SCÉNARIO MODÈLE : TOY STORY

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Ce qui est bien avec l’esprit indépendant du cinéma, c’est que l’on prend des risques en innovant. On fait du nouveau et c’est précisément cette volonté qui anima Pixar pour Toy Story.
Contre l’avis de Disney dont l’investissement sauva Pixar de la faillite, les auteurs de Toy Story firent preuve contre vents et marées d’une véritable invention formelle.

Pour tenter de cerner ce qui a fait le succès de ce scénario, commençons par son dénouement et à rebours, nous essaierons de comprendre quel a pu être l’effet de cette histoire sur son lecteur/spectateur parce que c’est bien cet effet cognitif qui sera reproduit.

Le dénouement de Toy Story

La prémisse est simple : Woody était autrefois le jouet préféré de Andy et est maintenant remplacé par Buzz l’Eclair. Woody tentera tout ce qui est en son pouvoir pour se débarrasser de Buzz jusqu’à ce que tous deux s’ouvrent mutuellement l’un à l’autre et unissent leur force nouvelle à échapper aux désirs machiavéliques de Sid, le voisin d’Andy aux pulsions destructrices.

La fin du scénario nous montre l’arrivée de nouveaux jouets (autant de nouveaux personnages) mais surtout d’un chiot et malgré l’aspect optimiste de ce final, il semble évident que ni Buzz, ni Woody ne s’attendaient à cela.

Alors que le point de départ du scénario montre Woody remplacé par un nouveau jouet, la fin nous montre que Woody et Buzz sont tous deux remplacés dans le cœur d’Andy. En effet, Andy grandit. En fait, ce scénario est une tragédie sous des atours qui voilent à peine la vérité.

Faisant bonne figure malgré ce que ce chiot représente pour eux, ils ont bien conscience que dorénavant, ils ne seront plus seuls à subir les tristes effets du temps qui s’écoule inexorablement.
Maintenant qu’ils éprouvent l’un envers l’autre une réelle sympathie, il sera plus facile de supporter la cruelle vérité de notre impuissance face au temps qui s’écoule.

C’est précisément cette attirance entre deux personnages que le scénario partage avec son lecteur. Parce que le lecteur sait bien que bientôt le monde continuera de tourner sans lui et qu’il est plus facile de l’admettre lorsqu’on est deux.

Pixar voulait faire passer ce message parce que les enfants sont capables de comprendre ce que peut être la mort. Ils l’observent et s’interrogent. Le scénario de Toy Story fait la démonstration remarquable qu’on peut tirer un avantage positif en exposant la sombre vérité de la mortalité des êtres vivants.

Le lecteur est conscient de la fugacité de sa vie et c’est bien cela qui lui permet de joindre dans un même mouvement de sympathie (qui consiste à ne pas être seul pour affronter le monde) Buzz et Woody à la fin de l’histoire.

La complicité (ou n’importe quel genre de relations qui existe dorénavant entre Buzz et Woody) est amplifiée et vient envelopper le lecteur. C’est cet effet qui doit être recherché si l’on souhaite s’inspirer de Toy Story pour écrire son propre scénario.

Le monde de Toy Story

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Le prologue établit le mélange des genres du scénario ainsi que la petitesse de son univers narratif. Un scénario qui assume son rejet de l’univers Disney : pas de lieux exotiques, pas de personnages de contes de fée. Ce sont juste des jouets. Des jouets ordinaires dans la chambre ordinaire d’un enfant.

Ce prologue reconnaît et célèbre le jeu créatif des enfants et la réalité de leur chambre, véritable microcosme où tourbillonnent des objets porteurs d’un sens spécifique amenés à la vie par les aventures merveilleuses de l’imaginaire d’un enfant.

Le monde de Toy Story reconnaît et apprécie le mélange apparemment aléatoire (en taille, en fabrication, en matières et en genres) de jouets qui s’accumulent dans la vie de l’enfant et qui participent activement aux jeux de celui-ci. Ce prologue permet aussi d’établir la relation litigieuse entre Woody et Andy.

Pour ceux qui me suivent, vous avez déjà dû m’entendre dire que le personnage principal ne figurait pas dans le prologue. Celui-ci suit cette règle puisque les jouets sont présentés inanimés. Le personnage principal est un être animé.

La toute première chose qui apparaisse à l’écran, ce sont les boites en carton. Cela signifie qu’un changement (de demeure apparemment) est en train de se produire. Le monde de Toy Story est donc dans un état transitionnel et en attente de changement.

