INTIME CONFLIT

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Le conflit est important. Pourquoi un récit, une fiction ont-ils besoin du conflit ? Est-ce que le conflit retient vraiment l’attention du lecteur et de la lectrice dans le récit ?
Se demander pourquoi, c’est s’interroger sur le but, sur la finalité du conflit au sein du récit. La définition du conflit consiste en une lutte entre des forces opposées. Que sont ces forces ? Et pourquoi s’opposent-elles ?

L’action

Les événements, les expériences, en un mot, l’action sont ce qui constituent le récit. Le conflit est lui-même une expérience vécue par les personnages. Il y a le personnage qui essaie de réaliser un but qu’il s’est fixé dès qu’il s’est engagé dans son aventure. Il y a quelqu’un ou quelque chose qui le contrarie.
Celui des personnages qui veut obtenir ou se débarrasser de quelque chose (ce peut être par exemple de mettre un terme à une relation difficile) doit surmonter quelques obstacles (car la durée d’une fiction est forcément limitée par un début et une fin).

Le concept de conflit s’explique plus facilement lorsqu’on pose un problème chez un personnage et que celui-ci s’efforce de le résoudre. C’est peut-être plus proche de la vérité. Dans la vie réelle, lorsqu’un problème se présente, l’esprit aussitôt cherche à le dénouer.
L’intrigue donne alors le détail de cette volonté à réparer ce qui ressemble fort à une iniquité. Maintenant, s’il ne devait y avoir de situation conflictuelle que par l’instauration de deux forces extérieures l’une à l’autre, nous ne serions que de simples observateurs d’une intrigue qui ne nous retiendrait pas suffisamment, qui ne nous rendrait pas impatients d’en connaître le dénouement.

Il existe alors un autre conflit, plus intime. Le problème de l’action est qu’elle nous déplace dans le rôle de simples observateurs du monde alors que tout comme les personnages de fiction, nous sommes dans le monde, nous sommes imprégnés de condition humaine.
Le personnage, fictif par nature, n’en possède pas moins une pensée. Un personnage est une existence incarnée et un sujet pensant, percevant, raisonnant qui vit des expériences dans un monde inventé car imaginable par une autrice et un auteur.

Le conflit externe décrit le but à atteindre. Le personnage principal veut conquérir le monde (après tout, chacun est le personnage principal de sa propre histoire), il existera alors des factions ou des coalitions qui s’opposeront à ce désir.
L’intrigue se nourrit de ce désir car il est l’énergie qui meut le récit vers l’avant. L’horizontalité du récit se matérialise dans cette quête d’un désir extérieur. Dans un pays où le culte des ancêtres est hautement valorisé, l’obéissance d’une jeune fille aux ordres de son père n’est jamais remis en cause. Lorsqu’il la missionne dans l’antre d’un ennemi pour obtenir des informations, le désir de cette jeune fille est de se conformer comme elle le doit à la tradition.

Une question de regard

Posons que nous projetons notre regard sur le monde autant dans le sens psychologique que psychanalytique. Au sens psychologique, nous situons dans le monde nos désirs mais aussi nos affects, c’est-à-dire ce qui en sous-main travaille sur notre état affectif, nos peurs et tant d’autres choses encore que nous n’identifions pas comme nous appartenant. Et pourtant si.
Au sens psychanalytique, la projection devient un mécanisme de défense. Nos perceptions croient reconnaître chez autrui ce qui nous appartient en propre mais que nous nions, que nous refusons ou encore que nous refoulons.

Ceci posé, la projection, par sa forme même, possède deux extrémités. L’une frappe le monde extérieur (y compris autrui) tandis que l’autre est profondément enracinée en nous.

Cet aspect du regard et de la projection implique que puisqu’il y a un conflit externe avec le monde ou autrui d’un côté ; de l’autre, le conflit personnel, la situation conflictuelle intime dans laquelle nous sommes seuls à nous débattre ne serait possible que s’il y a aussi un conflit externe.
La réciproque doit être vraie mais il est davantage dramatique de poser un conflit externe d’abord afin de prendre conscience que nous sommes amplement responsables du problème. Les convictions intimes ne s’opposent pas aux circonstances extérieures, elles les provoquent.

