LE PERSONNAGE RIEN QUE LE PERSONNAGE

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La structure et l’intrigue sont souvent mis en exergue au détriment des personnages. C’est ce que l’on croit parfois avoir compris des enseignements d’Aristote. Cependant, une réinterprétation de ses écrits pourrait nous amener à penser autrement et à considérer nos personnages comme les vecteurs de l’histoire. Lorsque les personnages sont réduits à de simples figures servant les besoins de l’intrigue ou l’ordre du jour de l’auteur, c’est-à-dire lorsque l’emphase est mise uniquement sur les événements, le récit s’avère en fin de compte très artificiel, sans vie.

Cette froideur mécanique ne peut pas nous séduire. Evidemment, l’intrigue et le thème sont nécessaires mais si les personnages ne servent que de faire-valoir à cette intrigue ou à ce thème, comment éprouver de la sympathie, de la compassion pour ces personnages.
L’important dans une construction dramatique, ce n’est pas l’intrigue, ni la structure, ni l’histoire elle-même, ce qui importe, ce sont les personnages qui donnent force à cette histoire.

Le problème est que des termes comme incident déclencheur, rising action (voir notre article LA PYRAMIDE DE FREYTAG OU LA STRUCTURE EN 5 ACTES), retournement de situation ou arcs dramatiques des personnages sont privilégiés alors que la prise en compte des personnages eux-mêmes est presque ignorée.
Les grandes lignes de l’intrigue, le découpage technique de celle-ci  selon une formule théorique sont les seuls éléments retenus pour juger de la qualité d’un scénario (et de son devenir dans la foulée).

William Goldman in Adventures in the Screen Trade écrit :

The essential opening labor a screenwriter must execute is, of course, deciding what the proper structure should be for the particular screenplay you are writing. And to do that you have to know what is absolutely crucial in the telling of your story—what is its spine?

William Goldman, auteur de nombreux scénarios dont Rain man et Butch Cassidy et le kid
William Goldman, auteur de nombreux scénarios dont Rain man et Butch Cassidy et le kid

Le premier travail essentiel que doit exécuter un scénariste est, bien sûr, de décider quelle sera la structure idoine pour le scénario particulier qu’il est en train d’écrire. Et pour le faire, il doit connaître ce qui est absolument crucial dans son récit : Quelle est son épine dorsale ?

Dans la suite de son ouvrage, William Goldman parle des moyens pour découvrir cette épine dorsale. Et ce n’est pas sur la structure que l’auteur doit se concentrer pour la découvrir. Il parle de personnages, non pas de personnages établis sur des formules, mais plutôt de genre, de personnage et de motivation.
Ce qu’il faut comprendre de cette réflexion de William Goldman est que bien sûr la structure d’un récit ne peut être séparée de ce qu’il appelle l’épine dorsale mais aussi que le personnage et ses motivations ne peuvent pas non plus en être séparés.

UNE PERSONNALITE INDIVIDUELLE

Le concept d’une personnalité individuelle pour un personnage qui ne soit pas un stéréotype (catégorisé selon des critères de nationalité, de classe ou de richesse) est d’en faire un être avec ses propres désirs, ses propres ambitions, ses propres démons et névroses et capable de modifier le cours de son destin. Ce concept est un développement moderne de la création de personnages.

Un personnage est un agent de l’intrigue, agent dans le sens  que par son comportement et des décisions efficaces, il engendre des actions, cause des événements à se produire. Sa volonté, son libre-arbitre s’exprime pleinement.
La caractérisation énumère une liste d’attributs en autant de qualités et de défauts. La caractérisation n’est pas ce qui meut le personnage. Elle est une fiche signalétique qui peut expliquer les raisons d’une névrose ou fonder les bases d’un désir ou d’un besoin mais elle n’est pas l’action qui fait avancer l’intrigue. Seul l’agent avec ses qualités et attributs peut faire avancer l’intrigue par ses actions en tant que protagoniste.

