NARRATEUR

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Une narration est un texte dans lequel un agent narratif conte ou raconte une histoire. La narration constitue une couche et se mêle aux autres éléments constitutifs d’un récit.

La toute première problématique à résoudre lorsqu’on emploie un narrateur est de connaître l’identité et le statut de cet agent narratif.

Être narrateur, c’est tenir une fonction au même titre que le ferait un archétype. Cette fonction consiste à s’exprimer soi-même au-travers d’un langage qui constitue le texte. Un narrateur ou une narratrice ne sont cependant pas l’auteur ou l’autrice.

Bien que les expériences personnelles de l’auteur ou de l’autrice, leur situation historique et leur culture influencent grandement l’écriture, ce sera l’un de leurs personnages qui contera le récit dans un contexte qui lui appartient en propre et non à l’auteur.

Le narrateur interprète son monde

Le narrateur ou la narratrice d’un récit mettent en place des limites. Ils excluent des faits, des idées, des informations et forcent en quelque sorte l’auteur et l’autrice à s’autocensurer.

Lorsqu’un narrateur intervient dans un récit, peu de place est laissée à l’interprétation du lecteur ou de la lectrice dont la contribution ou participation au texte consiste à se laisser convaincre par la force de persuasion de cette voix.

Les positions idéologiques ou morales d’un narrateur ne se réfèrent donc pas à l’auteur ou à l’autrice et à leurs propres points de vue sur le monde, sur notre réalité. Le narrateur n’est pas ce que pensent un auteur ou une autrice mais plutôt une quête de sens, une investigation.
C’est l’interprétation du narrateur qui doit être questionnée et non l’auteur ou l’autrice dont on considère à tort qu’ils se sont projetés dans ce narrateur. Un récit est autonome.

Il existe de nombreuses possibilités pour un narrateur ou une narratrice de se manifester eux-mêmes dans un texte ou d’ailleurs dans tout autre média.
Ce qu’il faut retenir est que l’identité d’un narrateur et la force et la manière dont cette identité est indiquée dans le texte focalise l’attention du lecteur et de la lectrice. Parce qu’essentiellement, cette voix spécifique raconte une histoire. Le narrateur est l’instrument de cette focalisation. Il est une technique narrative assez complète qui recouvre de larges aspects des techniques de narration. Le narrateur peut signifier le passé, nous introduire à l’action alors que celle-ci a déjà commencé (In media res, littéralement au milieu des choses), peut nous décrocher de l’action actuelle pour temporairement nous envoyer vers le passé (analepse) et même jusqu’à détourner notre attention d’un détail d’importance afin de brouiller les pistes (Red herring en langue anglaise).

Ce seront les mots prononcés par le narrateur ou la narratrice qui formeront un point de vue spécifique sur le monde inventé. Il apparaît donc que le narrateur serait d’abord un observateur de ce qu’il se passe et en tant que tel sa subjectivité interfère dans l’interprétation.

Et si le narrateur n’est pas le personnage principal

Le personnage principal est celui ou celle qui attire sur lui ou elle l’empathie du lecteur ou de la lectrice. Le personnage principal est donc l’instrument de la focalisation de l’attention du lecteur/spectateur.

narrateurConsidérons La liste de Schindler de Steven Spielberg. Au début, Schindler n’est qu’un nazi parmi d’autres, socialisant avec eux, profitant de la guerre et des confiscations des Juifs. Mais pour ce faire, il doit traiter avec un Juif en particulier : Itzhac Stern.
La principale forme de narration au cinéma est de nous montrer les choses. Nous ne sommes pas censés savoir que cet homme détestable qu’est Schindler deviendra un homme bon. Il n’y a pas de moments particuliers en lui ou d’explications données par les auteurs, seulement, à un moment donné, il change.

Comment cela nous est-il narré ? S’est-il converti ? La conversion est un concept du christianisme. Schindler était un chrétien, même s’il utilisait l’église pour faire des affaires ; mais culturellement, il était chrétien.
La distinction entre narrateur et personnage principal est ici cruciale. En effet, la scène de conversion implique une déclaration importante sur le regard de Schindler sur le monde : la conversion (ou révélation) est définie comme le fait de voir, non pas dans un sens social ou psychologique, mais dans un sens narratif ; voir différemment, et le fait de voir les choses différemment réoriente le récit, rend le personnage différent.

