la fin de la scène ou de la séquence si l’action s’écoule sur plusieurs scènes, les personnages seront peut-être d’accord mais cette harmonie ne peut être trouvée immédiatement.
Robert McKee explique cela en termes de polarité. Si la valeur est positive au début de la scène ou de la séquence, elle sera négative à la fin et inversement. Dans mon exemple ci-dessus, le refus initial (source de conflit) deviendra accord et l’aventure continue jusqu’au prochain conflit.
Ce qu’il faut retenir du conflit, c’est que c’est par lui que le personnage principal peut grandir à travers son aventure. CJ Johnson prend l’exemple de A Star is Born (2018) de Bradley Cooper, Will Felters et Eric Roth. Lorsque nous faisons la connaissance de Jackson Maine, c’est une star de country adulée. Seulement il est un alcoolique invétéré. Voyez dans la définition de ce personnage un aspect extérieur, la célébrité ET cette addiction qui le mine de l’intérieur. Ainsi, vous avez une facette du personnage qui est tourné vers l’extérieur mais aussi une dimension qui le brûle de l’intérieur. Et ces deux dimensions s’opposent.
Cette lutte mènera Jackson Maine jusqu’au suicide. Néanmoins, cette tendance suicidaire nous est donnée dès l’acte Un. Jackson Maine n’est pas passé d’étapes en étapes successives jusqu’à concevoir le suicide. Il n’a pas changé. Selon les termes de Aristote, Maine est donc passé de la puissance à l’acte, d’une intention à l’accomplissement de celle-ci en se suicidant.
Jackson Maine ne peut donc être le protagoniste. Lorsque nous rencontrons Ally, il est manifeste qu’elle est une chanteuse talentueuse mais qui n’a pas encore connu le succès. En cela, elle est aux antipodes de Jackson Maine. Maine est un chanteur confirmé et connu. Ally est débutante et inconnue.
Marquez les différences. La différence est autant dramatique que le conflit. Ally est jeune. Elle ne sait pas encore ce qu’est l’amour et n’a pas encore appris grand chose de la vie.
Quand vient le dénouement, Ally est célèbre (c’est l’aspect extérieur, celui tourné vers le monde) et sur le plan émotionnel, Ally non seulement a connu l’amour mais aussi l’a perdu. En fiction, vous posez un concept, une idée… posez aussi ce qui le ou la contredit.
Tout au long de l’intrigue, Ally ne cesse de lutter contre les travers de Jackson. Jackson ne cherche pas à lui nuire mais ses addictions et tout ce qui fait qu’il est lui entrave le développement du personnage de Ally.
Ainsi, Ally est le protagoniste parce que c’est elle qui change. Que vous ayez deux personnages ou un seul, le conflit s’exprime essentiellement dans l’opposition incarnée entre un protagoniste et une force antagoniste qui n’est pas nécessairement le méchant de l’histoire. C’est plutôt une contradiction qui vous permet de poser un argument. Vous présentez deux points de vue contradictoires et au moment du climax, de l’ultime confrontation, vous établissez votre plaidoyer et laissez le lecteur/spectateur juger par lui-même de la valeur de votre argumentation.
Les enjeux
Une action devrait être motivée. On ne peut pas vraiment comprendre pourquoi un personnage s’arc-boute avec autant d’acharnement vers l’obtention d’un objectif s’il n’est pas motivé à agir ainsi. C’est ainsi que l’enjeu entre en ligne de compte. Un enjeu peut justifier un sacrifice. Comment admettre en effet qu’un héros risque sa vie s’il n’est pas personnellement concerné par la perte qu’il encoure s’il ne prend pas ce risque ?
L’enjeu maintient l’attention des lecteurs et lectrices sur le but. La question dramatique majeure, savoir si le héros ou l’héroïne triompheront ou non, est alimentée par l’enjeu. Que nous importe s’ils réussissent ou non si nous ne comprenons pas pourquoi ils font ce qu’ils font ? Alors que le personnage principal est le vecteur par lequel l’empathie se crée et se canalise, l’enjeu détermine l’engagement du lecteur/spectateur dans le récit.
L’enjeu incitera le lecteur à suspendre son incrédulité. La croyance en ce qu’il lui est raconté passe par la condition d’un enjeu crédible. Par exemple, un train fou chargé d’une matière hautement explosive ne se dirigera pas vers la campagne où la catastrophe pourrait être de moindre envergure. Il est préférable que la cible soit une ville fortement peuplée.
En somme, plus l’enjeu est gros, plus on y croit. Cette étendue n’est pas seulement liée aux catastrophes naturelles ou artificielles. Sauver l’amour de sa vie d’une mort certaine sera un enjeu individuel considérable. Échouer à cela, et si le personnage ne parvient pas à faire le deuil de cette perte, ce sera une tragédie.
