LE RÉCIT EN SÉQUENCE

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Dans l’organisation des scènes d’un récit, l’action et l’émotion doivent être gérées efficacement pour que le lecteur puisse suivre le flux et le reflux d’informations, maintenir son intérêt et comprendre le sens ultime de l’histoire.

Ces informations comprennent la description objective du monde, la mise en intrigue comme dirait Paul Ricœur ou plutôt la mise en place de cette intrigue, les personnages principaux et secondaires, la tension dramatique, le conflit principal, les obstacles et les complications, les intrigues secondaires, les réactions émotionnelles, et d’autres éléments dramatiques…
C’est beaucoup à gérer. Et selon Linda J. Cowgil, ce serait l’une des raisons pour lesquelles la plupart des scénarios sont si confus. Parce qu’en 120 pages, on ne peut en dire autant que dans un roman (ou même une nouvelle).

Lorsque l’intrigue saute d’une scène à l’autre, d’un conflit principal à une intrigue secondaire et d’une information à une autre, le lecteur/spectateur a tendance à être frustré parce qu’il lui est plus difficile de faire le lien entre les scènes et donc de comprendre ce que tout cela signifie.

Un principe dramatique

Pour qu’un scénario fonctionne, il doit adhérer aux principes de la dramaturgie afin que l’information soit véhiculée de telle sorte que le lecteur/spectateur puisse la suivre à travers l’action, les images et le son.
La structure est la première stratégie d’organisation qu’un scénariste utilise pour s’en assurer. Elle crée un cadre pour gérer et donner un sens à tout son matériel dramatique. Mais ce n’est que la première étape.

Un récit consiste à créer une séquence d’événements qui semble se déployer en jouant avec le temps (les analepses, le présent… l’activité narrative se sert du temps pour dire ce qu’elle a à dire), en guidant d’abord le lecteur/spectateur (c’est le concept du lecteur/spectateur qu’un scénariste doit considérer) à travers la complexe interaction des éléments dramatiques.

Mettre en intrigue, c’est prendre en compte les considérations structurelles de l’histoire qui ont trait au conflit et à la signification dans des moments qui transmettent l’exposition, construisent le suspense, révèlent les personnages et exposent l’émotion de manière à approfondir l’implication du lecteur.

Un récit est d’abord une structure selon Linda J. Cowgil qui trouve les moyens les plus intéressants, surprenants et émouvants pour connecter les événements.
Mettre en intrigue est en fait l’art de créer les relations entre vos scènes pour rendre les points de votre histoire plus puissants et plus significatifs. La structure est un ordonnancement d’informations importantes, d’émotions et d’actions.

La raison pour laquelle des scènes ne fonctionnent pas et n’ont pas l’effet escompté sur le lecteur est parce qu’elles ne sont pas liées de façon spectaculaire par des actions spécifiques de cause à effet. Selon Linda J. Cowgil, l’auteur n’a pas su dramatiser les caractéristiques particulières de son protagoniste en termes d’actions et de réponses.
Le lecteur ne peut pas comprendre les motivations du personnage ni suivre les indices importants de l’histoire. Les scènes ne se sont pas enchaînées pour faire ressortir les points importants.

Un principe de causalité

Selon Linda J. Cowgil, les scénarios sont mieux racontées en termes de séquences de cause à effet, et non dans des scènes individuelles qui transmettent une information et passent ensuite à la scène suivante.

Le problème commence souvent au stade de la planification. Beaucoup d’entre nous abordent l’écriture d’un scénario comme un processus consistant à relier une soixantaine de scènes entre un début et une fin en pensant les planifier.
Nous voyons l’histoire comme une série d’incidents individuels qui, une fois assemblés, transmettent l’action et le conflit. Ils nous prennent par le début et nous emmènent vers une fin. Ce nombre de soixante scènes provient d’une ancienne norme d’écriture de scénario qui prend la scène moyenne en deux pages, et soixante scènes font 120 pages. Aujourd’hui, la scène moyenne fait environ 1 page 3/4, mais il est décidément trop difficile de calculer cela rapidement, donc nous considérerons plutôt le chiffre deux (et donc les 120 pages de votre scénario ne deviendront donc pas exactement deux heures).

