AJOUTER DU CONFLIT DANS UNE SCENE

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Le conflit ne s’exprime pas seulement par les dialogues. il est vrai que les dialogues sont un moyen facile d’exprimer les pensées et les besoins d’un personnage dans une scène.
Cette approche cependant a le désavantage de focaliser l’attention sur une querelle et rien de significatif ne ressort de la scène questionnant ainsi sa légitimité dans l’histoire.
Un dialogue conflictuel n’est pas dramaturgique. Le conflit est l’essence de la dramaturgie, certes, mais pas n’importe quel conflit.
Des lignes de dialogue ont toujours des difficultés à faire fonctionner une scène. Pour Hitchcock, c’est la présence ou l’absence de suspense qui détermine si le lecteur s’engagera émotionnellement ou non dans la scène. Il est nécessaire que la scène ait une résonance émotionnelle au-delà du dialogue.

Il faudrait tenter de donner une définition à l’émotion, à la capacité pour un auteur à émouvoir. Nous pourrions faire la distinction entre des événements heureux qui procurent du bonheur et des événements moins positifs qui procurent du malheur.

L’émotion ressentie se situerait alors quelque part entre les deux valeurs, les deux notions de bonheur et de malheur.
En d’autres mots, on est en mesure d’éprouver la joie de vivre comme le tribut que l’on a à verser parce que la vie est ainsi faite.

Etre capable de reconnaître ces moments dans nos propres vies comme dans celles des autres est ce qui nous rend si humains, si uniques en tant qu’espèce. Et c’est ce qui permet aussi à notre espèce (au-delà du langage) à raconter des histoires.
Lorsque l’auteur parvient à s’adresser directement à nos émotions comme s’il s’agissait d’un sens comme l’odorat, le goût, le toucher… C’est un appel à un engagement émotionnel et le suspense serait ainsi pour Hitchcock un vecteur de cet engagement.

Le suspense

Tant qu’une scène recèle un suspense sous-jacent, elle fonctionnera avec ou sans dialogue. Mais si cette scène ne couve pas en elle du suspense, il n’y aura aucune garantie qu’elle fonctionne, quelle que soit votre approche.

Mais quel est ce suspense dont Hitchcock parle ? il s’agit d’un suspense émotionnel et par là, il entend conflit. Pour le mettre en place, trois éléments dramatiques sont nécessaires :

  1. Un personnage envers qui une empathie avec le lecteur est déjà installée,
  2. La scène doit être construite sur une binarité Récompense/Prix à payer, c’est-à-dire entre une valeur positive ou négative qui sanctionne si le personnage réussit ou non son objectif dans cette scène particulière.
  3. Une nécessité pour le personnage d’agir. Le lecteur doit comprendre que s’il ne fait rien, il y aura un prix à payer, pas d’échappatoire. La résolution du conflit dans cette scène spécifique passe par une action du personnage.

Quelques exemples pour rendre concrète la pensée de Hitchcock :

Un des moyens les plus simples d’ajouter du suspense (ou tension) émotionnel est de placer deux personnages dans la même scène dont les valeurs sont incompatibles ou même inversées.

Dans Pulp Fiction, Vincent Vega est chargé par son patron Marsellus de tenir compagnie à sa femme lors d’une soirée évidemment avec interdiction de la toucher.
Vincent craint de ne pas pouvoir résister à la tentation mais il craint encore plus de céder parce que le pronostic vital de sa vie serait engagé ! Marsellus ne faisant pas dans la dentelle avec ceux qui le trahissent.

Quelles sont les valeurs mises en avant dans la scène lorsque Vincent rencontre Mia, la femme de Marsellus ?
Mia est déterminée à coucher avec Vincent. Ainsi, ce qui motive Mia est la pire résolution du problème de Vincent dans cette scène. S’ils sont d’accord tous deux pour la solution proposée par Mia, il n’y a pas de conflit et la scène ne se justifie pas.

Ainsi, la dynamique de cette scène se fonde sur une question dramatique fondamentale : Quel personnage imposera sa volonté à l’autre ? Ou formulée autrement : lequel des deux personnages devra affronter la volonté de l’autre ?
Deux personnages avec deux idées, deux motivations, deux valeurs opposées vont vous permettre de créer de la tension émotionnelle donc du conflit car la tension est générée par le conflit.

Dans le court de chez Pixar, For the birds, un gros oiseau amical veut se poser sur un câble auprès d’un groupe de petits oiseaux. Tel quel, il n’y a pas vraiment d’histoire puisqu’il n’y a pas de conflit.
Là où le problème se corse, c’est que les petits oiseaux veulent leur propre espace personnel pour eux et qu’ils sont prêts à tout pour le garder.

