FORCES, DÉCISIONS, ÉVÉNEMENTS

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Penser une scène, c’est imaginer des forces qui s’affrontent. Ce qui implique une dynamique de conflits ou du moins d’oppositions. Qu’est-ce que j’entends par force ? Le conflit, bien-sûr, mais pas seulement : des idées peuvent s’opposer ou bien des émotions ou bien encore, un contraste visuel quand on montre les choses sans nécessité de les dire.

Écrire une scène à partir de ces forces, c’est provoquer une instabilité. Le drame, c’est ce qui s’accomplit. Quand on écrit une scène, on s’adresse d’abord au lecteur/spectateur. Nous lui demandons de ressentir la scène et de percevoir ce qu’elle transforme dans le récit. Parce que, quelle qu’elle soit, une scène a toujours une fonction : elle sert à quelque chose, dans le cas contraire, on l’élimine.

De même, une scène aboutit à une décision. Elle propose un choix au personnage, parfois sous forme de dilemme : votre héros doit-il laisser tuer la jeune policière prise entre deux feux ? Pour l’instant, elle est un obstacle à son projet, quelle décision doit-il prendre ? Risquer d’échouer ou sauver la jeune femme ? Une question similaire est de savoir s’il faut abandonner le rassurant connu pour se lancer dans l’inconnu. La décision est à la hauteur de l’enjeu.

Et voilà l’événement. Il y a un avant et un après, une bifurcation de l’intrigue. Et lorsque plusieurs scènes se cumulent vers une unique décision, c’est un nexus qui est ainsi à l’œuvre. Par exemple, Le Fils de Saul (2015), de László Nemes. Saul Ausländer est membre du Sonderkommando à Auschwitz. Il découvre le cadavre d’un enfant qu’il pense être son fils. Obsédé par l’idée de lui offrir une sépulture digne, il se met en tête de trouver un rabbin pour organiser des funérailles au milieu de cet enfer.
D’abord, le point de vue du lecteur/spectateur est celui du regard de Saul. Cela me fait penser à Sartre lorsqu’il théorise que notre attention néantise ce qui est aux alentours du détail que notre regard vise. Et c’est précisément ce que fait Saul : le monde est indistinct. C’est un symbole de la privation d’humanité.

Maintenant, comment parler de décision dans une telle situation ? Cette décision est intérieure, elle est un dedans sans dehors. Saul décide de ne pas laisser le corps de l’enfant se fondre dans l’anonymat des cendres. Certes, Saul ne fait que croire qu’il s’agit de son fils ; c’est une illusion tragique qui justifie cette décision qui n’est absolument pas rationnelle et il ne le faut surtout pas. Cette décision prouve le devoir de mémoire.

L’événement provoqué par cette décision, c’est celui du regard de l’enfant vivant qui croise celui de Saul. C’est un basculement, mieux : un passage. Saul est dans un univers cendreux, figé. Pourtant, il suit en lui une eau intérieure : la mémoire, ou plutôt l’imaginaire d’un lien filial. Le regard de l’enfant vivant est une ouverture vers le devenir.

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