Cela implique aussi que le primat ne peut être donné au conflit extérieur, c’est-à-dire au désir du héros ou de l’héroïne (car le lecteur & la lectrice s’y ennuieraient vite). Et ce conflit externe n’est pas ce que l’autrice et l’auteur ont l’intention de dire. Il est une forme que l’on illustre d’un contenu pour donner son élan à l’intrigue. Hitchcock nommait cela un McGuffin, au mieux un prétexte pour justifier une intrigue.

Soi

Le personnage de fiction est un être qui fait des choix personnels et qui établit des liens émotionnels avec le monde qui l’entoure. Maintenant, pourquoi un lecteur ou une lectrice seraient intéressés par ce que j’ai à dire, par ce que j’ai à leur dire ?
Quelle est mon intention en tant qu’autrice et auteur ? On peut objecter mais la fiction n’est-elle pas d’abord mimesis ? N’est-elle pas une représentation fragmentaire de la vie ? Robert McKee la définit comme une métaphore de la vie. Peut-être. Mais le conflit n’est pas toute la vie. Notre condition humaine favorise le conflit et la fiction profite de ce caractère singulier pour se dire. Admettons alors que les situations conflictuelles créent des scènes qui rivent l’attention du lecteur/spectateur sur ce qu’il se passe devant lui.

Pourquoi les situations conflictuelles possèdent-elles ce pouvoir ? Parce qu’elles sont chargées émotionnellement. Une émotion remplit une signification qui serait vide autrement. Donner du sens à un personnage consiste à lui faire éprouver émotionnellement les choses qui l’entourent : ses relations aux autres et au monde.
L’expérience sera d’emblée émotionnelle ou ne sera pas à cause que la passion trouve plus facilement son chemin en nous que la raison.

Maintenant prétendre que la fiction donne des leçons de vie serait aller trop loin. Néanmoins, elle communique un aspect singulier de la vie qui nous ouvre des perspectives, des horizons nouveaux que notre propre expérience de la vie ne nous a pas donné à connaître.
La fiction est un ensemble de valeurs conflictuelles qui questionnent notre existence. Dit autrement, ces questions sont d’ordre moral ou philosophique. La lutte du bien et du mal aime se rappeler à notre esprit qui par sa curiosité naturelle est même capable de remettre en cause cette lutte de toute éternité.

Le conflit est le résultat d’un affrontement de points de vue portant des valeurs différentes et divergentes. Par exemple, le personnage principal pourrait croire que l’espoir est toujours possible ; le personnage qui a le plus d’influence sur lui pourrait croire que le monde tel qu’il est ne permet pas l’espoir ; et la force antagoniste pourrait vouloir abattre chez le personnage principal ce qu’elle considère comme une arrogance.

Maintenant le conflit extérieur peut être décidé en regard de ces valeurs et croyances personnelles. Le concept d’espérance ci-dessus s’illustre de mille et une manières. La question posée, la véritable question dramatique, concernerait l’acceptation ou le refus de conditions de vie imposées par exemple.

Cette question, lorsqu’elle se fait jour dans l’esprit du lecteur/spectateur, engage celui-ci plus intimement, plus profondément dans l’histoire contée. L’interprétation est toujours possible mais c’est surtout la soudaine révélation d’une évidence qui l’émeut et le force à se retourner sur lui-même, à prendre conscience de soi dans la reconnaissance de l’autre, fut-il fictif.

Chaque personnage a une importance qui dépasse sa fonction dans le récit. Chaque personnage existe pour soutenir ou réfuter le thème. Une œuvre de fiction est un débat plus profond que la lutte entre le bien et le mal. Elle est une opportunité d’expliquer le monde à défaut de convaincre.

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