DE L’EXTÉRIEUR Á SOI

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Il est difficile de connaître autrui de l’extérieur. Alors lorsqu’il s’agit de créer un personnage issu de l’imagination parce que l’intrigue exige sa présence, la problématique devient ardue à résoudre. Créer une existence est une tâche difficile pour une autrice ou un auteur. Il leur faut imaginer comment ce personnage pourrait agir dans des circonstances et des contextes imaginaires, c’est-à-dire anticiper ses actions et comme dans la vraie vie, on s’aperçoit souvent que l’on s’est trompé sur les attentes déduites de notre observation de l’autre.

Une vie

Apprendre à connaître l’autre est un a priori indispensable pour donner vie à un personnage. Par cette connaissance, chaque mot, chaque geste & chaque action feront sens sur la page. Votre écriture donne la vie.

Autrices & auteurs apprennent incessamment. Ils ne cessent jamais de commencer et c’est une bonne chose. Commençons donc, à titre de nouvelle expérience, par l’image que renvoie un personnage non seulement aux autres personnages mais aussi à la lectrice et au lecteur, les véritables destinataires de l’œuvre en devenir.

Il s’agit de découvrir un personnage vu de l’extérieur. L’apparence joue dans la définition d’un personnage mais c’est toujours au détriment du récit. Un personnage qui fait ses courses en sandales et chemise hawaïenne dans un supermarché nous dit quelque chose sur sa personnalité : c’est une scène d’exposition, sans intrigue.

Cette apparence n’est pourtant pas figée car celle-ci s’estompe souvent sous l’effet de nos expériences toujours renouvelées et change aussi. L’apparence physique nous dit quelque chose à un moment singulier de la vie d’une personne mais ne nous apprend rien de ce qu’elle a été et de ce qu’elle sera.

S’interroger sur un personnage comme par exemple de savoir dans quel milieu social & familial ce personnage a passé son enfance, même si cela n’a aucun intérêt pour l’intrigue, vous assure une intimité avec celui-ci. Cette enquête révélera des détails que vous n’auriez peut-être pas soupçonnés sans cette interrogation.

Et précisément, vous pourriez décider que porter une chemise hawaïenne n’est pas seulement par goût ou caprice mais le résultat d’une éducation trop rigide et l’expression d’un besoin de liberté. Il est utile de chercher le moindre détail et l’histoire personnelle d’un personnage est un lieu d’investigation passionnant.

Ce qui ne manquera pas de vous surprendre, c’est que ce questionnement peut vous aider à concevoir votre intrigue. Considérons à la suite de Michael Hauge (lecteur de Joseph Campbell) qu’un personnage se construit en six étapes. Cette élaboration du personnage constitue son arc dramatique, c’est-à-dire son évolution au cours du récit.

La dynamique (une force accompagnée de mouvement) de ce processus a une origine antérieure à ce qui est conté dans le récit : d’où le bien-fondé de se demander comment fut l’enfance (par exemple) d’un personnage.

Identité & Essence

Un personnage possède une identité, un ego, un moi qu’il offre aux regards d’autrui. Admettons que derrière cette apparence, il y ait un être, une essence, une nature. Nous aurons alors un bras de fer constant entre le visible et l’invisible, entre l’extérieur et l’intérieur, entre la surface et l’intime.

Par cette lutte, il se construit graduellement l’évolution du personnage. Une transition brutale ne serait pas vraisemblable. La transformation du personnage se produira par étapes.

Pour décrire une telle évolution, nous aurons d’abord un personnage qui vit selon sa pleine identité. Shrek par exemple est un ogre asocial lorsque nous faisons sa connaissance. Un autre personnage pourrait ne vouloir qu’une chose : posséder.

La seconde étape consiste en une opportunité qui est offerte au personnage. On la nomme souvent comme incident déclencheur. Cette occasion ouvre un nouvel horizon pour le personnage car elle le fait penser autrement : elle lui permet d’entrevoir ce que serait sa vie s’il la vivait selon sa véritable nature, s’il reconnaissait ses véritables aspirations, que ses désirs ne sont qu’une illusion, un voile jeté sur une destinée à laquelle il se serait dédié s’il n’avait pas pris un mauvais chemin.

