DISCERNEMENT & ÉROS

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Parler de l’amour dans un texte, c’est tenter de comprendre la relation entre le discernement qui consiste à juger juste et l’aveuglement que produit une force qui désire essentiellement sensuelle. Le problème avec Éros, c’est que cette dynamique du désir tend à se saisir, à posséder, à absorber l’autre. On se l’approprie parfois même en l’idéalisant. Il serait vain de croire que c’est toujours réciproque, car l’autre devient l’objet d’un désir. Cet objet est un substitut de ce que l’on cherche à combler en soi sans jamais vraiment le formuler clairement. Platon reconnaissait déjà en l’Éros un manque.

Certes, l’autre ne se voit pas comme un objet à moins d’accepter totalement cette soumission. Souvent, nous résistons à cette prise de corps, à être dominé. Pour l’amoureux, le discernement est alors le moyen de ne pas se laisser emporter par une fougue qui le dévore. Cette passion soudaine peut être aussi mise à profit par l’autre qui y voit un instrument de manipulation de l’être devenu vulnérable sous l’emprise d’Éros. Être lucide, c’est donc s’assurer sa liberté. Il ne s’agit pas de vaincre l’Éros, mais de fonder des vraies relations par la connaissance de soi et de l’autre, dans la mesure du possible.

Éros est l’incertitude. Il est doux ce vertige qui ébranle les convictions que nous avons de nous-mêmes, comme si nous avions vécu dans notre propre réclusion. Ainsi, l’Éros nous pousse hors de nous-mêmes. L’amour nous donnerait-il un sens à l’existence ? L’esprit est-il si puissant à nous convaincre que nous jugeons mal lorsque Éros s’empare de notre corps ? Certainement que ce trouble nous indique une autre vérité.

Éros nous autorise toutes les transgressions, toutes les inventions. Avec lui, nous allons de l’avant ; avec le discernement, nous stagnons. De toute évidence, je préfère la folie à la stérilité.

Les anges des Ailes du désir (1987) de Wim Wenders observent. Par le regard et l’écoute, ils comprennent les doutes humains sans jamais y prendre part. Comment comprendre la sagesse si elle n’était aussi souffrance, comment serait-il seulement possible de comprendre l’humain sans le posséder ? Nous ne saurions être les témoins de notre existence. Cassiel est le discernement et cette distance le rend tragique.

Damiel est plus sensible à l’Éros. Il n’est pas attiré par le désir de Marion, il voit en elle son propre désir à devenir autre, à s’incarner dans la chaleur, la couleur, la finitude. Il veut ressentir la vie. Ainsi, pour Cassiel, c’est voir sans être vu ; pour Damiel, c’est être, sentir, toucher. Cassiel ne saurait juger, il se veut un témoin impassible. Damiel veut aimer jusqu’à se perdre dans cet amour ; il en accepte la souffrance et la joie. Cassiel garde ses distances, il est totalement détaché de l’humain tandis que Damiel se coule dans la passion.
À la solitaire immortalité de l’ange, Damiel préfère la communion et la fragilité de l’existence.

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