Néanmoins, il n’y a aucune angoisse liée à ce changement nécessaire. Au contraire, personne ne semble y prêter une attention particulière. Les cartons du déménagement sont décorés au crayon et participent au jeu.
On peut aussi s’interroger sur le thème du jeu. Pourquoi Monsieur Patate terrorise t-il les autres jouets ? L’argent semble être sa motivation.

C’est un signe car l’argent est considérée comme le symbole de la fin de l’enfance. En effet, les enfants ne perçoivent pas l’argent au même titre que les adultes. Le prologue, néanmoins, n’insiste pas sur cet aspect sombre de l’argent. Ce n’est pas son propos.
Cela appuie le discours bientôt formulé que le temps est à l’œuvre et la bouffonnerie de Monsieur Patate nous fait rire et dissous adroitement le sérieux du thème.

Comment reproduire un monde comme celui de Toy Story ?

C’est un monde qui a un problème fondamental mais qui refuse de l’admettre. Ici, les jouets ne sont pas prêts à reconnaître que Andy grandit et que ses centres d’intérêts changent. Recréer un tel univers ne consiste pas à masquer les sombres difficultés de la vie et les conflits nombreux qui s’y produisent mais au contraire de les poser tels qu’ils sont mais préservés du regard de l’enfant.

Les personnages

La règle qui régit le monde de Toy Story est donc celle du changement. Woody sait que le futur est proche et il fait de son mieux pour le retarder. Pour le monde, le changement est quelque chose de normal et de naturel mais Woody résiste à cette évidence.

Buzz, quant à lui, ne voit rien venir du tout et se prend le futur de plein fouet, résistant à l’idée même que le changement est inexorable s’accrochant à sa boite en carton comme si cela devait éternellement durer.

Bien qu’en surface, Buzz et Woody semblent différents, dans le fond, ils sont mus par la même inquiétude. C’est tout à fait comme dans la vie réelle. Lorsque des changements importants sont sur le point de se produire, on résiste en se tracassant certes à cause de ces changements et dans le même temps, on les nie. On ne croit pas à leur possibilité.

La relation entre Buzz et Woody est intéressante et peut être réutilisée dans un projet de scénario. Deux personnages possèdent le même conflit fondamental, les mêmes peurs paralysantes qu’ils combattront chacun à leur manière.
En surface, ces deux personnages apparaîtront comme des rivaux (c’est le cas de Woody et de Buzz) et ils se révéleront au bout du compte comme des frères unis dans un même combat.

L’intrigue

Vous pourriez tirer avantage de la lecture de cette série d’articles sur les séquences de Toy Story :
TOY STORY : LA SEQUENCE, UNITE STRUCTURELLE

Lorsqu’on cherche à reproduire l’effet sur le lecteur (donc sur nous) d’une histoire que l’on a lu, il peut être utile de comparer une structure existante avec notre projet de scénario. Prenons l’exemple de Toy Story et comparons-le à la structure en cinq actes de Hamlet.

Hamlet suit un parcours qui se constitue de cinq étapes :

  1. D’abord, Hamlet connaît un deuil (la mort de son père)
  2. Puis, Hamlet doit faire face à des conflits externes. Il est en conflit avec le monde (il tue sa mère, par exemple)
  3. Ensuite, ce sont les conflits internes qui prennent le relais (manifestés par le très célèbre Être ou ne pas Être)
  4. La quatrième étape concerne la résolution des conflits internes. En effet, Hamlet comprend qu’il n’est pas seul
  5. Et quant à la dernière étape, c’est le public qui connaît le deuil avec la mort de Hamlet.

Et la structure du scénario de Toy Story suit elle aussi un mouvement en 5 pas :

  1. La première étape est l’arrivée de Buzz qui déloge littéralement Woody de sa vie ordinaire
  2. La seconde étape assez dramatique voit un Woody en plein accès de colère avec pour résultat Buzz qui se défenestre
  3. La troisième étape voit Buzz et Woody s’enfoncer de plus en plus dans les problèmes
  4. La quatrième étape est le moment de la révélation. Buzz et Woody reconnaissent leur mortalité commune. C’est aussi le moment où Buzz réalise qu’il n’est qu’un jouet mais bien que cette découverte, cette reconnaissance de soi en quelque sorte est assez brutale, cela permet néanmoins à Buzz et à Woody de se réconcilier
  5. Et la dernière étape est lorsque Buzz et Woody comprennent tous deux qu’ils sont déjà remplacés par le chiot. Ils ne meurent pas à la manière de Hamlet mais il s’agit d’une mort symbolique.
Comment utiliser à notre avantage une telle structure ?