La motivation du gros oiseau (ce qu’il veut obtenir des petits oiseaux) est d’être auprès des petits oiseaux, de partager en toute amitié le câble même si cela cause quelques problèmes de voisinage.
La motivation des petits oiseaux est d’être le plus loin possible du gros oiseau.

Et c’est ainsi que se crée le conflit émotionnel : deux personnages avec une certaine idée du bonheur (d’un côté, pour le gros oiseau, être accepté par les petits oiseaux et de l’autre côté, pour les petits oiseaux, une certaine idée d’espace vital qui n’inclue pas le gros oiseau), une certaine idée du bonheur donc qui est de valeur différente selon l’idée que l’on s’en fait.

Le second personnage n’est pas obligatoirement un individu. La nature pourrait avoir son propre point de vue sur la façon de résoudre une scène, par exemple.

Si votre personnage a un désir (un objectif, une certaine idée de faire les choses), il suffit d’alimenter un antagonisme quelconque avec un point de vue contradictoire ou une valeur opposée.
Il est important pour créer une scène tout à fait légitime dans le cours d’une histoire de ne pas l’aborder avec une vision non contradictoire des choses. Vous ne recherchez pas une unité, un accord mais à nourrir un élan dramatique.

Lorsque votre personnage possède un secret ou une information et qu’il ne veut pas qu’elle soit découverte crée un enjeu qui génère de la tension.

Par inférence déductive, on peut établir que de protéger une information crée un enjeu pour celui qui en est le dépositaire (s’il échoue, les conséquences connues sont graves) et que l’enjeu pour le personnage crée une tension dramatique dans la scène spécifique où il doit garder le secret.

En conclusion, le fondement de la scène s’établit sur le conflit parce que c’est ce dernier qui est le mode opératoire de la tension dramatique.

Dans la séquence d’ouverture de Inglorious Basterds, nous avons un fermier qui cache une famille de juifs et un nazi qui interroge le fermier s’il sait où se cache la famille. La tension émotionnelle provient du besoin du fermier de garder le secret. C’est ce qu’il veut dans cette séquence : ne pas dévoiler où il cache la famille de juifs.

Le nazi, quant à lui, n’a qu’une idée en tête et la tension est d’autant plus palpable, le conflit encore plus riche parce que ce nazi semble très intelligent.
La séquence est d’ailleurs tout au service de ce qui nous est conté parce qu’à la différence d’une scène, elle permet de monter en grade et le conflit (il devient de plus en plus difficile pour le fermier de garder le secret) et la tension par le fait de sa durée.

Pour que le suspense soit possible, il est important que les conséquences négatives en cas d’échec soit clairement définies dans l’esprit du lecteur.
Revenons à Hitchkock et à la scène d’ouverture de Les oiseaux. Le but de cette scène est de nous introduire le personnage principal, Melanie Daniels ainsi qu’un autre personnage : Mitch Brenner.

La rencontre entre les deux personnages  a lieu dans une animalerie.
Tel quel, cette description n’est pas très engageante : pas de conflit, pas d’enjeu, pas d’émotions…
Pourtant voici comment Hitchcock et Evan Hunter (le scénariste) ont contourné le problème en ajoutant du conflit :

  1. Melanie demande à l’employée du magasin si elle a reçu sa commande. L’employée s’en va téléphoner à l’arrière-boutique.
  2. Puis Mitch Brenner s’approche de Melanie et lui demande si elle peut l’aider. Il la confond avec l’employée du magasin.
  3. Melanie est sur le point de le détromper mais se ravise et décide de jouer le jeu.

Et c’est ainsi qu’une tension s’est rajoutée à la scène. D’abord parce que Melanie n’y connait pas grand chose dans ce domaine et que Mitch peut s’en apercevoir mais il y a aussi une sorte de compte-à-rebours dans le jeu de Melanie qui peut être humiliée à tout moment par le retour impromptu de la véritable employée.

C’est ainsi que Melanie s’est improvisée le récipiendaire inattendu d’une information, d’un secret que Mitch ne doit pas découvrir. Et le suspense suinte.
Prenez l’habitude lorsqu’une scène vous semble un peu trop plate de tester si une information ne pourrait pas être maintenue cachée. Cela ajoute immédiatement du relief.

Pour créer du suspense, il faut que la situation des personnages ne soit pas facile à s’en extirper.

Nous avons tous appris que quoique veuille le personnage (globalement ou au niveau d’une scène), ce doit être difficile pour lui de l’obtenir.
Or, l’auteur pourrait avoir une tendance à ne pas écrire le plus terrible parce qu’il doit trouver le moyen de faire sortir le personnage de la scène. Il applique donc une certaine retenue dans les obstacles auxquels il confronte son personnage.

