TEMPS & ESPACE : QUELQUES PRINCIPES

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Les propriétés temporelles & spatiales du récit sont tout aussi importantes que les événements qui s’y déroulent. Les scénaristes sont soumis à des contraintes que les auteurs de textes littéraires n’ont pas lorsqu’il s’agit de décrire les espaces contenus dans leurs récits.

Considérons Gérard Genette et sa distinction entre histoire & récit : l’histoire est une série d’événements et d’actions qu’un narrateur nous conte et le récit devient alors la manière dont sont ordonnés ces événements & actions, c’est-à-dire la représentation qui nous est donnée à voir & à entendre de ces événements & actions.
Nous nous retrouvons alors avec un temps de l’histoire et un temps du récit.

Le temps de l’histoire

La durée globale des événements du monde fictif relatés dans un texte peut varier considérablement en fonction de l’histoire racontée. Certaines histoires peuvent s’étendre sur une courte période, comme une journée ou quelques heures, tandis que d’autres peuvent couvrir des semaines, des mois, voire des années.

Cette durée globale est déterminée par divers facteurs, notamment la portée de l’histoire (une biographie ne peut décrire quelques heures de la vie d’un être), le rythme choisi par l’autrice ou l’auteur et les événements et conflits spécifiques qui sont décrits. Différents genres et styles narratifs peuvent également influencer la structure temporelle d’une histoire. Par exemple, un thriller ou un roman à suspense peut se dérouler sur une courte période pour accroître la tension dramatique et maintenir un rythme rapide, tandis qu’une saga fantastique épique peut s’étendre sur des années ou des décennies pour permettre la construction du monde et le développement des personnages.

La durée des événements au sein d’une histoire peut être manipulée grâce à des techniques narratives telles que les analepses, les prolepses (c’est-à-dire un retour dans le passé lorsque la mémoire ou les souvenirs sont invoqués ou, à l’inverse, lorsqu’une anticipation d’un futur possible est sollicitée) ou encore la narration non linéaire (ces techniques font que l’histoire devient récit).

Ces techniques permettent aux autrices et aux auteurs de transmettre des événements qui se déroulent en dehors de la progression linéaire du temps, ce qui ajoute de la complexité et de la profondeur à la structure narrative.

Pour l’histoire, les événements sont linéaires. Ils se succèdent en une série dont le mouvement ne peut être que vers l’avant. Ici, il n’intervient pas nécessairement la causalité : un événement n’est pas forcément l’effet d’une cause qui l’a précédé.

La propriété d’un scénario est son nombre de pages : cela indique le temps du film ou de l’épisode (120 pages correspondent approximativement à 120 minutes ; 45 pages à 45 minutes). Sachant cela, une page d’un scénario met en œuvre une variabilité temporelle, c’est-à-dire que sur une même page, il peut être décrit des actions qui durent 6 secondes et d’autres qui se déroulent sur deux heures de la vie des personnages et cela avec le même nombre de lignes dans la didascalie (le paragraphe qui introduit une scène).

Le temps du récit

Un scénario suit rarement la chronologie des événements. Cela participe à la créativité de l’autrice et de l’auteur. Et il faut user de cette liberté offerte.

Prolepse (un événement futur est inséré entre deux moments du présent narratif), analepse (un événement passé est inséré entre deux moments du présent narratif) ou bien encore, dans le domaine de l’écriture scénaristique, la séquence apparemment désordonnée fait référence à une technique narrative dans laquelle les événements d’une histoire sont présentés de manière non linéaire ou fragmentée.
Au lieu de suivre un ordre chronologique traditionnel, l’autrice et l’auteur d’un scénario réorganisent intentionnellement la séquence des scènes ou des événements afin de créer un effet spécifique ou de transmettre des informations d’une manière unique.

