USAGE DE L’ANALEPSE

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Un récit est horizontal. Son mouvement suit une ligne horizontale. Lorsque le récit demande à ce qu’un événement du passé remonte jusqu’au présent, cet événement interrompt l’élan dramatique.
La valeur de l’analepse est d’expliquer des choses que le présent peine à raconter. Par exemple, nous faisons connaissance avec une héroïne qui doit entreprendre un voyage risqué. Pendant les préparatifs, nous en apprenons davantage sur l’héroïne, sur son caractère par quelques analepses nous décrivant son enfance et en particulier son amour d’enfance, c’est-à-dire la raison exacte pour laquelle elle s’est décidée à s’engager dans cette aventure : retrouver cet amour perdu. Le récit de l’héroïne se partage avec celui d’autres personnages qui possèdent leur propre ligne dramatique et que l’on devine plus ou moins antagonistes de celle-ci. On apprend ainsi que ces autres personnages ont besoin de s’emparer de l’héroïne parce qu’elle détient un secret, par exemple.

Globalement, nous avons deux lignes dramatiques parallèles : celle du personnage principal et celle de son antagoniste. Seulement, nous allons découvrir que ces lignes ne sont pas voisines. En effet, le présent du récit est celui de l’antagonisme qui réagit au statut particulier de l’héroïne que celle-ci a acquis lors d’une aventure qui se situe dans le passé.
Pour montrer ce qu’il se passe maintenant, on utilise ainsi le moyen de l’analepse (et dans mon exemple une double analepse, un peu comme une mise en abyme).

La cicatrice, trace visible du passé

On peut s’interroger sur la nécessité du recours à la mémoire pour expliquer la personnalité actuelle d’un personnage. Ne peut-on construire un arc dramatique décrivant le changement avec un point de départ qui se situe dans le présent ?
La vérité est qu’il est plus dramatique de présenter un personnage avec un dilemme déjà en place qui suppose une décision à venir que de retarder l’intrigue en mettant en place dans le premier acte les conditions de ce dilemme. L’esprit du personnage est déjà lourd d’un fardeau lorsqu’il se présente à nous. Ce poids singulier dissipe le néant et autorise un devenir pour le personnage.

Ce devenir est celui d’une évolution psychologique. Le personnage devient autre sur le plan émotionnel. Sa sensibilité et son raisonnement lui permettent progressivement de voir et de comprendre plus de choses qu’autrefois car le voile de l’illusion s’est soulevé sur d’autres réalités, d’autres horizons.

L’analepse peut être simplement suggérée par quelques lignes de dialogue ou quelque objet appartenant au passé si l’autrice ou l’auteur considèrent que la verticalité d’une analepse brise le flux du récit.
Néanmoins, le dilemme qu’elle suppose crée une anticipation à cause que ce dilemme pose une énigme. La lectrice et le lecteur veulent savoir ce qu’il s’est passé autrefois dans la vie du personnage. L’auteur et l’autrice dévoilent alors une vérité par bribes (sinon, ce ne serait plus une énigme). L’esprit humain est curieux par nature. Ce qui se dit dans le présent éveille l’attention et crée le besoin de savoir. Lors de l’exposition du personnage dans l’acte Un, une stratégie possible est de montrer la faiblesse du personnage : supposons que l’auteur et l’autrice nous démontrent qu’il est alcoolique par exemple. Cette addiction n’est pas seulement un trait de son caractère posé arbitrairement par l’autrice et l’auteur et qu’ils nous demandent d’accepter comme un principe. Comment cette addiction a été possible, pourquoi elle le fut.. ces informations seront données comme des indices au long d’un récit dont l’une des tâches est la solution de cette énigme.

L’analepse en dernier recours

Les personnages n’échapperont pas à leur passé. Avant de céder à l’analepse, demandez-vous s’il n’y a pas une manière autre de dire la même chose. Par exemple, nous faisons connaissance avec un couple au petit matin alors que les personnages sont encore dans leur lit. Ce que l’autrice ou l’auteur cherchent à signifier dès maintenant, c’est le néant qui existe désormais entre le couple mais sans recourir à des moments du passé décrivant des moments au cours desquels la séparation s’est effectivement réalisée.

Résoudre cette situation consiste à donner un indice comme par exemple notre couple allongé à l’opposé l’un de l’autre laissant entre eux un vide comme signe du délitement de leur couple. Cette représentation n’en demeure pas moins une information du passé, une trace d’autrefois dans le présent de la narration. Non seulement, vous valorisez votre lectrice et votre lecteur en sollicitant leur intelligence et leur attention mais par cette attention même, vous les invitez à participer à votre récit.

L’usage de l’analepse doit être nécessaire. C’est-à-dire qu’elle doit éclairer le présent. Le passé d’un personnage est mystérieux tant qu’il n’est pas dévoilé. Pour que ce qu’il se passe maintenant fasse sens, l’autrice et l’auteur jugent alors de la pertinence de l’analepse.
C’est leur liberté et leur responsabilité. L’analepse devient ainsi un récit dans le récit ; un récit secondaire qui reflète le récit cadre dans lequel il s’immisce. En tant que récit elle-même, l’analepse possède son propre élan narratif et n’est pas une interruption. Elle raconte une expérience vécue par le personnage et elle l’a dit au présent.

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