Le problème selon Cowgil est que les auteurs ont tendance à considérer ces scènes individuelles comme des idées autonomes. Ces soixante à soixante-dix scènes contiennent toutes des informations importantes. Cela crée de la complexité.
Avec tout ce qu’il se passe, il n’y a pas le temps de développer les idées correctement pour les personnages et montrer ce que les événements signifient pour eux. L’auteur peut inclure dans un plan une action qui semble se dérouler en un seul lieu et avoir un début, un milieu et une fin, mais pour être efficace, l’action devrait se dérouler dans plusieurs endroits et avoir une durée plus conséquente.

Lorsque le récit saute d’une scène à l’autre et que les relations (tout est relations dans un récit) entre les scènes ne sont pas claires, la signification des idées est perdue pour le lecteur qui ne sait pas où se concentrer.

A prendre comme une spéculation

Je préfère prévenir avant que certains d’entre vous montent sur leurs grands chevaux. Je n’impose aucune méthode. Je propose.

Et voici ce que nous propose Linda J. Cowgil :
Un bon scénario (qui est une espèce de récit parmi le genre récit) gère efficacement les informations en décomposant l’intrigue en segments bien développés. Ces segments concentrent la ligne d’action pour le lecteur/spectateur afin qu’il puisse voir et suivre la progression des événements dans l’escalade du conflit (la rising action que l’on lit de ci-de là) et les réactions des personnages.

Il existe de fortes relations de cause à effet entre les scènes, chacune s’appuyant sur les précédentes et menant à la suivante. Chaque segment a un rapport spécifique avec l’intrigue principale.
Même si le segment s’écarte de la ligne principale de l’intrigue et prend une tangente du type intrigue secondaire (qui n’est pas une digression) ou se concentre sur la caractérisation de ses personnages, son sens deviendra clair à la fin.

C’est d’ailleurs pourquoi il est souvent soumis à la sagacité d’un auteur l’énigmatique proposition de commencer son projet par la fin et de remonter à rebours pour inventer les différents moments de son récit qui mèneront plus tard à l’effet recherché.

Les longs métrages ont entre dix-huit et vingt-cinq idées principales qui se développent en soixante à soixante-dix scènes (à peu près). La base de la plupart des histoires est relativement simple mais bien développée. Ces idées sont organisées en groupes de scènes qui construisent et développent les idées importantes.

Retour à la structure

Depuis Aristote, dans sa forme simple, une structure a un début, un milieu et une fin. Des genres spécifiques ont certaines exigences qui définissent plus précisément la structure de leurs récits, mais ce plan est souple suffisamment pour les englober tous.

Le but du premier acte est de mettre en place les personnages ainsi que les points importants qui s’y rapportent et soulève la question dramatique centrale de l’histoire. Le deuxième acte se concentre sur l’action de plus en plus pressante dans la confrontation entre les forces opposées et les complications qui en découlent. Le troisième acte résout les oppositions et crée le sens final.

Vos principaux points structurels du premier acte sont l’ouverture, l’incident déclencheur et le point culminant de l’acte un (point culminant dénommé autrement climax).
L’ouverture du premier acte fixe l’exposition principale (le monde, le personnage principal…), les informations sur l’histoire que le lecteur doit connaître pour comprendre le conflit qui suit. Cette ouverture se continue ensuite jusqu’à l’incident déclencheur.

Qu’est-ce que l’incident déclencheur ? Il se passe quelque chose qui exige une réponse du protagoniste et pousse l’histoire à se développer. Au point culminant du premier acte, le problème ou conflit principal (qui est un moyen d’exprimer le problème) est clairement déclaré, et l’action doit en découler.

L’exemple de American Beauty

L’ouverture d’American Beauty établit la possibilité d’un meurtre et l’annonce ensuite avec la voix off de Lester qui dit au public qu’il sera mort d’ici un an. Le dialogue de l’exposition le dit clairement : « D’une certaine manière, je suis déjà mort. »

C’est une famille malheureuse. Lui et sa femme, Carolyn, ne s’entendent pas à tout niveau : et leur fille ne peut clairement pas supporter l’un ou l’autre.

