Le Cabinet du docteur Caligari (1920) de Robert Wiene
Ce qui distingue immédiatement Le Cabinet du docteur Caligari, c’est son récit cadre. C’est-à-dire que le récit se constitue d’intrigues secondaires introduites par l’intrigue principale qui sert donc de cadre à ces histoires secondaires. Ce sont ces intrigues secondaires qui font alors le récit tout entier comme un narrateur qui conte ses mésaventures en histoires qui n’ont pas de lien entre elles sauf la narration du conteur.
Ici, le narrateur est Francis et son discours est très subjectif parce que le thème de la folie est au cœur du récit de Francis. Mais cette folie est très singulière : elle est toute de manipulation mentale.
Notre perception des choses est le moyen de l’expression. Qu’est-ce qui nous permet d’affirmer la réalité ? Et si ce que nous dit Francis n’est que l’expression de sa propre folie ? La manipulation psychologique qu’exerce Caligari sur Francis renvoie à une autorité oppressive et, comme très souvent avec l’oppression, qui s’accompagne de corruption.
Francis représente l’innocence ou peut-être la naïveté qui, prenant conscience, cherche à échapper à l’emprise autoritaire.
Des figures symboliques
Il peut être étrange de constater que les personnages sont conçues comme des figures plutôt que sous leurs profondeurs psychologiques alors que le récit traite de la folie. Caligari est la figure autoritaire qui manipule l’individu pour s’en protéger. Sur le plan politique, il est une figure autoritaire.
Cesare est l’instrument de la manipulation. On aurait tort de le considérer comme une victime car sa soumission et le mépris de son propre libre-arbitre sont le résultat de sa propre volonté. Francis, le héros, cherche la vérité. Mais comme on s’en aperçoit au fil de son récit, sa fragilité psychique biaise considérablement sa mission de résistance. Jane est le love interest, un archétype de l’innocence et de l’amour. C’est peut-être bien elle la véritable victime.
Le décor n’est pas en reste dans cette définition. L’expressionnisme ne cherche pas à décrire une réalité objective car, comme je l’ai mentionné, est-on vraiment sûr de ce que l’on perçoit ? Ce que l’expressionnisme dépeint est une déformation des choses par les émotions et autres passions ; c’est une déformation, non une altération : les choses ne deviennent pas autre, c’est nous qui sommes plus enclins à nous altérer. L’expressionnisme dans Le Cabinet du docteur Caligari se déploie dans les angles prononcés, les ombres et la lumière… toutes ces distorsions traduisent nos angoisses et nos tourments.
Échapper à l’illusion ?
C’est probablement vain. Lorsque nous atteignons le dénouement de ce récit, on comprend que Francis est interné dans un asile. Cette ambiguïté, ce décalage entre les faits et ce que nous en percevons sera étudié dans de nombreuses œuvres par la suite.
Comme Descartes, nous devrions douter de nos sens. Mais pouvons-nous vraiment atteindre la vérité ? Ne sommes-nous pas condamnés à l’illusion ? Certes, mon propos est sceptique. Vous pouvez l’objecter car je n’ai aucun droit à l’objectivité. En revanche, il est tout à fait pertinent de suivre la réflexion de Étienne de la Boétie dans son Discours de la servitude volontaire. La force n’est pas le seul moyen d’oppression, la soumission se nourrit de la passivité, de la peur et peut-être même de l’habitude. Cesare est une allégorie de l’individu qui nie son libre-arbitre, qui ignore volontairement la puissance de sa volonté. Le somnambulisme est une métaphore : ne pas penser, ne pas critiquer est rassurant.
Tout au long du récit, nous avons cru Francis. Le retournement de situation lors de la révélation de sa folie (qu’on peut considérer comme le climax) nous force à reconsidérer notre confiance aveugle dans les institutions. On peut, si on veut, se persuader que la folie (ici, c’est par le moyen de l’expressionnisme que cela est communiqué) est la réponse (et non le remède) à un monde absurde dans lequel il est vain d’y trouver le moindre sens. Francis est impuissant à donner du sens à un monde qui ne saurait avoir de signification. Il échoue.
Quelques conseils
Pour votre scénario d’horreur, interrogez-vous sur vos perceptions. Faites douter de la vérité des événements. Entraînez votre lecteur/spectateur dans des images qui trompent non seulement les sens mais aussi l’intellect. L’horreur n’est pas dans les Jump Scares qui n’ont pour finalité que de vous faire sursauter. L’horreur dure et pour qu’elle demeure, il faut le doute, s’inquiéter de ne plus pouvoir ancrer son esprit dans un phénomène évident. C’est de la peur. Servez-en à votre lectrice et à votre lecteur.
