Un récit est constitué d’éléments divers. Ce qui donne du sens à ce récit est la manière particulière dont ses éléments s’unissent les uns aux autres afin de former un tout. Votre intention en tant qu’autrice et auteur de ce récit se concrétise dans cette liaison.
Un exemple pratique d’une telle liaison est le Chekhov’s Gun : un élément ne peut être posé dans une scène sans que des conséquences ne soient déjà envisagées. Cause & effet (ou mobile & motif) s’expliquent mutuellement. Vous avez besoin d’un effet ? Recherchez la cause.
Considérons Le cinquième élément : dans l’exposition, nous comprenons que Korben essaie d’arrêter de fumer. Il est aidé en cela par une intelligence artificielle qui le restreint habilement à quatre cigarettes par jour. Le moment venu, Korben cherche désespérément dans son appartement une allumette. Il trouve une boite avec deux allumettes seulement. L’une d’entre elles lui sert à allumer sa cigarette et machinalement, il glisse la boite dans sa poche.
Et Korben oublie (et le lecteur/spectateur aussi). Finalement, lorsqu’il leur faut activer les pierres, Ruby Rhod est lui aussi (ou elle, il ou elle est un androgyne) désespérer de ne point posséder de quoi allumer ces pierres.
Korben sort alors la dernière allumette de sa poche. Il fallait non seulement justifier la présence de cette allumette et aussi donner un tour dramatique à la situation : c’est la dernière chance.
Tout ce qui apparaît ou se manifeste dans le récit possède sa propre raison d’être.
Inverser le Chekhov’s gun
Et si la conséquence avait lieu avant sa cause ? Inverser le Chekhov’s gun, c’est fournir une anticipation au récit. Dans Le Prestige, nous assistons dans l’acte Un au tour de magie de la disparition d’un oiseau à l’intérieur d’une cage apparemment écrasée par les mains du magicien. Nous pensons que l’oiseau n’a pas pu survivre. Un jeune spectateur pleure la mort de l’oiseau. Alors le magicien le fait réapparaître tout à fait en vie. Mais l’enfant continue de pleurer. Et malgré l’évidence de l’oiseau en vie, l’enfant révèle l’existence d’un second oiseau en suspectant innocemment le frère de l’oiseau tué lors du tour de magie.
Cet indice anticipe sur la conclusion de l’intrigue lorsque nous comprenons que Angier tue des multiples versions de lui-même pour mener à bien son tour de l’homme transporté.
La finalité du Chekhov’s gun est de vous inciter à vous débarrasser de tout ce qui n’appartient pas à votre récit. Réservez plutôt ce matériel pour d’autres projets. Dans sa version la plus usitée, le Chekhov’s gun se construit en introduisant dans un segment narratif un élément qui nous a déjà été présenté plus tôt dans le récit.
Au problème du Deus ex machina qui faisait d’une intervention divine le sauveur d’une situation sans solution, Chekhov préconise d’introduire cet élément intercesseur d’une manière logique. Par exemple, votre héroïne manœuvre un quelconque matériel de chantier pour se défendre contre ceux qui attente à sa vie. Cette aptitude ne lui est pas soudainement donnée. Nous avons appris précédemment qu’elle savait conduire tel ou tel engin de chantier. Maintenant, elle s’en sert différemment et c’est ce détournement de l’objet qui est fascinant.
Un récit contient aussi le passé. Cette mémoire utilise le Chekhov’s gun pour se manifester. Elle nous dit que le changement n’est pas totalement accompli. Le passé fournit un motif aux actes du personnage. Il est l’expression du thème principal dont vous souhaitez débattre dans votre récit.
Les décisions que prend un personnage sont en regard de son passé. Par exemple, une jeune femme est hanté par la culpabilité de la mort de son amant. Lors d’une dispute qui a eu lieu dans une voiture, l’homme en sort précipitamment au moment même où un camion parvient à leur hauteur.
Le poids lourd renverse l’homme et le tue. Depuis, la jeune femme conserve les lunettes de son amant. Cet objet nous est présenté très tôt dans l’histoire mais sans que nous en comprenions la véritable portée. Ce n’est que plus tard lorsqu’elle jettera au feu ce souvenir du défunt amant que nous comprendrons symboliquement qu’elle s’est libérée de cette contrainte qu’elle s’imposait à elle-même.
L’objet est alors le symbole d’une croyance ou d’une fixation qui retient le personnage et l’empêche de s’accomplir. La signification donnée à l’objet est l’anticipation du changement.
Une exposition fragmentée
Une exposition trop chargée ennuie. Il est préférable de laisser des questions sans réponse. Par exemple, dans le prologue un personnage est kidnappé. Puis il réapparaît seulement vers le point médian du récit et sa fonction dans le récit s’éclaire.
Une information est plus intéressante à suivre et à deviner lorsqu’elle s’offre par morceaux. Ne cherchez pas à tout expliquer dans le premier acte. Laissez le cours du temps faire son œuvre.
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