L’incident déclencheur au match de basket introduit l’obsession de Lester pour Angela. Elle le fait se sentir vivant, et cet engouement menace encore plus ses relations familiales. Lester fait semblant d’être un couple normal avec Carolyn et l’accompagne au banquet de son agence immobilière, où il rencontre son nouveau voisin Ricky et où Buddy Kane devient l’amant de Carolyn.
Mais la fin du premier acte s’appuie sur l’engouement de Lester pour Angela ; il entend Angela dire à sa fille Jane qu’elle le trouve mignon. Elle pourrait coucher avec lui si Lester perdait du poids et se mettait à faire de la musculation.

Et c’est justement ce que Lester commence à faire. C’est le véritable élan qui pousse Lester à changer de vie, mais au risque de s’aliéner tous les autres. Son action soulève des questions dramatiques : Va-t-il agir sur ses pulsions envers la jeune fille, et qu’en résultera-t-il ?

Le modèle de American Beauty est précisément un modèle. Il définit clairement le problème que tous les personnages rencontrent et les enjeux initiaux. La théorie narrative Dramatica qui se veut à la fois théorie et pratique reconnaît quatre lignes dramatiques dont l’une décrit le problème général qui concerne tous les personnages et trois types de problèmes particuliers dont l’un est spécifiquement celui du personnage principal.

L’acte Deux

L’acte deux se concentre sur la confrontation avec le problème et les complications qui s’ensuivent de plus en pressantes alors que la tension dramatique devient de plus en plus impérieuse. La mise en place de cette confrontation est basée sur ce qu’il se passe à la fin du premier acte, mais doit encore se construire, généralement avec de nouvelles informations sous la forme de nouveaux développements.
Les complications peuvent être de deux ordres : elles peuvent être indépendantes du conflit principal et rendre les choses plus difficiles (elles sont purement des obstacles et ajoutent peu à la signification de l’ensemble, ou bien elles résultent souvent de la façon dont le conflit affecte le protagoniste et autres personnages. Leurs réactions est effectivement davantage porteuses de sens.

Le point médian (centre hypothétique du récit) sert de point focal de la première moitié de l’acte deux (il conclut à sa manière la première moitié de l’acte Deux généralement par une crise parce que celle-ci sera inversée au moment du dénouement), et le résultat de ce qu’il se passe ici pousse l’action vers le climax du second acte (là où se fait la solution du problème).

Dans American Beauty, la première partie du deuxième acte montre la réaction de Lester après avoir entendu les remarques d’Angela à son sujet. Il se met à soulever de la fonte, à fumer de l’herbe et à hausser le ton non seulement au travail, mais aussi à la maison, devant Carolyn.
Carolyn ne sait pas comment réagir. Au lieu de gérer cela avec lui, elle entame une liaison avec Buddy. Lester quitte son travail et fait chanter son patron pour obtenir une indemnité de licenciement très intéressante, puis, dans une folle tentative de retrouver sa jeunesse, il accepte un emploi dans un fast-food local.

Perdue au milieu de cette confusion, c’est Jane. Avec Angela qui fait des commentaires sexuels sur son père, Jane trouve du réconfort dans une relation hésitante avec Ricky, lui aussi issu d’une famille dysfonctionnelle et prêt à tuer son père (information que le lecteur obtient dès l’ouverture).

Le point culminant est la réaction de Carolyn à la nouvelle que Lester a quitté son travail et le confronte à ce sujet par l’intermédiaire de Jane, le forçant à lui dire, ce qu’il fait avec enthousiasme. La famille est en train d’éclater.

La deuxième moitié de l’acte Deux se concentre sur le climax du deuxième acte. Les nouveaux développements font place à un conflit croissant basé sur les actions déjà établies. Il y a encore des surprises, mais toutes sont basées sur ce que nous avons appris dans la première moitié de l’histoire (de l’acte Un au point médian).