Chaque nouvelle révélation les plonge dans l’inconfort et n’éclaircit en rien la situation. Dans Motel (2007) de Nimród Antal, David et Amy sont incapables de distinguer ce qui semble vrai de ce qui est illusion de l’image. Ils comprennent progressivement qu’ils seront les prochaines victimes et c’est d’autant plus paranoïaque que chaque détour dans ce motel infernal semble être déjà une menace. Et chaque impasse horrifique ne résout en rien l’horreur qui s’installe durablement. Et dans L’homme au masque de cire (1953) de André de Toth, on ne distingue plus entre l’inanimé et l’animé, entre ce qui a une âme et ce qui n’en possède point : illusion & réalité enchevêtrées.
Peut-être serait-il bon de créer des figures symboliques plutôt que de vous arc-bouter sur la psychologie sinueuse de vos personnages surtout si vous cherchez à transcrire une idée ou un concept. Laissez jouer la psyché de vos personnages entre eux, dans leurs relations. C’est plus intéressant pour le lecteur/spectateur et vous l’impliquez aussi dans l’énigme de votre symbole. Un symbole dont la nature est d’être universelle.
Le lycanthrope a toujours sollicité notre imaginaire. Comment être original avec un tel thème ? Par la métaphore et le symbolisme. Ginger Snaps (2000) de John Fawcet est cela : les véritables thèmes dont la lycanthropie est le moyen de l’expression sont l’adolescence, la féminité et les changements psychologiques et comportementaux qui les accompagnent.
Ce n’est pas vraiment une énigme que la transformation de Ginger est une métaphore de la puberté. Karen Walton la scénariste ne rend pas par hasard dans son écriture la coïncidence des premières règles de Ginger avec sa morsure. Le passage de l’enfant à la femme est une sensation figurée par la transformation en loup-garou : pilosité, agressivité, sexualité ; nous ne sommes pas dans un conte de fées. La princesse souffre le martyre et elle ne le comprend pas.
Notons le regard tout empli de préjugés qu’on porte sur les jeunes filles en fleur. Ginger y est bien-sûr sensible.
La relation entre Brigitte et Ginger explicite l’éclatement de la fratrie au moment de l’adolescence alors que chacun devient autre. C’est peut-être à ce moment que se décide soit d’être soi-même, fidèle à sa nature ou bien se draper d’apparences pour satisfaire aux attentes imposées mais bien plus confortables. Le souci avec Ginger est que sa volonté est biaisée par ses instincts animaux qu’elle ne peut réprimer. Quant à Brigitte, elle refuse la rupture du lien familial, ce qui la retient dans le passé. Voyez comme les auteurs dépassent la morale. Ici, c’est l’innocence sacrifiée sur l’autel de notre propre condition humaine.
L’environnement visuellement
Pour un scénariste, il est difficile d’utiliser l’environnement sans être à l’encontre d’autres métiers (mise en scène et chef décorateur quand il y en a un, par exemple). Alors vos mots symboliseront des angoisses et des tourments. Le lieu de la scène que vous écrivez se teinte d’émotions et de subjectivité.
Pour rester dans la lignée du Cabinet du docteur Caligari, Opération Peur (1966) de Mario Bava utilise le style expressionniste mais l’idée du gothique aide aussi à signifier les angoisses et les états d’esprit des personnages. C’est l’émotion qui donne ses formes à la réalité. C’est assez déroutant. Chambre 1408 (2007) de Mikael Håfström a pour cadre mental la perception de la réalité par le héros qui descend progressivement dans la folie.
L’environnement aide à maintenir l’ambiguïté du récit. L’incertitude entre l’événement et ce qui en est perçu trouble le lecteur/spectateur qui hésite entre vérité et folie. Tout comme l’expressionnisme, le gothique appuie sur les ombres dramatiques et les contrastes afin de démontrer comment nos sens déforment la réalité.
La question n’est pas tant que ce que nous percevons soit nécessairement faussé par nos sens mais plutôt ce que notre conscience, notre imaginaire, nos souvenirs, en un mot notre vécu, sculpte la réalité selon notre propre regard. Lors de l’écriture du scénario, on maintient alors le doute sur ce qui nous est montré, on crée intentionnellement une confusion entre réel et illusion.