LES PEURS FONDAMENTALES

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Le monde est un endroit dangereux. Tout enfant, on nous apprend à faire attention aux voitures, à ne pas accepter de bonbons des étrangers…
Mais les enfants savent bien qu’il y a de plus grands dangers tapis dans les recoins sombres et moins sombres parce que les monstres, les sorcières, les fantômes et somme toute, toute une galerie de méchants ont des pouvoirs bien plus effrayants.

Ces créatures envahissent nos cauchemars, illustrés dans les films ou chez Marvel et autres, lus dans les contes de fées et les mythes
Et la nuit qui apporte son lot de bruits très particuliers ne fait qu’ajouter au frisson.
Très tôt, nous apprenons que la vie recèle des dangers. Nous apprenons la méfiance et éprouvons l’inquiétude. Nous découvrons que la cruauté est une réalité à laquelle on n’échappe pas.

Les frayeurs enfantines persistent à l’âge adulte plus ou moins refoulées. C’est à l’auteur d’utiliser ce que l’enfance nous a appris sur notre vulnérabilité et sur les dangers de notre environnement et d’éveiller ces souvenirs et ces peurs chez le lecteur.

La vulnérabilité

Un personnage vulnérable dans une situation précaire aura toutes les chances que l’empathie du lecteur se dirige sur lui. En fait, ce type de personnage est au cœur de la fiction car il y a un réel plaisir à suivre un personnage fictionnel en grand danger alors que nous sommes bien à l’abri.
Et l’identification fonctionne bien parce que la peur et le sentiment de vulnérabilité nous sont bien connus.

Les lecteurs sont donc demandeurs du plus pire des méchants, du monstre le plus effrayant ou du serial killer le plus déjanté parce que son attention sélective se concentrera sur le carnage alors que son empathie se reportera sur les victimes.

Peu de créatures sur terre ne connaissent une période aussi longue de dépendance et de vulnérabilité que les enfants. Nous naissons totalement impuissants. L’enfance imprime durablement notre sentiment de vulnérabilité.
Les fictions attisent facilement ces souvenirs et il n’y a rien de mieux qu’un méchant pour nous remémorer l’enfant terrifié par le monstre tapi dans l’obscurité du placard.

Les enfants ont une expérience intime avec la peur ;   la nuit dont les volutes d’obscurité prennent la forme de créatures et d’horreurs diverses ; la peur de la punition après avoir fait une bêtise ;  la nature et son assourdissant tonnerre emplissant l’âme et le cœur d’une frayeur soudaine.
Nous connaissons tous les mêmes peurs.

Cependant, ces peurs infantiles sont nécessaires parce que l’expérience nous permet d’anticiper et d’éviter des dangers. Nous savons tous à quoi ressemble la peur. Elle nous fait éprouver une sensation déplaisante d’un possible risque ou danger.

Bien sûr avec le temps, certaines peurs ont été maîtrisées comme la peur du noir ; nous savons aussi nous défendre contre le harcèlement que nous aurions pu subir dans notre enfance (à l’école ou autre) et nous parons à d’autres risques en prenant les décisions adéquates (comme de mettre sa ceinture de sécurité).

Maintenant que recherche un lecteur dans les pages d’une fiction ?

De ressentir au moins un frisson. Si l’auteur parvient à créer ce frisson, une part de son travail sera réussie car lire une histoire, c’est comme prendre un billet sur un grand huit.

Lorsqu’un lecteur est effrayé par ce qu’il se passe dans une histoire, c’est parce que l’auteur a réussi a mobiliser en lui des processus établis dans son enfance par des dangers réels ou imaginés. Ces processus causent des réactions physiques et émotionnels qui autorisent le lecteur à ressentir bien mieux les affres et les dangers réels du monde.

On peut croire qu’un lecteur continue de tourner les pages d’une histoire parce qu’il désire savoir si les créatures et les méchants que nous n’aimerions pas pour tout l’amour de Dieu rencontrés, seront vaincus. Si le héros se sortira de cette situation où l’auteur l’a placé.
Mais, peut-être aussi, si nous ne pouvons nous empêcher de tourner les pages de cette horreur décrite, c’est parce que nous aimons tout à la fois cette excitation et ce sentiment d’inquiétude qui accompagnent notre lecture.

La mécanique de la peur

La peur fait partie de notre inconscient collectif formée par toutes les expériences humaines de tous temps et de toutes cultures. Autant dire qu’elle prend sa source dans les millénaires (c’est du moins ce que nous apprend Carl Gustav Jung).

