Je prends appui sur The Stranger (2022) de Thomas M. Wright pour détailler le fonctionnement d’un nexus. D’abord, il y a un prologue sombre : la rencontre de Paul avec Henry renvoie une image sombre et lourde, ce qui crée aussitôt en nous une angoisse. D’autant plus que nous ignorons encore à ce moment du récit que tout est orchestré afin de piéger Henry.
Ici, dans la mise en mots comme prélude à la mise en scène, les indications scéniques (les didascalies) sont d’une importance majeure pour exciter en nous cette inquiétude. Cette scène ne nous apprend rien sur la situation en cours ; tout, néanmoins, participe à notre préparation : la lumière, les couleurs, les ombres, le corps des acteurs, l’arrière-plan (le bus lui-même qui témoigne déjà d’un dernier voyage pour Henry, vers la fin de sa liberté), tout se charge d’un sens que nous sentons bien sans que nous sachions l’expliquer et cette incertitude ajoute à notre malaise.
Thomas M. Wright ancre son récit dans le passé. L’intrigue consiste à découvrir ce passé. Wright s’est donc interrogé sur les raisons de ce prétexte d’agent infiltré dans une fausse organisation criminelle et il lui est apparu la nécessité de la certitude de la culpabilité d’Henry par Rylett. C’est cette conviction qui s’oppose frontalement aux autres enquêteurs qui justifie l’opération.
Pourquoi un tel désaccord entre les enquêteurs sinon pour nous amener à nous demander si cette conviction est bien fondée ? L’acharnement de Rylett ne risque-t-il pas de la mener à l’erreur judiciaire ? Voilà l’idée que Wright tente d’imprégner en nous. En fait, lui aussi, il nous manipule. Les doutes des collègues de Rylett qui ne comprennent pas son engagement et sa détermination donnent de l’épaisseur à son personnage. Sans cela, sans cette relation, Rylett aurait été monolithique.
Face à Henry, face au dispositif apparaît Mark. Progressivement, nous comprendrons que Mark est émotionnellement engagé envers l’enfant assassiné. Cette empathie nous est démontrée par la relation qu’il entretient avec son propre fils, une relation qui exacerbe son sentiment de protection et son anxiété.
Cependant, ce n’est pas le thème qui soutient Mark : Mark est consumé entre cette empathie et l’amitié sincère qu’il s’est découvert avec Henry. Mark n’est jamais dans la simulation. Il baigne dans le mensonge, mais il ne s’y noie pas : il demeure vrai.
Notez alors comment la solitude de Mark nous est montrée dans des scènes souvent de quelques lignes, seulement de didascalies et le personnage lui-même est divorcé ce qui renforce son isolement. Après son droit de visite, Mark rend son fils à son ex-femme qui apparaît dans le lointain interdisant toute interaction. Nietzsche disait que la solitude est nécessaire parce qu’elle est souffrance et participe ainsi de notre élévation. Le tourment de Mark assure son arc dramatique vers une possible rédemption marquée par ses larmes lors du dénouement.
Que nous dit Thomas M. Wright ? Que dans le détail, nous nous émancipons de la médiocrité de la multitude.
Maintenant, j’ai besoin de pousser plus loin mes ruminations. Je vous retrouve dans le prochain article.