Ce découpage narratif, cette distribution singulière des événements dans le cours du récit, peut être utilisé pour ajouter de la complexité, du suspense ou du mystère à un scénario. Elle permet à l’autrice et à l’auteur d’impliquer le lecteur/spectateur en présentant l’histoire dans une structure non traditionnelle, l’obligeant à reconstituer les événements et à établir des liens entre les différentes scènes. Cette technique peut s’avérer particulièrement efficace lorsqu’elle est utilisée dans des histoires comportant plusieurs lignes temporelles, des analepses ou des intrigues qui s’entrecroisent.
Pulp Fiction, réalisé par Quentin Tarantino, est un exemple de cet enchaînement désordonné. Le film présente une série d’histoires interconnectées qui ne sont pas montrées dans l’ordre chronologique. Les scènes sont présentées sans un ordre apparemment logique, et le lecteur/spectateur doit s’impliquer activement dans le film pour comprendre les relations entre les personnages et les événements.

Ce montage brouillé peut être un outil puissant dans l’écriture d’un scénario, mais il nécessite une planification et une exécution minutieuses pour s’assurer que le lecteur/spectateur puisse suivre et comprendre l’histoire malgré la structure non linéaire. Il est important de fournir suffisamment d’indices, de contexte et de transitions pour le guider dans le récit et éviter toute confusion.

Quelques principes

Il faut rechercher l’économie de mots dans une didascalie. De longues descriptions rompent la fluidité de la lecture du scénario et la lectrice et le lecteur de ce scénario, qui peuvent être décisifs dans son devenir, n’apprécient guère d’être ainsi rejetés de l’action.

Ralentir le mouvement peut être un outil puissant dans la narration visuelle, en ajoutant de l’emphase, du drame ou un sens accru de l’émotion à un moment particulier. Lorsque vous incorporez de tels moments dans un scénario, il est important de décrire l’effet recherché et l’objectif du ralenti, afin qu’on puisse comprendre votre vision. Par exemple :

EXT. JARDIN PUBLIC – JOUR
Le parc est animé par des promeneurs qui profitent d’une journée ensoleillée. Des enfants jouent sur des balançoires, des couples se promènent main dans la main et des chiens se poursuivent dans l’herbe. Parmi la foule, nous trouvons Jacques (la trentaine), un homme déterminé mais mélancolique, perdu dans ses pensées.
Jacques aperçoit une PETITE FILLE (6 ans), le visage rayonnant de joie, qui court vers un groupe de ballons colorés attachés à une branche d’arbre. Le monde autour de Jacques ralentit tandis que son attention se porte sur le sourire radieux de la fillette.

EXT. JARDIN PUBLIC – P.O.V. JACQUES – JOUR
Les cheveux dorés de la petite fille dansent dans le vent tandis qu’elle tend ses petits bras vers les ballons. La lumière du soleil la baigne d’une chaude lueur, créant autour d’elle une aura éthérée.

Ici, le ralenti est suggéré pour souligner l’innocence et la joie de la petite fille, contrastant avec l’état mélancolique de Jacques. La description fournit des détails sur les éléments visuels et l’effet recherché du ralentissement du temps, ainsi que sur l’impact émotionnel qu’il a sur Jacques.
Les deux scènes décrites ici se jouent au présent. Le point de vue de Jacques est subjectif.

L’ellipse est un outil important de l’écriture scénaristique. L’ellipse intervient sur le temps de l’histoire lorsque le discours omet un événement intermédiaire d’une scène à l’autre. Elle est utilisée pour créer une pause, du suspense, ou pour laisser entendre que quelque chose n’a pas été dit ou n’est pas résolu. Par exemple :

INT. SALON – JOUR
Jean et Isa sont assis sur le canapé, leurs visages sont tendus.

JEAN
(serrant les dents)

Je n’arrive pas à croire que tu…

ISA
(sans croiser le regard de Jean)

Je sais, mais…

Le téléphone de Jean retentit. Il jette un coup d’œil sur le nom de l’appelant, puis sur Sarah.

JEAN
(prend l’appel)

Les yeux de Isa se remplissent de larmes, mais elle reste silencieuse.

Ici, l’ellipse par les points de suspension est utilisée pour indiquer que la réponse de Jean à l’appel est intentionnellement laissée de côté. Cette omission crée un moment de suspense, laissant le lecteur/spectateur se demander qui a appelé et comment cela affectera la conversation des personnages. L’utilisation de l’ellipse ajoute une tension dramatique et invite le lecteur/spectateur à spéculer sur ce qu’il s’est passé dans cet intervalle de temps.

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