Le temps est au cœur du récit. Une histoire est totalement déterminée par l’intervalle de temps qu’elle choisit de narrer. Le moment où une histoire débute et celui où elle finit ajoute à la signification.
Mais quand finit l’histoire ?
De tous les choix que fait un auteur, le temps alloué à une histoire peut être le moins conscient. Toute fiction doit faire face à l’expérience du temps qui passe. Une chose arrive, puis une autre : c’est une histoire. Cette succession d’événements est ce qui distingue l’impulsion narrative de l’impulsion purement lyrique. Un poème peut mener ses investigations dans un moment infini, il peut demeurer dans l’immobilité s’il le souhaite, mais la fiction doit se dérouler pratiquement en séquence.
Une histoire peut arranger les événements dans n’importe quel ordre qu’elle trouve utile, mais elle doit se déplacer entre l’autrefois, le maintenant et le devenir. E. M. Forster, dans Aspects of the Novel, dit que si on nous apprend que le roi est mort puis que la reine est morte, c’est une histoire, mais si quelqu’un dit que le roi est mort puis que la reine est morte de chagrin, c’est une intrigue.
L’intrigue aime la causalité. Dans un récit, nous recherchons un schéma d’événements et, à travers lui, du sens => la raison pour laquelle quelqu’un se donne la peine de nous dire cela. L’intrigue est la façon dont un auteur ou une autrice indique les façons dont il ou elle pense que le monde fonctionne.
La tradition, la résistance à la tradition, l’expérience individuelle, et les croyances innées entrent en ligne de compte dans le choix de l’auteur quant au nombre de minutes ou d’années imaginaires dont une histoire a besoin pour être claire et ressentie. Le temps qu’elle couvre a tout à voir avec ce qu’elle signifie.
Kierkegaard a dit que la vie ne peut être comprise qu’à rebours, mais qu’elle doit être vécue dans un incessant mouvement vers l’avant (à l’image du temps, pourrait-on dire). Cependant, la fiction (c’est une de ses consolations) imagine pour nous un point d’arrêt à partir duquel la vie peut être considérée comme compréhensible (en somme, donner un sens à l’existence) – une traduction de Kierkegaard appelle cela le repos nécessaire, qui permet la compréhension, l’angle de rétrospection, qui est la prémisse du conteur.
Une histoire est déjà terminée avant que nous ne l’entendions. C’est ainsi que le conteur sait ce qu’elle signifie.
La durée
La succession des événements dans un récit est souvent réglée par une causalité. Tel événement est le résultat de tel autre qui lui-même s’origine dans un événement antérieur.
L’unité de temps joue aussi dans l’organisation du récit. L’intrigue de Gatsby le Magnifique s’étend sur un unique été, par exemple. Mais ce serait une erreur de penser que le temps n’est qu’une durée. Tout comme un lieu apporte une tonalité singulière (le manoir gothique par exemple), l’été dans Gatsby le Magnifique justifie de nombreux événements et scènes qui ne peuvent s’expliquer que précisément parce que l’action se situe en été.
Une intrigue peut dépendre aussi d’événements passés qui seront révélés dans le cours du récit sous la forme d’analepses. Comprenez que l’analepse est la réminiscence d’événements passés qui n’entrent pas dans l’intrigue. Ces événements donnent des informations mais figent le nécessaire mouvement vers l’avant de l’intrigue.
Pourtant, les souvenirs sont un moyen contre l’oubli dont on pourrait accuser le temps. Le souvenir d’un amour passé perdu de vue et retrouvé lors d’une rencontre fortuite peut créer une relation qui sera le cœur de l’histoire, par exemple. Dire pourquoi les choses sont ainsi est un atout en fiction même si le rythme en pâtit quelque peu.
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