Donc, ce n’est pas trois personnes qui mourront mais des millions. Ce ne sera pas la perte d’un amour mais un désespoir si intense qu’on pensera ressentir le néant. Plus vous pousserez les enjeux à leur maximum (sur un plan individuel ou non), plus vous passionnerez vos lecteurs (le personnage principal a davantage en charge de les fasciner).
L’enjeu est relatif à la situation. Alors quelle qu’elle soit, vous pourrez toujours y placer un enjeu adapté. Le vol d’un vélo en soi n’est point chose grave. Mais s’il est attaché à ce vélo une valeur sentimentale (il peut être le symbole d’un passé perdu) alors votre personnage principal sera amené à faire des choses dont lui-même ne se sentait pas capable.
Le contexte
Le contexte est l’univers dans lequel les situations se déploient. Il ne s’agit pas seulement d’une simple inscription dans un substrat quelconque. En fait, les situations prennent place contre le monde dans lequel elles existent.
Habituellement, c’est le personnage principal qui lutte contre son environnement. Il peut être l’objet d’une injustice ou être témoin d’une transgression et décider de la réparer.
Ce monde pourrait être aussi cet autre qui emplit tout votre univers. Qu’il vienne à disparaître et l’absence cruelle devra être comblée. Enjeu et contexte se rejoignent.
Le contexte est ce milieu dans lequel les choses existent. Tout comme dans la nature, sauf que la fiction permet de créer un milieu dans lequel, par exemple, les fantômes existent. C’est une des propriétés d’un personnage que d’exister dans un milieu. Il n’en dépend pas vraiment car pour un seul personnage, une multiplicité de milieux sont possibles.
Le contexte n’est pas seulement une combinaison d’un lieu et d’un temps. Il est aussi un ensemble de circonstances qui formeront les contours physiques, spirituels et intellectuels qui délimiteront les actions, les mouvements ou les changements des personnages.
Les thèmes
Tout récit est à propos de quelque chose. Il s’agit d’idées souvent universelles comme l’amour ou la perte ou la quête de pouvoirs… Ce sont des choses abstraites qui seront illustrées ou représentées dans le récit.
Vouloir jouer un rôle socialement pour s’extraire de l’anonymat est une exploration thématique sur la quête du sens de son existence par exemple. En effet, un thème est l’exploration d’un problème spirituel, philosophique…
Ce sont des sujets qui intéressent en premier lieu l’auteur ou l’autrice. Vous pourriez vouloir conter l’histoire de deux êtres qui apprendront à s’aimer et dans le même coup, vous solliciterez des thèmes comme l’addiction par exemple pour explorer comment la nature humaine est incapable d’aimer. Ce que l’on met en avant dans les thèmes, c’est la nature des choses. Qu’est-ce que l’amour ? Qu’est-ce que la haine ? Qu’est-ce que la vieillesse ? Ce sont des thématiques que vous souhaitez explorer.
Il s’agit de fouiller en vous, de vous interroger sur vos préjugés, sur vos convictions, sur votre propre place dans le monde. L’auteur et l’autrice se dévoilent dans les thèmes qu’ils explorent.
Néanmoins, et c’est important, ils n’apportent pas de réponses. Les thèmes appartiennent à votre argumentation. Ils sont illustrés par des faits, des événements mais en fin de compte, vous laissez le lecteur/spectateur décider par lui-même de ses propres conclusions sur ce que vous avez à dire.
Ni morale, ni propagande ne sont requises pour écrire des histoires.
Quand le banal s’ouvre sur un récit passionnant
Posons le simple concept de se payer un café chaque matin dans le même bistrot depuis des années. Comment appliquer à ce concept une structure en trois actes ? D’abord l’exposition. Il nous est donné l’information que notre personnage principal se rend chaque matin dans le même bistrot depuis des années.
L’acte Deux, l’espace de l’intrigue, consiste à se faire servir son café au comptoir par le patron. Quant à l’acte Trois, il illustre la satisfaction éprouvée par le personnage. Son désir est accompli. Notons que l’acte Deux contient plus d’actions que les deux autres actes. L’acte Un prépare l’action, l’acte Trois décrit un résultat. L’acte Deux illustre une succession d’actions ou d’événements qui possèdent chacun une durée singulière. Ces durées cumulées expliquent naturellement que l’intrigue est plus large ou plus longue que ces deux compères.
Maintenant pour sortir cette structure en trois actes de l’ennui manifeste qu’elle véhicule, l’histoire a besoin d’un protagoniste et d’un antagoniste ou d’une force antagoniste. Le protagoniste est une condition immanente à l’idée : nous avons notre personnage principal armé d’une habitude tenace dont l’accomplissement est l’objectif.