Les auteurs seraient alors avisés de comprendre ces mécanismes instinctifs qui sous-tendent notre expérience de lecture d’une fiction.
Sommairement, la peur est un mécanisme de défense. C’est un héritage génétique en rapport avec notre instinct de survie provoquant des réactions profondément enracinées en nous.

Lorsqu’une personne est effrayée, on distingue essentiellement une réponse très commune : la fight-or-flight response c’est-à-dire soit l’on choisit le combat (comme d’asséner une claque par réflexe), soit la fuite.
Une chose est sûre cependant : c’est que cette réponse est on ne peut plus physique, une réaction chimique.

La peur est une réaction à un stimulus. Ce stimulus est créé par une situation. Imaginez que le vent souffle très fort, mais vraiment très fort cette nuit-là. Votre sommeil est agité. Soudain, vers deux heures du matin, vous entendez un bruit fracassant.
Vous avez ainsi pratiquement toutes les conditions pour une situation très spécifique qui va générer un stimulus.

Après c’est l’organisme qui prend en charge la gestion de ce stimulus. Votre organisme sait qu’il a reçu un signal d’alerte mais il ignore s’il s’agit du vent qui a renversé quelque chose ou s’il s’agit d’un serial killer ou d’une toute autre cause surnaturelle.

Ensuite, votre organisme va devoir juger s’il y a réellement un danger et ce que seront éventuellement les réactions et les options à disposition pour assurer votre survie. Comprenez bien aussi que ce sont nos sens qui reçoivent l’information mais celle-ci est brute et doit encore être interprétée.

Il va donc falloir trouver une explication à ce bruit fracassant. Vous allez donc passer en revue toutes les informations disponibles parmi lesquelles cette tempête au dehors qui va peut-être induire en vous qu’un volet est mal fermé, ou qu’une branche s’est brisée dans votre jardin…

C’est l’hypothalamus qui est en charge d’assembler les bribes d’informations et de relayer le message comme quoi ce bruit est causé par la tempête et non par un intrus ou une cause surnaturelle.

Cette petite démonstration a pour but de vous faire comprendre que l’on éprouve toujours (même s’ils ne durent qu’un instant infime) des moments de pure terreur avant qu’on se calme.
Les personnages que nous créons dans nos fictions éprouvent ces moments exacts de terreur et parce que le lecteur connaît les réponses de son propre organisme face aux menaces (et il les a expérimentées de nombreuses fois), ce lecteur a le souvenir (conscient ou inconscient) de ce qu’est une réponse au danger.

Le lecteur va comprendre et ressentir les réactions du personnage (appelez cela de l’empathie) et instinctivement, il expérimentera par personne interposée la terreur et le danger illustrés dans l’histoire.

Pourquoi la peur ?

La peur fait partie de notre inconscient collectif (Merci encore Carl Gustav Jung). C’est un mécanisme de survie que tous les animaux partagent. Mais la peur est aussi sollicitée par des souvenirs plus récents et prenant place dans notre enfance.

Mordu à l’âge de quatre ans par un chien, vingt ans plus tard, on peut encore développer un sentiment de peur irraisonnée lorsqu’un chien nous approche. On peut imaginer de nombreux traumatismes infantiles qui généreront des émotions et des réactions pour le moins désagréables dans notre vie d’adulte que seul peut-être l’âge (et pour les plus chanceux, la sagesse) pourrait nous permettre de reléguer dans les événements quotidiens et inoffensifs.
Cependant, des émotions puissantes peuvent être sollicitées quand un événement ou une menace apparente soulèvent en nous le souvenir d’un danger passé voire refoulé.

Une autre peur beaucoup plus dramatique (merci de soulever un sourcil, chers auteurs) est celle liée au dilemme. Un dilemme survient par exemple lorsque nous n’avons pas assez d’informations sur une situation.
Considérons un jeune couple dont la femme vient de perdre les eaux et reprenons notre nuit de tempête.

Forcés par les circonstances de quitter la sécurité de leur confortable maison et de s’enfoncer dans la nature déchaînée en pleine nuit, ils découvrent l’impensable : la route est coupée par les flots ravageurs d’une rivière qui a brutalement débordée de son lit. C’est pourtant la seule route. Que faire ? retourner et tenter d’appeler les secours ? ne sachant pas s’ils pourront passer à travers les éléments déchaînés ou même s’il sera possible de les joindre.

