NEXUS PAR L’EXEMPLE – 4

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Notre premier interlocuteur est le lecteur/spectateur. Il est donc urgent que nous nous adressions à lui par le ressenti que nous pouvons produire en lui. Mais comment fonctionne-t-il cet interlocuteur ? Il est avant tout un interprète de ce qu’il voit et entend ; il lance son imagination. À chacun la sienne puisque celle-ci est tout imprégnée de notre vécu, des souvenirs que nous accumulons au fil de notre existence, toutes ces expériences plus ou moins plaisantes qui n’appartiennent qu’à nous.

Ce serait une erreur de solliciter un imaginaire collectif à base de mythes par exemple, à moins de le revivre (de le réécrire) pour qu’il soit autre chose qu’un enseignement stérile. Quand nous donnons des informations partielles (afin de maintenir le suspense) ou même contradictoires (telles ces fausses pistes qui nous entraînent loin de la vérité que nous ne devons surtout pas deviner), le lecteur/spectateur que nous sommes avant d’être autrice et auteur comblera naturellement le vide laissé par ce manque.
Le moindre signe que nous disséminons dans le cours de l’intrigue, il s’en saisira et plaquera sur lui une signification. C’est là que la tâche de l’auteur et de l’autrice est passionnante parce qu’ils jouent avec l’esprit de leur lecteur/spectateur : ils l’incitent à raisonner, à imaginer, à interpréter.

C’est un peu obscur, alors laissez-moi vous parler de Fidelio, l’odyssée d’Alice (2014) de Lucie Borleteau. Voilà bien un récit qui mobilise notre imaginaire, mais qui ne le force jamais, nous laisse libre. Pour amorcer l’imagination, si on nous donne toutes les réponses pour commencer, ce serait l’effet inverse. Les explications tuent l’imaginaire.
Nous ne devrions pas comprendre immédiatement ce qu’il se passe ou bien ce qui motive les personnages. La ligne dramatique d’ensemble, celle qui conte les événements, nous est présenté de manière chronologique et effectivement, nous sommes informés de l’ici et maintenant dans Fidelio, l’odyssée d’Alice. Rien de très spectaculaire, néanmoins, pour nous arracher à la réalité et nous inviter à la rêverie.

Malgré cela, Lucie Borleteau nous donne l’impression d’un récit découpé anarchiquement parce qu’elle met à portée de regards l’intimité d’Alice, ses rêves, ses souvenirs. À commencer par le carnet de bord. Les dialogues seraient superflus, c’est en imaginant qu’Alice entre en contact avec cet homme qu’elle ne connaît pas. Et nous, nous lisons par-dessus son épaule.
Aucune structure n’organise le carnet de bord : les pensées sont éparses, juste des impressions. Et ce sont précisément ces impressions que notre imagination assemble afin de donner une silhouette, une présence à cet homme qui n’apparaît pas.

Et parce qu’Alice se plaque sur cet univers qui a autrefois existé (même activité, même cabine, mêmes objets), nous sommes amenés à cerner Alice elle-même ; toutefois, d’une manière très subjective.

L’espace est celui d’une mémoire ; c’est cette esthétique (sans analepse qui aurait rompu le charme du moment) qui agit sur nous comme le ferait un tableau impressionniste, des touches de couleur pour des touches de mémoire et d’affects.
Les dialogues peuvent être un véritable casse-tête. Lorsqu’ils sont explicatifs, c’est le texte qui domine. D’autres fois, il suffit de regards ou de silences et tout est dit. Mais par qui justement ? Notre lecteur/spectateur qui, tout comme dans la nature, n’a de cesse de combler ce qui lui apparaît vide de sens. Il interprète et, comme je l’ai dit, d’après ses propres expériences. Une rivière aux eaux calmes, bien que symboliques et quelque peu universelles, se teintera d’un détail que l’imagination de chacun d’entre nous donne à cette rivière et ainsi, chacun d’entre nous se l’approprie et cela fait qu’elle est seule au monde pour nous.

Quant à l’autrice et à l’auteur ? Ils ont posé cette rivière dans leur image et nous la communiquent telle quelle. C’est un implicite assumé.

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