Cela provoque un ébranlement de ses certitudes. Il n’est pas encore prêt à faire table rase de ses habitudes. Dans Titanic, lorsque Rose aperçoit Jack dessinant, son regard se concentre sur lui parce que l’art est véritablement Rose mais lorsque Jack lui rend son regard, elle détourne le sien parce qu’elle n’est pas encore prête à abandonner son identité issue de sa classe sociale (une idée renforcée par la position surélevée de Rose par rapport à Jack).
Shrek aussi est dans un déni de son essence. Lorsque les créatures veulent en faire leur héros, Shrek rejette la proposition ; il veut demeurer dans sa sphère privée. Pourtant, par nature, il est un héros mais il ne l’accepte pas encore.

Cette acceptation de lui-même qui consiste pour un personnage à descendre en soi se justifie comme beaucoup de choses dans la vraie vie : par contraste avec sa contradiction. Le refus explique la nécessaire acceptation.

Vers la vérité

La troisième étape du changement est une pondération entre

  • revivre des souvenirs & sentir de nouveau soit ce qu’il y a de bienfaisant dans cette mémoire, soit ce qu’elle contient de mauvais car l’esprit à travers la mémoire et l’imagination travaille le corps, d’une part
  • et d’autre part, une nouvelle perspective qui est approchée prudemment car les sensations nouvelles (cette fois, c’est l’extérieur ou le monde qui travaille le corps : c’est un mouvement inverse du précédent) ne sont pas encore connues et qu’on ignore si leur effet sera positif ou négatif.

Le personnage se meut vers son essence, il envisage d’autres possibles pour lui ; mais il est encore effrayé à l’idée de se départir de ses habitudes actuelles car il ne peut prédire que ce qu’on lui offre maintenant est vraiment en rapport avec qui il est vraiment (qu’il ignore aussi probablement).

A propos d’acceptation, en effet, lors de cette troisième étape, l’héroïne ou le héros commencent à s’imaginer en héroïne & héros.
Pour cela, il leur faut un objectif extérieur, un désir d’accomplir quelque chose (Outer Goal). Shrek par exemple se comportera en héros pour sauver la princesse mais son véritable objectif est de reprendre possession de son propre territoire que Lord Farquaad utilise comme moyen de pression sur lui.

A ce moment de leur parcours héroïque, l’héroïne et le héros sont pleinement dans le paradoxe de l’âne de Buridan : un regard porté sur le devenir & une résistance au changement à cause que la tranquillité que procurent les certitudes et les habitudes serait à jamais perdue.
Face à deux nécessités, l’héroïne et le héros sont dans l’hésitation et elle se traduit par la dénégation ou pour le moins par un mauvais gré.

L’acceptation

C’est souvent au point médian du récit (une articulation qui permet au récit lui-même de devenir autre) que le héros ou l’héroïne prennent véritablement conscience de la nécessité de changer, d’aller à la rencontre d’eux-mêmes. C’est un dévoilement, un masque qui tombe. C’est en acceptant l’abandon qu’on peut être vrai.

Cela s’accompagne de la peur néanmoins. La nudité fragilise, rend vulnérable ; le mensonge qu’on se faisait à soi-même est bien davantage rassurant mais il ne correspond pas au besoin qui, maintenant, fait jour dans toute sa clarté.

L’ego, l’identité, est un lieu de calme et de sûreté mais la conscience de soi ou l’âme tout entière y est emprisonnée.

Dans les récits, c’est souvent un autre personnage qui détient les clefs (dans les mythes, il donne au héros une amulette censée le protéger mais le seul pouvoir qu’elle possède, c’est que le héros croit en sa protection).
Ce peut être une parole qui fait prendre conscience de quelque chose ou bien cet autre personnage refuse le jeu d’apparences que l’héroïne ou le héros lui renvoient (c’est-à-dire une identité) car il perçoit peut-être confusément chez eux qui lui font face une vraie nature qui transparaît sous l’image.