La seconde partie de l’acte Deux d’American Beauty

Dans American Beauty, la seconde moitié de l’acte deux commence par la réponse de Carolyn à la transformation de Lester ; elle commence aussi à changer. Sa liaison et son tir au stand de tir lui donnent du pouvoir, mais pas assez pour faire face au nouveau Lester.
Jane s’arrange pour qu’Angela passe la nuit chez elle et confronte son père à propos de son comportement envers Angela. Lester s’en prend à Jane, le regrettant immédiatement, mais il est trop tard. La tension monte à la maison, ainsi que chez Ricky, où le père de Ricky, le colonel Fitts, se méfie de la relation de son fils avec Lester et trouve les vidéos du garçon.

Carolyn et Buddy font alors l’erreur de passer chez M. Smiley, le fast-food où travaille Lester. Il se rend compte qu’elle a une liaison et déclare : « Tu n’as pas à me dire ce que je dois faire. Plus jamais. » C’est le point culminant (ou climax) du deuxième acte. Le mariage est définitivement perdu.

Le troisième acte porte sur la résolution du conflit. Il se développe à partir de la situation à la fin du deuxième acte, en construisant l’action avec les derniers développements qui nous mènent au point culminant, le climax, du troisième acte.

À la fin du deuxième acte, Lester se trouve émancipé du faux-semblant de son mariage. Mais Carolyn en subit les conséquences ; Buddy met fin à leur liaison.
Le père de Ricky, déjà méfiant à l’égard de Lester, interprète à tort le trafic de drogue de son fils comme une rencontre sexuelle. Et lorsqu’Angela arrive, s’approchant de Lester, elle est perturbée par la confiance en soi qu’affiche Lester et se réfugie dans la chambre de Jane. Cela sert de base au conflit pour les derniers moments de l’acte, qui explosera en le point culminant de l’acte trois.

Vers le dénouement

L’action s’enflamme lorsque le colonel Fitts s’en prend à Ricky et le met à la porte, puis s’en prend à Lester qui le rejette avec compassion. Jane supplie Angela de ne pas faire l’amour avec son père, mais Angela résiste à Jane jusqu’à ce que Ricky arrive pour demander à Jane de partir avec lui. Quand Angela ridiculise leur plan, Ricky lui répond avec une honnêteté brutale qui la fait se retirer en larmes.

Carolyn, qui pleure dans sa voiture, refuse « d’être une victime » et sort son arme de sa boîte à gants avant de rentrer chez elle. Rien de tout cela n’est de bon augure pour Lester, qui découvre Angela seule et vulnérable.

Nous sommes maintenant au climax ; Lester va-t-il obtenir ce qu’il veut depuis la nuit du match de basket ? L’apogée est marquée par la tension dramatique induite par le montage des différentes actions (Lester et Angela dans le salon sont proches de faire l’amour ; Jane et Ricky dans la chambre à coucher planifient leur fuite ; Carolyn rentre chez elle avec une arme) et le lecteur se souvient que Lester va mourir.
Puis, lors du climax, Lester apprend qu’Angela est vierge. Son humanité émerge, et au lieu de profiter d’elle, il réconforte la fille désorientée.

L’étude de l’intrigue de American Beauty met comme en évidence les relations de cause à effet entre les principaux axes et articulations du récit – l’ouverture, l’incident déclencheur, le climax de l’acte un, le point médian, le climax de l’acte deux et le climax de l’acte trois qui précède le dénouement. Les actions conduisent à des réactions, qui créent de nouvelles actions, ainsi de suite.

Vous pouvez voir l’effet du conflit sur les personnages par leurs émotions et l’évolution de celles-ci et la transformation des personnages. Cette progression émotionnelle peut-on dire décrit les mouvements des actes et se construit à partir de relations entre les scènes qui font avancer l’histoire et assurent que le lecteur suit.

À l’intérieur de ces mouvements, on trouve des groupes de scènes qui fonctionnent ensemble pour créer un sens et un élan, un dynamisme. Ces groupes de scène peuvent être considérés comme des segments ou des chapitres de votre histoire.

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