Il faut prendre un personnage qui a souffert une perte. Il ne comprend pas sa souffrance et se déchaîne contre le monde comme s’il pouvait seulement y trouver un coupable avant de se retourner contre lui-même.

Finalement, il voit que d’autres ont souffert la même peine. Pour finir, on peut envisager une sorte d’acceptation, de résignation. Je vous conseille la lecture de cet article concernant les étapes du deuil telles que les a théorisées Elisabeth Kübler-Ross
LE PROBLÈME MAJEUR DU PERSONNAGE PRINCIPAL

Le ton

Le ton alterne entre un discours sentimental et comique. Le scénario est conçu pour nous exposer les perspectives différentes de Woody et de Buzz. Lorsque le ton est anxieux, inquiet et assez pessimiste, c’est Woody qui est concerné.
Lorsque la tonalité devient plus ludique, d’une insouciance joyeuse, c’est Buzz qui est au centre de l’attention.

Dans Toy Story, les images et les situations sont porteuses de sens. Par exemple, lorsque Sid détruit Combat Carl sous les regards horrifiés des jouets, ne peut-on y lire l’ultime horreur que craint Woody ? Savoir qu’avec la fin de l’enfance, les jouets seront condamnés à disparaître (l’oubli est comme un anéantissement).

A l’opposé, le regard que porte Buzz sur le monde est léger et il est même communicatif. Le ton oscille régulièrement entre ces deux points de vue tout au long du scénario. Cette alternance du ton ne rend pas confus le lecteur et crée même un rythme qui participe activement à l’intégrer dans l’histoire.

Une scène révélatrice de Toy Story

Le moment clef de Toy Story est lorsque Buzz et Woody comprennent qu’ils ne sont pas si différents l’un de l’autre. Alors qu’ils ne cessaient de s’opposer, ils prennent conscience qu’ils ont besoin l’un de l’autre.
On peut tenter de reproduire ce moment où une sympathie mutuelle se met en place entre deux personnages soit qui s’ignoraient superbement, soit qui se considéraient comme porteurs de valeurs trop différentes pour entretenir une relation durable.

Comme on écrit pour un lecteur, il faut donc s’arranger pour que cette sympathie nouvelle et mutuelle qu’éprouve les personnages soit alors ressentie aussi par le lecteur.

Voyons cette séquence :
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Cette scène est pleine d’espoir et Buzz et Woody sont enfin réunis pour le meilleur et le pire. Mais s’ils sont d’accord, c’est essentiellement sur le fait qu’être un jouet est sans espoir.
C’est la prise de conscience de cette désespérance qui unit Buzz et Woody. C’est du moins la lecture hypothétique que j’entends du discours de Woody.

C’est un incroyable message qui est véhiculé ici à l’attention du lecteur. La perte de tout espoir n’est pas la fin mais la raison pour continuer à se battre.

Le principe utilisé dans cette scène est celui du miroir. Un personnage se reconnaît dans l’autre et prend la mesure de sa propre subjectivité en prenant en considération celle de l’autre. Il peut ainsi mieux juger de lui-même.

C’est ce principe d’intersubjectivité qui permet à Buzz de sortir de son désespoir. Lorsque Buzz reconnaît en Woody ses propres sentiments d’insignifiance, la solitude tragique dont il s’était convaincu se dissout. Le discours de Woody lui permet de réaliser que quelqu’un d’autre se sent exactement comme lui.

Cette reconnaissance (en narration, cela se nomme anagnorisis, c’est-à-dire la découverte d’une vérité sur soi trop longtemps cachée) permet à Buzz d’éprouver une sympathie profonde envers Woody. Et c’est un lien suffisamment puissant.

On peut reproduire ce principe dans notre propre scénario. Le personnage principal, par exemple, découvrira en l’autre (ce peut être un rival comme dans Toy Story) un reflet de sa propre condition. En comprenant que l’autre ressent aussi ce terrible désespoir qui le hante, le personnage principal en concevra une forme de sympathie, d’amitié envers cet autre dont il partage la même souffrance.

Comprenez bien qu’il ne s’agit pas d’empathie. Dans l’empathie, on ne participe pas de la douleur de l’autre. Certes, on peut la comprendre. Mais dans la sympathie, c’est bien d’une expérience vécue et partagée dont il est question.

Normalement, le lecteur devrait aussi s’approprier la conclusion à laquelle auront abouti les personnages.

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