L’autrice et l’auteur doivent porter une attention toute particulière dans leur manière d’intégrer les personnages dans l’intrigue et s’assurer que le rythme de leur développement est cohérent. Une évolution naturelle des personnages permet en effet de créer un récit crédible capable de maintenir l’intérêt du lecteur/spectateur tout au long de l’intrigue.
Pour s’assurer d’une évolution naturelle des personnages, il est essentiel de commencer par établir une base solide pour chacun d’eux, c’est-à-dire d’abord un passé qui influence leurs actions et leurs décisions si l’on admet que nous sommes le produit de nos expériences.
Les traits de personnalité
Les traits de personnalité sont des caractéristiques psychologiques durables qui influencent le comportement, les pensées et les émotions d’un individu ou bien-sûr, d’un personnage de fiction. Définir ces traits est essentiel pour créer des personnages crédibles et cohérents. Ils fournissent en effet un contexte, un agir singulier qui distinguent les actions et les réactions du personnage tout au long de l’intrigue.
Quand une personnalité est clairement définie, cela provoque en nous une attente. On devine déjà comment l’autre réagira lorsqu’on lui apprend par exemple une quelconque information. Avec les êtres fictifs, ce n’est point différent. Seulement pour l’autrice et l’auteur, c’est un atout car cela leur laisse la possibilité de nous surprendre quand le personnage agit contre ses tendances habituelles.
Un point important à noter : évitez la redondance. Faites en sorte qu’on distingue clairement vos personnages. Chacun d’entre eux aura une personnalité distincte tout comme l’on reconnaît la voix qui nous appelle.
Pour élaborer une personnalité, on peut tabler sur trois propositions : des traits dominants, des traits secondaires et certainement le plus intéressant, des contradictions.
On peut s’aider d’outils tels que le modèle des Big Five, l’ennéagramme (la méthode est controversée mais utile pour l’autrice et l’auteur) et, presque incontournable, les archétypes jungiens (le héros, le mentor, le fripon.. ils sont légion).
Maintenant, réfléchissez à comment l’histoire personnelle du personnage a fait ce qu’il est. Puis considérez comment de tels traits de caractère pourraient changer au cours de l’intrigue (en quatre étapes, quatre moments décisifs devraient être suffisants mais nécessaires) et après avoir inventé des traits contradictoires pour ce personnage, créez des conflits internes. Vous montez ainsi dans le récit des dilemmes souvent moraux d’ailleurs.
Attention : dans l’écriture de scénarios, un seul principe (qui ne tue pas la créativité), le Show, don’t tell ou dit autrement, montrez les différents aspects de la personnalité d’un personnage à travers ses choix, ses décisions parfois cruelles et ses attitudes, postures, en un mot son comportement selon les circonstances.
A propos d’idiosyncrasie, la manière de s’exprimer d’un personnage est tout aussi importante dans sa justification. Prenez comme exemple Drax le Destructeur des Gardiens de la Galaxie. Son apparence menaçante est en parfaite contradiction avec sa manière de s’exprimer : il possède un vocabulaire quelquefois pompeux ; il articule ses phrases de manière précise et formelle ; il prend tout au pied de la lettre et il a cette tendance qui nous le rend si sympathique en fin de compte à dire ce qu’il pense sans circonvolutions.
Il arrive néanmoins que l’on ne peut pas tout montrer. Dans ce cas, on a recours au monologue, une espèce de confession auriculaire. Considérons cette fois Travis Bickle dans Taxi Driver (1976) de Martin Scorcese. Travis nous dit ses pensées intérieures car sans cela, nous ne pourrions suivre sa lente descente dans la folie. Travis est un personnage solitaire qui ne communique pas avec les autres. Les monologues appuient alors sur cet isolement du personnage. Un avantage certain des monologues est qu’ils expriment une vue subjective. A travers ses monologues, nous percevons la vue déformée qu’à Travis du monde qui devient ainsi son monde. Vous souvenez-vous du You talkin’ to me ?
Il serait correct aussi de montrer comment les autres personnages perçoivent les traits de caractère d’un personnage. Cependant, évitez les caricatures, c’est-à-dire que si vous vous limitez à un seul trait quel qu’il soit, l’être que vous tentez de créer fera le lit de l’ennui. Plutôt listez ce qui est positif et négatif et réarrangez selon les circonstances. Vous gagnerez en réalisme.
La structure narrative
Hamaca Paraguaya (2006) de Paz Encina est tout à fait idoine pour illustrer comment le développement des personnages peut être étroitement lié à la structure narrative. Celle de Hamaca Paraguaya n’est pas vraiment compliquée : tout se passe autour d’un couple âgé assis dans un hamac, attendant le retour hypothétique de leur fils.
L’action est réduite à peau de chagrin mais détrompons-nous, les changements dans les dialogues et l’atmosphère sont précisément les étapes du changement qui caractérisent l’évolution psychologique des personnages.
L’arc narratif du couple s’aligne sur la structure du récit. Au moment de l’exposition, nous faisons connaissance avec ce couple, sa situation et leur désir qui se définit par une attente. Au cours du développement et à travers leurs conversations, nous sommes amenés à comprendre leur angoisse et leur espoir.
L’acmé du récit est un moment de réalisation. Ils portent dorénavant un nouveau regard sur leur situation et en effet, au dénouement, ils acceptent leur réalité.
Maintenir une cohérence
Le développement des personnages doit paraître naturel. S’il y a une transformation radicale, elle doit être justifiée par un événement majeur.