Chaque héros a un but claire et distinct dès le premier acte : la question dramatique qui s’impose alors dans l’esprit du lecteur/spectateur est de savoir s’il réussira ou non à obtenir ce qu’il veut et dans lequel il met un acharnement hors du commun. Dans cet exemple, notre protagoniste est prêt à tout pour avoir son café quotidien.
Maintenant où trouver l’antagoniste ? Sur le chemin qui mène au bistrot, il peut se produire beaucoup d’événements. Ils peuvent retarder le moment de la satisfaction mais ces événements en soi ont-ils une réelle volonté à ce que notre héros ne déguste son café quotidien ?
Déterminer une intention consiste à la placer dans une subjectivité. De deux subjectivités qui se frottent l’une à l’autre, il se crée une situation conflictuelle. Qui dans l’acte Deux est le plus à même de refuser à notre héros (ou notre héroïne) son ordinaire péché mignon ? Précisément, ce même patron qui le lui prépare depuis toutes ces années.
Mes ruminations pour le moment me font extrapoler sur la fonction d’antagoniste mais je n’ai pas encore inventé de quelconques motifs. Je sais seulement qu’il me faut incarner une opposition.
Et le conflit s’installe
Penser le conflit, c’est penser aussi aux enjeux. Concevoir une situation conflictuelle intéressante est liée à ce que les personnages ont à gagner ou à perdre. Et cela se produit jusqu’au niveau de la scène. Qu’est-ce que mon personnage a à gagner ou à perdre dans cet acte Deux ? Qu’est-ce que le patron a à gagner ou à perdre ?
Dit autrement, qu’est-ce qui préoccupe les personnages ? S’il y a une inquiétude, une menace quelconque, c’est que l’un des personnages craint de ne pas avoir ce qu’il veut ou de perdre quelque chose auquel il tient.
Ici, dans notre exemple, notre personnage principal n’apprécie que le café issu de ce vieux percolateur. Or, il a rendu l’âme et le patron s’en est offert un nouveau. Notre héros ne peut plus avoir ce qu’il veut. Il lui faut accepter de goûter un nouveau café. Mais il s’y refuse.
Car il n’est pas prêt pour un tel changement. Il est face à un dilemme : soit il accepte de changer ses habitudes, soit il sera terriblement déçu. Du point de vue psychologique, c’est une véritable torture. Notre personnage ne fait pas dans la demi-mesure. Mais l’enjeu ne concerne que lui. Un observateur dirait que ce n’est pas si dramatique et que ce pourrait être une expérience enrichissante de goûter un nouveau café.
Mais pour le personnage, le café auquel il est habitué est comme un art de vivre. Il ne peut pas en changer. C’est impossible sans se remettre en question. L’enjeu pour lui est d’une importance capitale aussi futile que cela puisse paraître aux yeux des autres. C’est de cette différence de regards que naît la situation conflictuelle.
Maintenant, le ou les thèmes s’invitent dans l’équation. Qu’est-ce que ce comportement, cette attitude du personnage nous expliquent-ils sur lui ? Qu’a t-il pu se passer dans son passé pour une telle obsession ? C’est dans son histoire personnelle que vous trouverez les raisons et les motivations qui le font agir ainsi.
De mes ruminations apparaît alors l’image d’un vieillard et nous pouvons de ce fait imaginer que ce petit rituel matinal était une habitude que lui et sa femme appréciaient plus que tout. Or l’amour de toute une vie ne dure pas. La mort emporte tout sauf les souvenirs.
Il y a quelque chose de sacré à maintenir cette habitude. L’absence cruelle est dissoute le temps d’un moment. C’est le thème de la perte et du deuil qui est ainsi exploré. Ainsi, vous développez plus intimement, plus en profondeur votre personnage mais vous enrichissez aussi votre histoire.
La situation conflictuelle
Bien sûr, le patron du bistrot ne peut pas comprendre l’entêtement du vieillard. Dès qu’il le voyait arriver, il lui servait son café. Aucun échange de mots n’était nécessaire. Alors pourquoi s’inquiéter de la petite manie d’un vieillard ?
Et maintenant qu’il lui est impossible de lui servir un café du vieux percolateur, l’incompréhension s’installe entre les deux personnages. Aucune issue, aucun arrangement ne semble possible.
Le genre importe peu. Vous posez votre idée, vous la développez comme je viens de le faire et vous l’enveloppez dans votre genre de prédilection.
Merci de m’avoir lu jusque là. Et puis, si vous estimez que mon travail qui consiste à partager des connaissances, sert à la communauté des auteurs et des autrices dont vous faites partie, merci aussi de penser de temps en temps à faire un don à Scenar Mag. Quelques euros suffisent pour que nous persévérions à vos côtés encore de nombreuses années. Faites un don. Merci