NEXUS INDISPENSABLE ?

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Dans un récit, nous pourrions distinguer quatre lignes dramatiques. Je me fonde sur la théorie narrative Dramatica comme moyen de mon propos, non comme une vérité universelle. Dramatica, donc, distingue

  1. Overall Story Throughline [Overall Story Throughline (ou Objective Story Throughline) est un point de vue global sur le récit. L’Overall Story est comme un général au sommet d’une colline qui observe le champ de bataille. L’Overall Story est la vue d’ensemble de votre récit. C’est la perspective du ils agissent. L’Overall Story observe les événements comme ils se produisent et les relate.]
  2. Main Character Throughline
    Le Main Character est le personnage principal. Dramatica considère ce personnage comme principal dans le récit, car ce récit est précisément vu à travers le prisme du regard de ce personnage. Contrairement au général de Overall Story Throughline qui a une vue élevée sur le récit, le personnage principal a une vue personnelle de celui-ci.
    C’est la perspective d’un soldat sur le champ de bataille. Ce soldat est au cœur de la bataille et nous relate ce qu’il vit de cette bataille. C’est la perspective du Je.
  3. Influence Character Throughline
    Le personnage dont la fonction sera d’influencer d’une manière ou d’une autre un personnage principal (ou Main Character).
  4. Subjective Story Throughline
    Cette quatrième perspective nous montre la relation qui existe entre le personnage principal (Main Character) et l’Influence Character. C’est la résultante de la combinaison entre le Je et le Tu. Nous pouvons la considérer comme la perspective du Nous.

Vous le voyez, ces lignes dramatiques peuvent être tout aussi bien considérées comme des lignes relationnelles : la relation entre les personnages entre eux, mais aussi dans leurs rapports à l’espace scénique, au temps, à toute autre entité en fait (personnages, situations… tout ce qui vous vient à l’imagination).

Puis vient le moment du nexus. Tous ces mouvements finissent par se croiser. Un exemple ? Orange Mécanique (1971) de Stanley Kubrick. Selon la perspective objective, les personnages se retrouvent dans des situations qu’ils sont incapables de maîtriser : des jeunes hors de contrôle et sans foi ni loi terrorisent la société ; Alex est emprisonné pour meurtre et soumis à un lavage de cerveau orchestré par ceux qui l’entourent, ses anciens compagnons, un écrivain totalement fanatique et un politicien bien trop rusé ; et même jusqu’à Joe qui prend sa place et dans sa chambre et auprès de ses parents pendant son incarcération…

Le personnage principal est bien sûr Alex. Une précision cependant : Main Character Throughline se comprend aisément lorsqu’on pense cette ligne dramatique comme un arc dramatique : une évolution vers un autre état psychologique. Et ce peut être pour le meilleur tout autant que tragique. Le personnage qui influence (Influence Character Throughline) est ici la société : une société qui pousse les individus à adopter certaines façons de penser conservatrices et à s’opposer à ceux, comme Alex, qui sont des non-conformistes. J’ajoute une précision sur cette influence : elle est plutôt le point de vue opposé ou alternatif à celui du personnage principal. Doit-il changer ou résister ?

Alors quelle pourrait être l’évolution de cette entité ? Au début, elle nous apparaît sous l’aspect d’une résignation, d’un conformisme et, comme on ne peut rien y faire, d’un pragmatisme cynique. Seulement voilà, au contact d’Alex, quelques voix s’élèvent comme une prise de conscience collective, on commence à refuser la soumission. Maintenant, nous apprécions la relation qui existe entre Alex et la société. La lutte d’Alex est d’avoir un monde différent. La société, en tant qu’Influence Character, le tente ou le met à l’épreuve, puis éventuellement change sous son influence, ou l’influence à changer.

Pour expliciter le nexus, je considère ces deux courbes : Alex s’oriente vers une perte de son libre arbitre (par le biais du traitement Ludovico) ; la société dérive vers une manipulation idéologique du corps social. Alors quelle est mon interprétation du nexus ?

Ludovico a été dénoncé, Alex est redevenu une victime et le ministre de l’Intérieur conclut un accord avec lui. À ce moment, les deux courbes se croisent : Alex retrouve sa liberté de choisir et il choisit le mal ; la société (incarnée) devient le complice de la violence qu’elle prétendait éliminer dans des fins de pouvoir ou politiques. Le nexus narratif dans Orange Mécanique, c’est l’alliance finale entre Alex et l’État. Non pas une résolution harmonieuse, mais un pacte faustien entre un individu qui a retrouvé sa liberté et une société qui, elle, a renoncé à ses principes.

Je précise ma définition : le nexus est synthétique. C’est un processus dialectique avec une thèse qui est la vision très personnelle du monde d’Alex ; une antithèse qui n’est pas une contradiction, plutôt une autre vision du monde par la société.
Le nexus est alors la synthèse de ces deux perspectives. Et c’est là que votre liberté d’autrice et d’auteur s’exprime, car vous n’êtes point obligé de chercher une harmonie. Cette synthèse pourrait être contrainte telle qu’imposée par la force des choses. Alex ne choisit pas vraiment de changer : il est récompensé. Quant à la société, par peur de l’opinion publique, elle perd sa légitimité morale. Ici, on compose.

J’ai une objection. Cette vision synthétique, holistique, n’est-elle pas un frein à la créativité ? Devoir s’occuper de tant de lignes dramatiques qui suivent leurs propres cours et interagissent entre elles et les orienter vers un espace et un temps dans lesquels elles se résolvent mutuellement oblige l’esprit. L’obligation est contraire à la liberté.
Les relations entre les personnages sont indispensables : elles dramatisent les événements, l’action. Seulement donner une voix distincte à chaque personnage tout en assurant ses relations fait de leurs arcs dramatiques respectifs une énigme difficile à résoudre pour l’autrice et l’auteur. De même, penser un nexus, cela implique des idées et des messages divers qui doivent s’unir et le risque devient alors de surcharger sa parole, son intrigue.

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