Quelle est la bonne décision à prendre ?
Nous nous sommes tous retrouvés à un moment ou un autre de notre vie à cette croisée des chemins. Avec le recul, on sait bien que les décisions et les choix que nous avons dû faire à ces moments-là auraient pu être  tout autant catastrophiques que salvateurs.

Ces moments de doute et d’incertitude sont fortement imprégnés de peurs. Et c’est en cela qu’ils sont de nature dramatique et qu’un auteur peut en tirer profit lorsqu’il jette ses personnages dans des dilemmes aux choix difficiles et aux enjeux cruciaux ou bien lorsqu’il force un personnage au demeurant sympathique à affronter l’inconnu.

Quelle origine pour la peur ?

A travers le monde et les cultures et le temps, la fiction a voulu aider l’humanité à comprendre la nature sauvage, à accepter la mort. Les mystères, les calamités et toutes ces sources d’inquiétude ont toujours fait partie du quotidien de l’homme et les histoires ont toujours tenté d’y répondre.

Cet homme qui n’a eu de cesse d’inventer et de répandre et de craindre au cours de l’humanité des monstres ou des créatures plus diaboliques les unes que les autres.
Pourquoi avons-nous tant chercher à nous mortifier, à nous laisser hanter par ces créatures terrifiantes ? Quel besoin avions-nous de les créer ?

Peut-être parce que le mal existe vraiment. Nous en sommes les témoins au quotidien dans les actes de violence, la cruauté (humaine et non animal car il n’y a pas d’éthique chez un prédateur qui dévore ses proies pour se nourrir et nourrir sa progéniture) et même l’exploitation qu’elle soit celle destructrice et aveugle de la nature ou simplement celle de l’exploitation de l’homme par l’homme.

Une autre explication est peut-être aussi que nos vies actuelles sont devenues compliquées et que nous avons encore plus à craindre d’un futur inconnu et de destinées de plus en plus incertaines et précaires. Et peut-être aussi parce que nous ne pouvons plus expliquer les choses, que nous ne comprenons plus la créativité scientifique ou les décisions politiques… Nous ne pouvons plus expliquer le monde alors nous le craignons.

Notre besoin d’entendre des histoires ne s’évanouira jamais pas plus que le besoin de faire taire nos peurs primales. Nous aimons les mythes, les dragons, les fées, les vendettas familiales, les rivalités acharnées, les trahisons, la jalousie, les histoires de matricide, de fratricide, de régicide ainsi que les luttes de territoire. Que ce soit d’anciens contes ou des histoires contemporaines, nous sommes toujours avides des mêmes schémas, des mêmes thèmes, des mêmes motifs.

Un combat millénaire

Pour combattre le mal et la peur, nous avons inventé les dieux et les héros. Le combat éternel du bien contre le mal doit être inscrit dans nos gênes, ce n’est pas possible autrement. Et parce que les dieux et les héros ont besoin de lutter contre des forces bien identifiées, il y a toujours eu des antagonistes et des méchants de l’histoire pour incarner les conflits et le mal.

Maintenant que nous avons vu que la peur était un processus chimique (biochimique et neurologique exactement), il faut créer le stimulus.
Le méchant d’une histoire est ce stimulus, celui qui fait glisser le lecteur dans un cauchemar. Mais il va falloir inventer des adversaires et des monstres qui vous soient personnels, à vous l’auteur. Si vous souhaitez créer un vampire et que ce personnage fait irrémédiablement penser à Dracula, cela ne fonctionnera pas. A la limite, vous êtes presque au plagiat.

Que ce soit votre héros ou votre méchant, ils émaneront de toutes ces histoires que vous avez lues depuis votre enfance, de toutes ces peurs ancestrales que vous avez vécues ou découvertes par vos lectures puis assaisonnés de tous ces sales types (rencontrés personnellement ou dans l’actualité du monde ou bien des personnages historiques), de tous ces gens que vous avez côtoyés dans votre vie et dont vous auriez souffert de la malveillance.
L’assemblage alchimique de toutes ces informations et réminiscences, vous allez l’apporter dans votre créativité et vous pourrez créer des personnages uniques dont on se souviendra.

Pour vos héros, il sera plus facile de générer de l’empathie envers eux si vous ajoutez à leur personnalité des failles, des faiblesses. En d’autres mots, vous les humanisez.
Il peut être important aussi d’essayer de vous souvenir de ces moments de terreur ou des moments sombres de votre vie pour décrire vos personnages de fiction. C’est une bonne technique pour les rendre encore plus crédibles, vraisemblables.

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