Aristote nous a introduit au concept de l’anagnorisis. C’est un terme qui signifie une reconnaissance. Ou plus précisément, ce moment, tout comme dans la vie réelle, quand il nous arrive de passer de l’ignorance à la connaissance. Ce peut être n’importe quelle connaissance tant qu’elle modifie la perception que nous avons de ce qui nous entoure habituellement ; nous voyons les choses autrement ou bien, nous découvrons que ce que l’on croyait être juste est en fait une illusion, un mensonge que nous nous faisions à nous-mêmes.
Et sur le regard que nous portions sur les autres, cela fonctionne aussi.
Dans une fiction, ce moment de l’anagnorisis est une articulation majeure en ce sens qu’elle modifie le parcours du personnage. La situation prend une tout autre tournure. Prenons Ulysse lorsque sa vieille servante le reconnaît à sa cicatrice : c’est une anagnorisis qui libère Ulysse du jeu malaisé de se dissimuler aux regards. L’inverse est aussi possible : lorsque Œdipe comprend qu’il est lui-même la malédiction de Thèbes, la tragédie s’invite alors dans le récit.
Pour votre scénario, cette anagnorisis advient plutôt vers le climax (à considérer comme l’ultime affrontement du héros ou de l’héroïne avec l’adversité quelle que soit la forme que prend cette iniquité qui est au cœur du problème du récit).
Pourquoi à ce moment ? Disons qu’il s’agit d’une prise de conscience brutale, c’est-à-dire surprenante pour le lecteur/spectateur, et il vaut mieux éviter qu’il s’habitue à trop de surprises, au risque que l’effet recherché par l’autrice et l’auteur ne se dissipe.
Et comme je l’ai précisé plus tôt, cette prise de conscience pourrait être sur soi-même ou bien sur la véritable nature ou les véritables intentions de l’autre, cet autre sera un personnage ou bien un événement du passé.
Attention cependant : il ne s’agit pas seulement de proclamer quelque chose ; la révélation devrait affecter le lecteur/spectateur. Il est émotionnellement touché par celle-ci. Et quand il en vient à raisonner ce qu’il ressent maintenant, il assemble tous ces indices parsemés au fil du récit, il comprend le discours de l’autrice et de l’auteur. Je cite souvent Bong Joon Ho et son Parasite (2019) non seulement pour sa qualité, aussi parce que l’anagnorisis s’y éploie à travers les révélations et les véritables intentions des personnages. À chaque nouvelle information, non seulement la perception qu’ont les personnages de leur monde change, mais la nôtre aussi et c’est ce qui importe, comme cela nous implique émotionnellement dans ce qu’il se passe. Échouer à faire passer l’émotion, c’est ruiner son discours.