LE RETOURNEMENT DE SITUATION

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Lorsque vous préparez votre récit, pensez déjà à vos retournements de situation. Si vous ne les semez pas, ils ne s’épanouiront pas. Je pense que vous le savez, le premier acte met en scène votre univers. C’est quoi cet univers ? Ce sont les objectifs de vos personnages, leurs motivations, leurs relations parce que ce sont de ces éléments que vous tirerez vos coups de théâtre.

Il est nécessaire pour le bien-être de votre lecteur/spectateur qu’ils comprennent rapidement quels sont les enjeux de votre récit. Sinon le retournement de la situation tombera à l’eau. Dans Le Train sifflera trois fois (1952) de Fred Zinneman, le retournement se prépare dans la dynamique des relations et des dilemmes des personnages, notamment de Kane et de sa jeune épouse. Et dans The Constant Gardener (2005) de Fernando Meirelles, les enjeux sont posés dès le premier acte. On comprend les motivations de Quayle et sa relation avec Tessa. Les révélations qui servent comme coups de théâtre s’appuient sur cette préparation.

Jesse JamesVous le savez aussi, il faut bien que quelque chose vienne bousculer le monde ordinaire du héros et de l’héroïne. Lorsque cet incident se produit, une nouvelle trajectoire s’impose au personnage principal (peut-être pas immédiatement mais au mieux en deux mouvements).
Pensez bien cet incident car non seulement il initie l’intrigue mais c’est aussi ce qui nous accroche. L’Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford (2007) de Andrew Dominik possède un incident déclencheur qui passerait presque inaperçu et c’est lorsque que Ford entre dans la vie de Jesse James. Cette rencontre lance le récit et mène à un dénouement inévitable. Margot va au mariage (2007) de Noah Baumback a aussi un incident déclencheur qui se fonde sur une rencontre. Toute la tension du récit provient des relations qui s’établissent depuis cette rencontre. Notez qu’un départ serait autant efficace.

NobodyAccrocher sa lectrice ou son lecteur, c’est créer en eux une attente. Parsemez votre acte Un de quelques indices qui prendront sens plus tard. Si vous considérez Nobody (2021) de Ilia Naïchouller, bien que le premier acte nous présente un homme ordinaire empêtré dans ses routines, cette caractérisation excessive est précisément un des tous premiers indices qui indique peut-être une personnalité dissimulée chez Mansell.
Le cambriolage peut être vu comme lançant l’intrigue. Cet incident jette l’opprobre sur Mansell mais cette retenue qui passe pour un acte de faiblesse montre un homme qui évite volontairement la violence : un autre indice que la personnalité apparente n’est probablement pas celle qui ne nous est pas encore révélée. Vous aussi, en écrivant votre scénario, retenez vos coups.

L’attitude insouciante de Aron Ralston de 127 heures (2010) de Danny Boyle nous est montrée dès le début. Et alors que nous sommes accrochés par l’urgence de la situation, nous avons eu un indice sur la personnalité de ce personnage qui le mène au tragique : par exemple, il n’avertit personne de son expédition.

L’acte Deux

C’est la confrontation. Les enjeux deviennent vraiment sérieux. Dans Inception de Dolan, l’élévation de ces enjeux commence lorsque l’équipe de Cobb comprend que leur cible est bien plus dangereuse que prévue. Faire monter la tension, c’est faire appel à l’inconscient du lecteur/spectateur qui cherche naturellement à réduire les tensions qui lui sont soumises. Cette pression appuie sur nos conflits intimes que nous réprimons ou que nous ne sommes pas parvenus à soulager.

La même pression s’exerce sur l’héroïne et le héros et, contre leur gré, ils en viennent à braver leurs propres désirs, peurs et autres traumatismes. Ce qui les amène à dépasser les mécanismes de défense vers une prise de conscience qui agit alors comme une transformation de leur être, du moins, tout comme nous devrions le faire, ils éclatent l’opacité de l’apparence pour atteindre ce qu’ils sont vraiment.

Un Crime dans la têteC’est dans l’acte Deux que l’intrigue chemine vers d’autres lieux. C’est une rupture mais ce n’est pas un véritable retournement. Cela crée plutôt un doute, une incertitude. En tant que lecteur/spectateur, le récit fait nous poser de nouvelles questions. Réservons le coup de théâtre pour l’acte Trois. Un Crime dans la tête (1962) de John Frankenheimer ne cesse de nous faire douter sur les véritables intentions des personnages. On ne sait pas qui contrôle qui. Le puissant coup de théâtre cependant est réservé pour l’acte Trois où tout est révélé.

La tension s’accompagne d’un resserrement des relations entre les personnages. Les alliances changent, les conflits tant internes qu’externes deviennent plus prégnants sur les personnages. En fait, le retournement de situation de l’acte Trois se prépare maintenant. Voyage eu bout de l’enfer (1978) de Michael Cimino voit les relations changer au fil de l’intrigue. Pensez à vos relations comme des lignes dramatiques indépendantes des deux personnages qui la vivent : ils peuvent avoir chacun leur propre destinée et leur relation suivra un cheminement dramatique indépendamment de ces destinées bien que marquées par celles-ci. Dans ce Voyage au bout de l’enfer, cette dynamique prépare le choc de l’acte Trois. Quentin Tarantino suit ce principe dans son Inglorious Basterds (2009). Les alliances se forment, évoluent, changent ; les motivations sont bien plus précisées et le retournement incroyable se produit effectivement dans l’acte Trois.

L’acte Trois

Enfin, le moment du climax. La fonction de celui-ci consiste à résoudre le problème au cœur du récit mais de manière spectaculaire, c’est-à-dire par un coup de théâtre dont la définition est la surprise autant pour les personnages que pour nous-mêmes.

Mais tout surprenant qu’il est, il doit être néanmoins dans la logique de l’intrigue. L’étrange mais ô combien nécessaire Waking Life (2001) de Richard Linklater possède un climax où le héros réalise qu’il est pris dans un rêve sans fin. C’est surprenant mais aussi logique avec tous les dialogues philosophiques entretenus au cours de l’intrigue qui n’en est pas vraiment une d’ailleurs. Le climax de The Tree of Life (2011) de Terence Malik repose sur une perspective cosmique et spirituelle de la vie après la mort. Certainement surprenant dans sa forme, il n’en est pas moins dans la ligne directrice de l’évolution introspective du récit.

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