Dans American History X (1998) de Tony Kaye, le personnage principal, Derek Vinyard connaît un changement sincère. Au début, Derek est un néo-nazi violent et raciste. L’événement qui déclenche son changement est son incarcération pour le meurtre de deux hommes noirs. Pendant son séjour en prison, Derek vit plusieurs expériences qui remettent en question ses croyances : la trahison de ses supposés amis suprémacistes ; l’amitié qu’il développe avec Lamont ; les agressions sexuelles dont il est victime.
Ces expériences, en particulier son amitié avec Lamont, constituent l’événement qui provoque un changement profond dans sa vision du monde. À sa sortie de prison, Derek est transformé. Il rejette son passé raciste et violent, et tente désespérément d’empêcher son jeune frère Danny de suivre le même chemin destructeur. Son évolution n’est pas soudaine, mais progressive et douloureuse, ce qui la rend d’autant plus convaincante.
Il est nécessaire cependant que les transformations restent fidèles à la nature du personnage. La passion, l’intelligence, les liens familiaux restent constants tout au long de l’évolution de Derek. L’idéologie nouvelle qu’il se découvre ne modifie pas en profondeur qui il est. Le personnage gagne ainsi en authenticité.
David McKenna qui a écrit le scénario a su nous faire aimer Derek dès le début. Nous ne nous sommes pas attachés à ses détestables idées mais plutôt à l’être humain qu’elles recouvrent. Conserver ces aspects du personnage au-delà du changement qu’il subit justifie son arc dramatique. Il grandit sans changer qui il est vraiment, il le devient plutôt.
Les motivations qui rendent légitimes son désir de protéger sa famille et de trouver un sens à sa vie se maintiennent malgré ses expériences. S’il n’avait pas été si fidèle à ce qui le meut, les changements auraient été arbitraires et peu plausibles puisque forcés sur le personnage. Derek se livre à une joute avec son passé et ses instincts ce qui le rapproche insensiblement de nous-mêmes puisque dans la vie réelle, on ne trouve pas de cas où un méchant devient soudainement gentil sauf dans un processus de dédiabolisation qui relève de la manœuvre et non du changement.
Il n’y a pas que les aspects positifs de sa personnalité qui restent en place. Sa tendance à la violence et sa méfiance qui lui sont naturelles le définissent tout autant. Respectez cette nature duelle qu’on trouve chez tout un chacun d’ailleurs et vous créerez de la tension. Et celle-ci possède cette magie de nous river sur un récit. Ici, on se demande incessamment si Derek ne retombera pas dans ses anciens travers en fin de compte. McKenna a fait en sorte que la fin ne soit pas annoncée. Le message est clair : si le racisme et la haine sont innés chez l’homme alors il faut acquérir une morale pour nous permettre de vivre ensemble.
Les relations
Si nous considérons que nous construisons notre compréhension du monde à travers nos expériences et notre relation aux autres alors un personnage fictif fait de même dans son propre environnement. L’invention de l’arc dramatique répond au fait que nous-mêmes sommes des systèmes en constante évolution. Au contact d’autrui, soit nous renforçons des comportements, des postures, des attitudes et autres convictions, soit nous les changeons lorsque les réactions d’autrui sont suffisamment puissantes pour nous faire comprendre, pour le dire rapidement, nos erreurs.
Les situations conflictuelles sont un mécanisme adéquat pour cela. S’adapter et évoluer par la seule volonté n’est pas très dramatique. Pour réévaluer des préjugés par exemple, ce sera dans la confrontation telle celle de Élisabeth et de Darcy dans Orgueil et Préjugés de Jane Austen.
Maintenant on peut tabler aussi sur des principes établis : se voir au-travers du regard des autres et le concept d’empathie comme facteurs du changement. Parasite (2019) de Bong Joon-ho démontre comment les relations nous influencent mutuellement. Le contexte est celui de deux familles de classes sociales fortement opposées. Les Kim pauvres se voient à travers les yeux des Park riches comme des individus compétents et raffinés. Ce n’est qu’une apparence bien-sûr, mais dans cette situation, elle justifie leur propre existence.
Chez les Park, ce regard que leur renvoie les Kim leur permet de prendre conscience à la fois de leur propre privilège mais aussi de leur dépendance envers les Kim comme si, pour exister, les Park avaient besoin de la présence des Kim.
La différence de classes sociales ne ruine pas l’empathie. Ki-woo (le fils Kim) qui donne des cours d’anglais à Da-hye (la fille Park) hésite entre manipulation et une véritable affection. Et au sein de la même classe, l’empathie se développe aussi. Bien que Bong Joon-ho insiste sur le manque de solidarité de classe, Chung-sook (la mère Kim) partage avec l’ancienne gouvernante des Park leur condition de travailleuses précaires.
La dynamique du changement des deux familles se réalise par l’infiltration progressive des Kim dans la maison des Park jusqu’à la découverte du lieu secret qui force tous les personnages à réévaluer leurs positions et les relations correspondantes. En effet, le bunker apporte une nouvelle réalité sur la société dans laquelle ils vivent. Il bouleverse tout ce qu’ils croyaient savoir. Pour les Kim, ils s’aperçoivent qu’ils ne sont pas les seuls parasites. Leur position s’en trouve changée parce qu’ils pensaient maîtriser la situation et il s’avère que non. Et en fait, nous avons une conséquence similaire pour les Park concernant le faux sentiment de sécurité qu’ils ressentaient jusqu’à présent. La présence de Geun-sae dans le bunker est une espèce d’analepse qui ne dit pas son nom. Geun-sae est une réminiscence du passé de la maison des Park. Cette confrontation avec le passé est source de changement.