S’accepter est un point de non-retour. Dorénavant, l’héroïne et le héros sont détachés d’un passé qui les immobilisait. Ils ont découvert un nouveau paysage qu’ils explorent sans se sentir étrangers à eux-mêmes. C’est un abandon de valeurs, de passions et de fausses aspirations qui n’étaient que des illusions et ils se révèlent enfin à eux-mêmes.

C’est comme un nouvel amour où l’autre tout entier est cette énergie d’une telle intensité que la force qui s’irradie entraîne en soi une dynamique (c’est-à-dire une force aussi mais douée de mouvement) pour le processus de transformation qui se met alors en place sans la possibilité d’un retour, une inexorable marche en avant.

Le renversement de situation

Mais il ne saurait y avoir de récit sans drame : il semble que le nouveau chemin qu’empruntent l’héroïne et le héros soit une impasse. L’espoir s’effondre. Dans une comédie romantique par exemple, les deux amants bifurquent chacun sur une voie différente.

L’évolution cesse car l’énergie s’est dissipée car il est dans la nature d’une énergie de se dégrader. C’est une caractéristique de la quatrième étape de l’arc dramatique : la nuit obscure de l’âme.

La première partie de l’intrigue est faite d’obstacles inhérents à l’objectif, au désir. La seconde partie décrit une lutte interne ; l’héroïne et le héros doivent vaincre leurs propres réticences ou bien ils échoueront (et dans la tragédie, ils y échouent à la fois dans le désir et dans le besoin).
On peut décrire cela comme une absence. C’est sur le quai des départs que la pensée de l’autre se fait douloureuse par son absence. Cela s’applique évidemment à la comédie romantique. Mais cette absence existe aussi dans d’autres genres.

Des pensées pleines d’amertume encombrent l’esprit mais elles ne sont que des poussières de pensée, des pensées de peu d’importance parce qu’elles sont subies.
Elles n’attendent qu’un rayon, c’est-à-dire quelque chose qui les fera naître en une volonté inconditionnelle. Et ce rayon est la cinquième étape vers le changement. L’héroïne et le héros vivent dorénavant selon leur propre vérité. Comme Rose dans Titanic, ils sont prêts à tout perdre car ils s’aperçoivent que ce qu’ils étaient n’est pas eux mais ce que l’on attend d’eux. Il leur faut maintenant vivre pleinement leur destinée, c’est-à-dire ce qu’ils auraient dû être sans qu’autrui ne les oblige dans une existence qu’ils n’ont pas choisie.

Dans une comédie romantique, cette destinée est l’être aimé. Cet arc dramatique se répète quel que soit le genre. Ce cinquième jalon de l’évolution est d’assumer totalement sa véritable nature. Ils sont maintenant détachés de la fausse identité voulue par d’autres et renaissent en un être nouveau.

Les conséquences

La décision de s’accepter, d’être pleinement soi ouvre une nouvelle situation conflictuelle : le climax dont l’issue de cette ultime confrontation avec l’antagonisme porte le message que l’autrice et l’auteur souhaitent faire passer. Ils y démontrent ce que c’est que de vivre pleinement selon sa destinée.

Lors de cette sixième et dernière étape, la transformation est achevée. Le personnage laisse derrière lui son passé ce qui est souvent représenté par l’abandon du lieu qui marque cet ancrage : Frodon quitte la communauté, Shrek quitte son marais.

La matière de la fiction n’est pas si différente de la matière de notre réalité. La forme fictionnelle n’est pas moralisatrice ; elle ne nous dit pas ce qui est bien ou mal ; elle cherche simplement à nous dire que nous sommes capables de donner un sens à notre existence.
C’est-à-dire d’assumer pleinement nos aspirations quelles qu’elles soient. Se fixer un but dans nos vies n’est pas de réaliser ce que l’on attend de nous mais d’accomplir notre propre destinée telle que nous la devinons (ou l’imaginons) profondément en nous.

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