Le problème qui surgit alors est que si l’auteur limite pour des raisons pratiques la gravité des péripéties de son personnage, la résolution de la scène deviendra prévisible au grand dam du lecteur.
Il peut même se produire un phénomène de désamour envers le héros dont il sera jugé que les problèmes sont vraiment trop faciles à résoudre. Le processus de résolution d’un problème ne devrait jamais brûlé les étapes.

Donc n’hésitez pas à pousser votre protagoniste dans ses derniers retranchements. Décrivez le pire de la situation. Vous risquez de vous retrouver vous-mêmes coincés mais il vous faudra trouver le moyen de le sortir de cette situation extrême.
Vous allez devoir trouver une solution à l’impossible. Votre lecteur sera encore plus émotionnellement engagé dans la scène et ne se sentira pas frustré de ne pas avoir deviné comment allait se terminer cette scène.

Au moment de commencer votre processus d’écriture, vous avez déjà certainement une idée de votre climax. Dans le cadre d’une expérimentation, essayez de déplacer ce climax vers le point médian de votre histoire et voir si cela ne mènerait pas à un climax encore plus meilleur et créatif.

Ne prenez pas le chemin le plus aisé avec votre protagoniste.
A lire à ce sujet :
UN EXEMPLE DE STRUCTURE

Dans Gravity, par exemple, lorsqu’une solution est trouvée, un nouveau problème apparaît. Lorsque Ryan parvient à se glisser dans une navette pour rejoindre la station spatiale distante, les moteurs ne démarrent pas.

Puis elle parvient à lancer les moteurs. Pour se faciliter l’écriture, on pourrait arrêter là et continuer l’intrigue mais les auteurs, très intelligemment, ont jeté un autre obstacle dans les jambes de Ryan : le parachute de la navette déployé accidentellement s’est entortillé dans les débris et la navette ne peut pas bouger.

A partir de ce moment, le lecteur n’a plus d’idée sur une solution possible. En effet, on finit toujours par faire démarrer un moteur qui cale. Mais un parachute emmêlé dans un amoncellement de débris est une autre affaire. C’est alors que les auteurs ont trouvé un moyen inattendu pour sortir Ryan de cette situation désastreuse.

En d’autres mots, ne muselez pas votre muse. Rendez complexe chaque situation afin de désarmer votre auditoire et le prendre par surprise avec une solution originale, passionnante et surtout crédible.

La tension dramatique peut apparaître à travers l’ironie dramatique.

Votre personnage principal a un secret, considérez le terme au sens large, disons qu’il a une quelconque information qu’il ne veut pas qu’on découvre.

L’ironie dramatique consistera ici à divulguer cette information auprès de l’antagoniste, par exemple (et donc du lecteur). Cette ironie est assez flexible car vous pouvez l’utiliser au cours de scènes importantes comme d’autres scènes moins cruciales pour l’histoire (mais tout de même indispensables).
L’ironie se crée parce que le protagoniste ne sait pas que le méchant de l’histoire détient une information et de même lorsque le lecteur est averti d’une information ignorée par le personnage principal.

Cette technique génère de la tension (et donc un conflit potentiel) parce que le lien empathique qui unit le lecteur au héros de votre histoire permet à cette énergie émotionnelle de passer de l’un à l’autre.
Imaginez que votre protagoniste est un agent infiltré dans un gang. Le chef du gang découvre qu’il n’est pas celui qu’il prétend être mais votre héros ne le sait pas encore. Le lecteur a réalisé, cependant, que le personnage principal était découvert et aussitôt, les mécanismes émotionnels se mettent en place. Il se crée un suspense et le lecteur adore cela.

Dans le même ordre d’idée mais qui ne consiste pas à donner un avantage à un antagoniste, vous pourriez mettre votre héros en situation de danger alors qu’il s’y attend le moins.
Comme dans Pulp Fiction, par exemple, lorsque Butch Coolidge est à un feu rouge et que l’homme à qui il vient de dérober de l’argent traverse la rue à ce moment et croise son regard, cela crée aussitôt du suspense.

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Lorsque vous écrivez une scène, essayez de tenir compte du suspense que vous pourriez y ajouter. Pensez cette scène sous l’angle du conflit potentiel qu’elle pourrait receler.

Cela peut vous donner des idées ou améliorer l’impact de la scène sur le lecteur. En respectant des binarités à l’intérieur de la scène, en jouant sur la dynamique de valeurs contradictoires ou opposées qui expliquent les comportements et attitudes des personnages dans la scène, vous ne manquerez pas de créer une résonance émotionnelle chez le lecteur.
C’est cet objectif que vous devriez rechercher.

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