DÉSIR & CONFLIT

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L’intersubjectivité conflictuelle est souvent au cœur des relations existantes au sein d’un récit. Si un personnage est l’allié d’un autre, cette fonction ne signifie nullement qu’il ne peut y avoir de conflits entre eux.
Pour créer du conflit, il faut connaître ses personnages : quelle est leur personnalité (c’est-à-dire ce qu’ils nous donnent à voir d’eux) ; leurs croyances sont importantes ; leurs souvenirs tout autant. Et un désir.

Passer un peu de temps à écrire une courte biographie sur ses personnages aide à rompre la distance que nous éprouvons naturellement face à un étranger. Ce que le personnage est au commencement du récit (c’est-à-dire tel que le personnage est en tant que façonné pour une grande part par son passé) ne lui permet pas d’affronter et de vaincre la force antagoniste qu’il ne manquera pas de rencontrer au cours de son aventure.

Au moment du climax, c’est-à-dire cette ultime confrontation avec l’antagonisme incarné, le personnage principal (s’il est aussi protagoniste) aura acquis une aptitude et renforcé sa volonté de vaincre ce qui représente pour lui un ennemi.

Pour ce faire, tout au long de l’intrigue, le discours de l’autrice et de l’auteur consiste à mettre en scène des expériences que nous pourrions qualifier de mineures. Ces moments ont pour finalité d’expliquer le changement que connaît le personnage principal car sans ce changement, le résultat du climax ne pourrait être que négatif.

Rendre les choses possibles

Les étapes du changement consiste à préparer le personnage à son combat. Sans cette préparation, même après avoir suspendu notre jugement sur ce qu’il se passe dans ce récit, nous aurions tendance à ne pas croire que ce personnage soit capable de vaincre une force qui le dépasse manifestement en tous points.

Il faut créer l’illusion d’une durée. Celle-ci sera possible par l’instauration de trois ou quatre moments clefs comme autant d’articulations dans la vie du personnage. Cette succession de difficultés de plus en plus ardues à surmonter mène à l’ultime action au-delà de laquelle seul le dénouement est possible.

S’il y a purgation des passions de l’auditoire comme le prétendait Aristote avec son concept de catharsis, c’est au moment du climax qu’elle se produit. Les situations conflictuelles seront progressivement plus sérieuses, les expériences plus douloureuses. La souffrance du personnage est nécessaire afin de rendre sensible sa transformation.

Chacun de ces moments clefs est un point de non retour. Ce qui constituait autrefois un aspect de sa personnalité (souvent conçu depuis le passé du personnage) est dépouillé par une prise de conscience. Ce retour sur soi permet au personnage de s’apercevoir du mensonge qu’il se faisait à lui-même.

L’antagonisme n’est pas en reste

Face à un protagoniste de plus en plus efficace, la force antagoniste réagit en conséquence. L’intensité de ses actions sera plus prononcée. Dans un thriller par exemple, l’antagoniste ordonnera de placer une bombe sous le véhicule du héros ou de l’héroïne. Il est plus dramatique que ce soit l’un des proches du personnage principal, un être aimé, qui en soit la victime.

Le changement est difficile à accepter. Il nous faut souvent un puissant aiguillon pour nous convaincre de sa nécessité. Alors au début de l’intrigue, c’est-à-dire l’acte Deux, le protagoniste subira les actions de l’antagoniste. Et il réagira jusqu’au moment où il prendra l’initiative.

Ce qu’il faut admettre est que le personnage principal est par essence un être en devenir alors que l’antagoniste, même si biographie laisse entendre son origine, sa naissance et son histoire personnelle jusqu’à maintenant, ce maintenant est un point de repère fixe dans l’évolution de ce personnage antagoniste.

Ainsi, l’antagoniste amplifie ses actions non pas pour contrarier l’intention du protagoniste qui peut se trouver par une étrange providence sur le chemin de l’antagoniste, mais pour asseoir sa propre intention de manière tout à fait égoïste d’ailleurs.

Une influence

Dans l’acte Un, le personnage principal porte sur le monde un regard particulier. Par exemple, il est un être qui s’ennuie dans sa vie : il s’ennuie dans son activité professionnelle, il s’ennuie dans ses loisirs.. jusqu’au jour où il rencontre quelqu’un qui l’aidera à changer son point de vue sur le monde.
Le personnage principal croit alors que cet amour nouveau emplira le manque qu’il ressent si douloureusement. Mais l’amour n’est pas au rendez-vous et la désespérance gagne notre héros ou notre héroïne d’une manière encore plus brûlante.

Les personnages portent en eux un désir ; l’accomplir a cependant un coût. Cela crée du conflit ou dit autrement de la tension dramatique. La logique veut que les événements se succèdent dans une relation de cause à effet : l’un est la conséquence de l’autre.
On peut être encore plus proche de ses personnages en considérant que l’ensemble de leurs vécus divers et variés (ou événements ou expériences) participe à ce qu’ils sont (et conséquemment décide de leurs actions). Tout ce qui arrive dans la vie d’un personnage (avant le récit, dans l’histoire personnelle du personnage ou pendant le récit au cours de l’intrigue) se lie, s’entrelace et crée une espèce de continuité qui aboutit d’abord à ce qu’est le personnage lorsque nous faisons sa connaissance au commencement et qui se poursuit dans un possible changement.