Les archétypes (voir nos articles sur LES ARCHETYPES DE JUNG et DRAMATICA) donnent les bases pour créer des personnages. Ces archétypes ont des résonances suffisamment fortes pour être reconnus et appréciés sans que des attributs et des qualités spécifiques ne les individualisent davantage. Ils sont en fait définis par leurs fonctions dans l’histoire qui permet de les assigner à tel ou tel archétype.
Les choix qu’ils prennent sont intégrés au récit. C’est le récit qui mène la barque en quelque sorte.

Père Noël, Jesus ou Napoléon nous sont connus et peuvent être considérés comme des archétypes.
Père Noël, Jesus ou Napoléon nous sont connus et peuvent être considérés comme des archétypes.

Autre exemple, le Père Noël, Jésus ou Napoléon sont des personnages dont nombre d’entre nous avons des notions. Nous connaissons leur personnalité et leur aspect. L’auteur n’a pas la nécessité d’approfondir trop leur caractérisation et toutes leurs actions sont alors prédéterminées par les événements que décrit l’intrigue. On sait déjà comment réagissent le Père Noël, Jésus ou Napoléon alors on se concentre sur ce qu’il leur arrive, c’est-à-dire sur l’intrigue.

LA CONSCIENCE

La conscience est ce qui permet à un personnage d’échapper à un destin. Le libre-arbitre et la volonté, éléments de la conscience, s’opposent à la destinée.
Lorsque la structure d’un récit détermine les actes et les choix des personnages, ceux-ci ne peuvent échapper à leur destinée. Le libre-arbitre d’un personnage doit être séparé de l’intrigue. Les actions et les choix des protagonistes se révèlent dans sa conscience. La conscience d’un personnage, son existence, son esprit ne peuvent être liés à une quelconque intrigue.

Une histoire implique un conflit. Ce conflit implique des individus en désaccord et en conséquence, des décisions doivent être prises, des choix sont à faire pour essayer de résoudre le problème actuel. Le récit décrit le conflit en incarnant, en personnifiant les agents de ce conflit. L’issue de ce dernier dépend de l’interaction des personnages en lutte et non pas de l’intrigue. Il n’existe pas d’intervention non humaine à la résolution du problème.

Les choses ne se produisent pas d’elles-mêmes, ce sont les personnages qui provoquent les choses. Ils ne sont pas les spectateurs de ce qu’il arrive. Ils ne sont pas impliqués non plus dans le feu de l’action, de l’événement, de l’incident. Ils sont les instruments de ce qu’il arrive, c’est leur intervention qui fait que les événements se produisent.

Il y a donc deux types de personnages. Ceux qui sont emportés au gré du flux et reflux des événements et ceux qui ont un impact direct sur le cours des événements. Evidemment, les seconds qui sont les agents sont à préférer à ceux qui ne sont que des participants à l’action.
Ces derniers, l’auteur les emploie comme des objets, des rouages mis à sa disposition pour satisfaire à une mécanique dramatique. En tant qu’objet, on ne peut que leur dénier une existence et toute forme d’empathie qu’on pourrait leur concéder est impossible.

REVENONS A ARISTOTE

Aristote a écrit  dans La Poétique :

CHAPITRE VII
Comment doit être composée l’action de la tragédie

J’appelle entier ce qui a un commencement, un milieu et une fin. Le commencement est ce qui ne suppose rien avant soi, mais qui veut quelque chose après. La fin, au contraire, est ce qui ne demande rien après soi, mais qui suppose nécessairement, ou le plus souvent, quelque chose avant soi. Le milieu est ce qui suppose quelque chose avant soi, et qui demande quelque chose après.

Nous pouvons alors interpréter cet enseignement en considérant que l’action est formée par des intentions (ou motivations) et des conséquences directes de ces intentions en un entier ou tout.
Un début, un milieu et une fin sont alors liés par des causes et des effets. C’est cette notion de causalité qui crée le tout.

Pour conclure cet article, nous résumerons qu’une structure est un début, un milieu et une fin qui implique une matrice d’intentions et de conséquences ainsi que des prises de décisions, des actes volontaires  qui influe sur le déroulement de l’intrigue.

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