Je pose l’hypothèse que la mise en écriture d’un récit destiné à s’exprimer comme un scénario se conçoit comme des signes, c’est-à-dire qu’une scène serait un mot, une expression serait une séquence, enfin toutes sortes de signes : attitudes des personnages, les relations qui existent entre eux, en un mot tout ce qui participe à la matérialité du récit.
Ainsi, le récit devient un ensemble organisé de signes. Ce qui nous laisse supposer qu’il est structuré et si nous voulons que notre récit ait quelque sens, c’est de l’ensemble de ce récit dont nous devons nous saisir. Ce qui nous laisse encore supposer qu’une scène n’a de valeur que si elle participe au tout qu’est le récit. Dans sa Poétique, Aristote ne dit rien d’autre lorsqu’il affirme que si une scène peut être retirée sans que le récit tout entier ne s’effondre, c’est qu’elle est inutile et pèse si, du moins, nous persistons à la maintenir, de manière néfaste sur la réception de l’œuvre par le lecteur/spectateur.
Cette façon de voir rappelle celle de Ferdinand de Saussure qui explique qu’un terme est défini par ce qu’il n’est pas par rapport aux autres. C’est la différence qui fait qu’une scène prend sens lorsqu’on l’oppose à d’autres scènes. Et si je reprends la définition qu’en donne Aristote, je peux dire sans me tromper que l’absence d’une scène serait, elle aussi, coupable de détruire l’œuvre. Je pense à Mommy (2014) de Xavier Dolan. Dans ce récit, chaque scène contribue à la dynamique des relations entre les personnages. Diane, Steve, Kyla et même Paul, tout se construit entre eux pour révéler leurs émotions et leurs conflits. Toute l’intrigue s’élabore sur cette dynamique.
Le souci avec cette manière de voir les choses est la nécessité d’avoir une cohérence. En effet, quand chaque scène contribue à l’ensemble, quid de la créativité ? Prenons Le Voyage de Chihiro (2003) de Hayao Miyazaki. La diversité des scènes n’est qu’apparente. En fait, elles forment un réseau de significations. Il serait vain de considérer chacune de ces scènes comme des éléments isolés.
Le contexte
Cependant, la cohérence pourrait être atteinte autrement : par le contexte ou selon les mots de Mikhaïl Bakhtine, les chronotopes. Le système relationnel entre les chronotopes justifie la présence d’une scène et même d’une séquence dans l’œuvre. La relation qui existe entre un père et son fils, celle qui existe entre la mère et ce même fils et la relation entre les deux parents, aussi différentes qu’elles paraissent, aussi conflictuelles qu’elles paraissent, elles acquièrent véritablement du sens dans le tout qu’elles constituent.
Alors pensons aux relations entre nos personnages : elles assurent la qualité du travail.
Un récit se compose de personnages, de dialogues, de situations. Et c’est parce que tous ces éléments se renvoient les uns aux autres qu’il y a signification, plutôt, devrais-je dire, interprétations. Tant que le lecteur/spectateur peut interpréter ce que vous lui proposez, vous gardez son attention. Il s’agit bien d’une construction : l’autrice et l’auteur construisent des dialogues, des arcs dramatiques heureux ou malheureux pour leurs personnages, des intrigues secondaires qui ne sont d’ailleurs secondaires que parce qu’elles illustrent encore une fois par analogie ou contradiction l’intrigue principale.
Nous pouvons nous intéresser au Garçon au pyjama rayé (2008) de Mark Herman dans lequel nous reconnaissons que le chronotope au cœur du récit est, bien-sûr, le camp de concentration ; néanmoins, et c’est ce qui le caractérise, vu à travers les yeux d’un enfant de huit ans. Ce chronotope terrible s’oppose d’abord à notre mémoire de lecteur/spectateur, hors du récit.
Ensuite, il y a le travail, c’est-à-dire les dynamiques des principales relations qui expliquent tout le récit : la relation entre Bruno et son père qu’il admire, d’ailleurs, comment à son âge peut-il apercevoir le jeu propagandiste ? C’est aussi très classique qu’une populace adhère à une opinion sans se préoccuper plus avant de s’en convaincre.
La relation entre Bruno et sa mère articule la prise de conscience d’Elsa sur l’horreur à laquelle elle s’est associée sans la comprendre malgré les avertissements de sa belle-mère. En effet, celle-ci tente de la prévenir contre l’idéologie de Ralph. Le récit reste vague sur les conditions de sa mort, cependant suspecte puisque le régime nazi ne supportait pas la dissidence et cette idée est renforcée par le geste retenu d’Elsa lors de la cérémonie. Je peux aller encore plus loin : le chronotope féminin. Mark Herman nous présente la figure de la grand-mère, une sorte de voix de la conscience, mais cette conscience s’éduque, ce qui explique la désillusion progressive d’Elsa, mais, sans cette lucidité acquise, le conditionnement idéologique l’emporte (comme chez Gretel, la sœur de Bruno).