HUBRIS & ÉQUILIBRE

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Au commencement du récit se trouve un équilibre. Puis entre ce début et le dénouement se produit une transformation : celle-ci constitue le récit minimal. Entre le début et l’épilogue, un équilibre est donc perdu puis retrouvé.

Cette transition constitue le récit. Si nous considérons l’exemple des James Bond, cette transformation se produit dans un cadre moral qui met en avant la justice rétributive comme instrument du changement et introduisant ainsi dans le récit la notion de nemesis (la juste colère des dieux et le châtiment céleste qui s’ensuit).
La progression du récit s’embue ainsi d’aspects moraux que l’autrice et l’auteur doivent assumer.

L’équilibre perdu

Un équilibre se comprend du point de vue social comme l’existence d’une relation stable et mouvante entre les membres d’une même société. Puisque la relation se meut, il apparaît donc, qu’entre deux états d’équilibre, se déroule, dans un laps de temps donné, une période de déséquilibre qui se présente, selon Tzvetan Todorov, comme un double mouvement de dégénération et de progrès.
Bien que le même terme d’équilibre est utilisé pour désigner un état perdu puis retrouvé, il s’agit d’une nouvelle rencontre : l’état retrouvé n’est pas identique. C’est cette différence qui nous est contée.

Tentons d’appliquer une telle définition au synopsis habituel d’un James Bond :

  1. M intervient et confie une tâche à Bond. Cette action rompt le quotidien actuel de Bond.
  2. Les méchants de l’histoire sont mis en œuvre par l’action précédente et peuvent apparaître à Bond sans que celui-ci les identifie comme tels dans un premier temps. Bond est activé par les conséquences mais ignore les causes qui sont à l’origine des effets. Il ne connaît pas qui sont les méchants.
  3. Mais l’action de Bond excite une réponse : soit James provoque une réaction des méchants en s’immisçant dans leur sphère d’action, soit ce sont les méchants eux-mêmes qui se révèlent peut-être dans une tentative de dissuasion.
  4. La femme apparaît. Mais elle n’est pas la manifestation d’un donjuanisme mal venu. A contrario, elle serait la représentation féminine de Bond, son anima.
  5. Bond et la femme se rejoignent dans l’étreinte. Il y a toujours un travail de séduction entre James et les femmes. Cette séduction est importante car elle lève l’indifférence dont on pourrait se méprendre qu’éprouve James envers les femmes. Ici, l’union est tout autant corporelle que spirituelle.
  6. Bond est capturé avec ou sans la femme ou bien cette capture intervient à des moments différents : Bond peut être pris en tentant de libérer la femme ou la femme est piégée d’abord. Ce moment peut être assimilé à la nuit obscure de l’âme au cours de laquelle le héros ou l’héroïne d’un récit connaissent une crise majeure dont l’issue est plus qu’incertaine.
  7. Bond est malmené. Cela peut aller jusqu’à la torture (la femme peut être dans la même situation).
  8. Mais Bond reprend le dessus : il bat le méchant d’une manière ou d’une autre. Ce méchant peut être d’abord le bras armé du méchant qui devra être vaincu avant que Bond n’atteigne la tête pensante à l’origine de toute cette adversité.
  9. Puis Bond profite d’un repos mérité auprès de la femme dont on comprend qu’elle ne restera pas auprès de lui.

Le moment 2 ci-dessus est le mouvement qui crée le déséquilibre. On peut l’assimiler à l’incident déclencheur dont la définition traditionnelle est le bouleversement du monde ordinaire du personnage principal. Ce second moment est structurellement nécessaire pour établir le récit.
Le moment 8 représente l’action inverse : il contredit le déséquilibre et tente d’instaurer un nouvel équilibre, différent de l’état initial. Cette marche vers le progrès participe du dénouement du récit.

On s’aperçoit que les transitions sont d’abord le fait de l’antagoniste qui crée le déséquilibre puis l’action du protagoniste qui corrige l’état des lieux créant ainsi un nouveau monde. C’est un schéma classique très utilisé par la majorité des récits. Nous avons une situation initiale qui éclate et ses éléments dispersés sont ensuite reconfigurés afin de donner une nouvelle situation, conforme au message de l’autrice ou de l’auteur.

Le genre et la morale

Est-ce que la morale forcément liée à ce schéma dépend du genre ? Les James Bond sont par nature des récits d’action et ils véhiculent une véritable morale à propos de l’ordre et du désordre des choses. Pourtant, chacun de ces récits est une exploration de la nature du châtiment infligé à ceux responsables du désordre.

Il y a un rapport certain entre hubris et sa réponse nemesis. L’argument exposé repose donc sur la reconnaissance du fait que ces récits sont fondés sur l’exigence d’une action corrective créée par l’orgueil démesuré du méchant.
En effet, celui-ci cherche à s’emparer du monde. Ce sont des industriels, des magnats ou, dans le cas du SPECTRE, un prototype d’organisation terroriste. Ils ne veulent peut-être pas gouverner le monde mais du moins, ils en veulent le contrôle absolu. S’ils pouvaient mettre en place leur philosophie, elle comprendrait des répressions, des dominations et une hiérarchie basée sur la force et la cupidité.

L’argument avancé ici est centré sur la notion selon laquelle le méchant est responsable de la transition narrative entre l’équilibre initiale et le déséquilibre, tandis que Bond possède la capacité narrative nécessaire pour faciliter la transition entre le déséquilibre et l’équilibre modifié et nouveau.

En ce qui concerne le concept de nemesis, la déesse de l’indignation contre les mauvaises actions et de la bonne fortune non méritée et du châtiment pour celles-ci, elle agit comme un justicier indigné et sans pitié alors que les antagonistes de Bond font preuve d’orgueil démesuré (en croyant qu’ils méritent de s’enrichir aux dépens des autres, par exemple) et déclenchent un changement dans l’équilibre du début du récit qui nécessite depuis une correction de la situation par un agent approprié.

Ce schéma de l’hubris et de l’insensibilité aux maux offrant des opportunités pour la bravoure et l’intégrité du personnage de James Bond a été exposé dès le début de la série. Ainsi, Bond réagit à cet hubris, c’est-à-dire par nécessité parce que cet hubris représente une menace globale.

Les querelles de clocher ne fonctionne pas avec cet hubris car la menace est véritablement globalisante. Le Robert Langdon de Dan Brown ne fonctionne pas différemment de James Bond.

Cette arrogance représente le péché capital de l’orgueil, une contravention aux vertus de l’aidôs (humble respect de la loi fondé sur le respect de soi-même et d’autrui) et de la sophrosynè (retenue ou modération ; un ensemble de limites appropriées et acceptées) ; des qualités qui font naturellement défaut au méchant des récits chez Bond.

Cependant, cet hubris représente aussi l’hamartia du méchant, c’est-à-dire son défaut fatal. Tentons maintenant une définition de l’hubris : un orgueil démesuré, l’autoglorification, l’arrogance, l’insolence, la confiance excessive en ses capacités et en son droit de faire ce qu’on veut au point de mépriser les vertus cardinales de la vie, l’ignorance des sentiments d’autrui, le dépassement des normes morales et le défi insolent envers tous ceux qui se trouvent sur le chemin, voilà ce que l’on trouve dans les descriptions des personnes atteintes d’orgueil démesuré.

L’intervention de la déesse

Dans la mythologie, la correction de cet orgueil démesuré aurait été entreprise par la déesse Némésis qui pourrait alors intercéder pour détruire les prétendants vaniteux afin de remettre l’homme à sa place dans le monde et de rétablir l’équilibre.

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