Le désir justifie l’intrigue. La plupart des scènes mettent aussi en lumière un désir, une intention singulière qui constitue un a priori à l’accomplissement du grand objectif. Cela implique un coût.
Considérons une rencontre : l’un des personnages croit qu’il a trouvé le grand amour de sa vie mais il n’entend pas ce que l’autre tente de lui dire. Ce que l’autre lui dit, c’est qu’il ne croit pas au grand amour. Conscient néanmoins de cette volonté de l’autre, l’objectif du personnage devient alors de convaincre l’autre qu’il se trompe, que l’amour est possible. Dans son point de vue sur l’amour, l’autre représente la force antagoniste qui contrarie la volonté du personnage principal qui veut vivre pleinement cet amour.

Comment créer des situations conflictuelles dans une relation amoureuse ? Considérons l’évolution d’une telle relation. Avant la rupture qui est dramatiquement la problématique au cœur du récit, la relation est toute emplie de bonheur. Or la description du bonheur ne suffit pas à nous retenir dans le récit.

Maintenant & Autrefois

Pourtant le bonheur doit être prouvé pour que nous puissions ressentir la douleur de la séparation. Le procédé est relativement simple : il suffit d’intercaler dans le récit des scènes d’autrefois montrant un couple heureux d’être ensemble avec des scènes actuelles montrant la désespérance d’un personnage qui a retrouvé sa solitude.
Le conflit existe dans cette opposition entre autrefois et maintenant. Le conflit existe dans la structure de l’ordonnancement des scènes du récit.

Les articulations d’un récit peuvent ainsi se résumer :

  1. Un personnage est dans ce qu’il croit être une zone de confort ou bien il ressent une quelconque angoisse mais ne sait comment la résoudre.
  2. Cette situation initiale se complique parce que le personnage désire quelque chose. Par exemple, un joueur invétéré ressent constamment de la culpabilité envers ses proches mais son désir de parier encore et encore l’entraîne inexorablement vers la chute car chaque tentation est un point de non-retour.
  3. Puis une articulation qui existe depuis que l’homme conte des histoires : le passage du héros ou de l’héroïne dans une situation qu’ils ne connaissent pas, dont ils n’ont pas l’habitude, un monde nouveau. Notre héros qui aspire tant à l’amour le trouve enfin. Il s’ouvre alors devant lui un horizon dont il ignore tout.
  4. Il s’ensuit une phase d’adaptation. C’est une partie assez difficile à écrire car elle montre un personnage passif. Il subit davantage ce qu’il lui arrive qu’il ne prend les rênes de sa destinée. Cette étape ne peut cependant être négligée car elle nous explique le personnage. Un personnage amoureux par exemple est totalement soumis à sa passion. Cet étonnement qui est le sien nous fascine aussi. Il faut seulement s’assurer que l’ennui ne gagne pas le lecteur/spectateur en organisant son récit de manière à ce que les deux passions (joie & douleur) coexistent dans une espèce de simultanéité (par la proximité des scènes heureuses et de désespoir).
  5. Le désir est satisfait. Le personnage a obtenu ce qu’il voulait. Le joueur invétéré par exemple a réussi à trouver l’argent pour l’ultime pari. Notre personnage amoureux croit que sa quête est enfin terminée.
  6. Mais la vie est faite de contreparties. L’obtention possède un coût. Devant un amour si pressant, l’autre peut se sentir menacé. La distance soudaine est le prix que doit payer notre personnage amoureux pour avoir connu l’amour.
Le prix du désir

Dans notre vie, nous faisons constamment des choix. Et chaque action décidée a des conséquences. Il en est de même en fiction dans laquelle la souffrance du personnage qui agit pourtant selon ses convictions est la cause de son évolution. Un personnage qui ne souffre pas ne change pas.
La souffrance est tragique par nature. Pour changer, un personnage doit confronter ce qu’il croyait être sa vérité. Il se trompait et cette prise de conscience sera douloureuse.

Si nous ne remettons pas en cause ce que nous sommes devenus, comment devenir autre ? Si la fiction n’appuie pas sur cette aptitude de l’être à changer, elle trébuche et n’atteint pas son but. Nous comprenons mieux le besoin du personnage à travers son désir insatisfait. S’il devait obtenir tout ce qu’il désire, nous n’aurions aucune compassion pour lui.

Ce qu’un personnage croit et qui le mène à la désespérance est quelque chose d’universel. Bien sûr, nous n’avons peut-être pas éprouvé par nous-mêmes les mêmes désirs et désespoirs, mais les passions, les émotions, les sentiments nous englobent dans le même mouvement que le personnage.
Nous nous emplissons de ce qu’il ressent. Ce peut être de la joie comme de la peine.

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