Nous l’avouons : un scénario se doit de condenser l’information. C’est-à-dire tirer des événements, des dialogues ou simplement des idées ce qu’il y a de plus pertinent en eux. Le lecteur/spectateur suit l’action au moment dans lequel elle jaillit, il lui faut donc comprendre immédiatement, à savoir sans la médiation trop prenante d’une réflexion, pour qu’il saisisse ce qu’il se passe.
Quand les choses se présentent, qu’elles soient de l’intrigue, des motivations ou bien des concepts, il faut que nous les comprenions sur le coup. C’est loin d’être facile. Il y a tellement de signes à interpréter quand le regard, par exemple, erre dans une chambre, qu’il faut à l’autrice et à l’auteur une certaine habileté afin que cette montre, par exemple, manifestement celle d’un homme, a appartenu à un amour perdu (une idée qui nous sera dévoilée plus tard dans l’intrigue).
Il est nécessaire de maintenir la cohérence du récit. Cela se fait au niveau des transitions. Les lieux de l’action, souvent variés, se succéderont logiquement. En 2024, Jacques Audiard nous propose Emilia Perez. Ce récit est un kaléidoscope : telenovela, thriller, comédie musicale s’y mêlent avec une grâce qui étonne.
Les lieux sont tous chargés d’une singulière signification en regard du parcours des personnages. Y compris les scènes de comédie musicale qui ne rompent pas la cohérence. Nous saisissons la logique de l’œuvre quel que soit le lieu dans lequel elle nous entraîne. Un autre exemple, très similaire dans sa construction, est Tatami (2023) de Zar Amir Ebrahimi et Guy Nattiv. Les scènes dans lesquelles Leïla nous montre ses talents de judoka ne sont pas seulement un reportage, mais de véritables métaphores des luttes morales et politiques des personnages sur lesquelles se greffe l’idée d’une résistance à l’oppression. Ici aussi, les différents lieux dans lesquelles l’intrigue nous fait pénétrer ne sont pas un arrière-plan vide de sens, mais davantage un arrière-monde qui participe totalement du parcours de Leïla.
Les transitions entre le sport et l’intimité des personnages ne brisent pas la cohérence, car elles se renvoient l’une à l’autre. Elles semblent indissociables et nous les percevons ainsi.
Un temps forcément limité
Il est rare qu’un scénario dépasse les 120 minutes pour un film. Quand on a des choses à dire, c’est contraignant. Une scène doit donc être efficace. Mais qu’est-ce que signifie cette prétendue efficacité ? Une scène a une intention : qu’elle soit narrative (elle participe ainsi au mouvement de l’intrigue) ou que son enjeu soit émotionnel, elle s’adresse d’abord au lecteur/spectateur. Et nous revenons à notre point de départ : une compréhension immédiate de ce qu’il se passe.
Un des atouts du mouvement de l’intrigue est qu’il maintient l’intérêt du lecteur/spectateur. L’intrigue ne fait que transmettre un contenu à un interlocuteur. Et ce contenu peut être fort, faible ou ennuyeux.
Que ce soit par les dialogues, les actions ou les réactions, nous comprenons les motivations et les émotions des personnages. Il faut donc que chaque élément qui entre dans la composition de la scène est une raison d’être là et tous les éléments scéniques font un tout, c’est-à-dire un récit cohérent, à condition toutefois qu’il n’y ait pas de digression. Chaque scène sera comme une révélation laissée à l’interprétation du lecteur/spectateur.