Le revirement consiste, pour Schindler, à voir des individus au lieu de la bureaucratie dévastatrice et déshumanisante des chiffres. Le moment de lucidité de Schindler se produit – c’est ainsi que du moins cela est raconté – lorsqu’il observe la destruction du ghetto du haut d’une colline, à cheval. Cette scène met l’accent sur une vue du haut vers le bas, qui est généralement – dans le discours visuel de la culture occidentale – un regard qui colonise tout entier le personnage.

Plus tard, par une autre intervention du narrateur visuel, ce regard trouve un écho dans celui du jumeau maléfique de Schindler, Amon Goeth.
Goeth surveille le camp depuis le balcon de sa villa, ce qui lui donne l’impulsion de tirer sur les détenus au hasard. Ce sont les deux extrêmes opposés d’un regard descendant. Il existe donc bien un narrateur pour nous montrer ces deux réactions opposées à un événement visuel similaire.

L’image comme narratrice

Au cours de cette scène de conversion, Schindler voit l’horreur de ce à quoi il a participé jusqu’à présent, lorsqu’il voit une petite fille, dont le manteau rouge est la seule couleur du film. Cette utilisation de la couleur est un effet de style de la narration ; le fait est que Schindler la voit et agit en fonction de cette perception ou perspective ou point de vue.

Plus tard, lors de l’holocauste, l’un des corps sur un chariot est également coloré de ce rouge ; et là encore, le regard de Schindler le suit. Ainsi, le narrateur visuel unie l’itinéraire spirituel de Schindler, du mal au bien, avec l’itinéraire de la jeune fille, de la vie à la mort.
Ce n’est qu’en analysant cette narration que nous pouvons voir que ce film, au moins dans ces moments, ne glorifie pas l’ancien profiteur mais marque le fait fatal que sa conversion est « toujours-déjà » trop tardive ; que le sacrifice l’accompagne car près avoir sacrifié son existence et ses moyens de subsistance pour sauver plus de 1 000 Juifs des camps de la mort, Oskar Schindler en est venu à compter sur la charité juive pour sa propre survie.

Pendant la majeure partie du reste de sa vie, Schindler a vécu chichement à Francfort, dans un appartement d’une pièce financé par les dons de ceux qui, dans le monde entier, lui étaient reconnaissants de son sacrifice en temps de guerre.
Le langage visuel du narrateur élabore cette conjonction entre Schindler et la petite fille dans des détails complexes. Le regard de Schindler devient un engagement par le regard (une communication non verbale) au lieu d’un regard définissant sa personnalité nazie (comme chez Goeth) lorsqu’il détache un individu de la machinerie du massacre.

La petite fille est détachée de ses parents – elle semble perdue – et visuellement détachée des masses, de l’enfer comme toile de fond. Le lien de Schindler avec elle est le seul lieu du récit dans lequel elle apparaît.
Le regard devient en soi une façon de sauver l’enfant bien que, en raison de la tendance du récit à dissoudre l’individualisme dans l’idéologie totalitaire du nazisme, cette enfant ne survivra pas et n’entrera jamais dans l’usine de Schindler.

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2 thoughts on “NARRATEUR

  1. Heureux de ce réel et beau développement de la place de l’image, des couleurs (et même des sons) dans la narration (filmique).

    William, tu n’as pas choisi un exemple le plus facile et évident mais bravo de ta puissante démonstration.

    Personnellement, m’estimant à jamais en formation, je soupçonne depuis peu mais tu tends aussi à le confirmer que la « narration visuelle » (jolie formule !) se construit en images et en sons, en direction d’acteurs et en mise en scène, qu’en ne se concentrant que sur le défaut fatal du protagoniste pour qu’il l’affronte en communion avec le public !

    Si, absolument ! Testons un sondage auprès de gens qui ont vu « La liste de Schindler » : De quelle couleur était le manteau de la petite fille du guetto ?

    Il faut dire, c’est vrai, qu’en direction de la photographie (dans son sens étymologique), les couleurs participent à composer la lumière …

    Dans un contexte décrit en noir et blanc, il semble donc suffire d’une seule et unique couleur pour tout illuminer et si possible, là où çà fait le plus mal puisen soigner la douleur !

    Heureusement que Liam Neeson, en excellent acteur professionnel, l’a joué dans le regard, misant sur le dit « effet Koulechov » du champ/contre champ pour nous préparer à nous en emparer à notre tour au seul passage d’un chariot.

    1. Nouvel envoi par mégarde, correction : « Dans un contexte décrit en noir et blanc, il semble donc suffire d’une seule et unique couleur pour tout illuminer et si possible, là où çà fait le plus mal puisqu’il s’agit d’en soigner la douleur ! »

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