Le cadre contre lequel évolue nos personnages situe l’action dans un contexte précis. Comment cette action sera perçue par le lecteur/spectateur dépend de ce contexte. Cet arrière-plan non seulement texture de ses teintes une scène mais lui donne aussi une profondeur. Il donne aux personnages une raison d’agir, il suppose des croyances et impose des comportements.
Il ne s’agit pas seulement de décrire les lieux mais d’y faire entrer le lecteur/spectateur. Parfois il est même considéré comme un personnage. Le cadre ou l’environnement rend tangible ce qu’il se passe dans le récit. Et il est même capable de nous émouvoir. Prenez Le Seigneur des Anneaux : le retour du Roi (2003) de Peter Jackson. La Terre du Milieu n’est pas un décor : qu’il s’agisse de la Comté, du Mordor ou de Minas Tirith, ces lieux sont chargés de significations. Sauron et le Mordor sont terriblement liés et suscitent le désespoir et une menace constante. Alors que la Comté menacée est paisible et verdoyante. On compare peut-être même inconsciemment le Mordor et la Comté.
Los Angeles dans La La Land (2016) de Damien Chazelle n’est pas un lieu pratique pour l’action ; c’est contre elle que se joue l’amour entre Mia et Sebastian parce que non seulement cette ville nous est montrée comme un lieu où les rêves se réalisent mais aussi comme un impitoyable couperet pour les artistes. Dans Roma (2018) de Alfonso Cuarón, Colonia Roma n’est pas une simple photographie des lieux. Parlons espace. La demeure, par exemple, occupe l’espace afin que s’y meuvent les personnages et que nous devinions l’intimité qui y règne entre la domestique Cléo, l’héroïne, et la famille mais aussi la dimension sociale qui existe entre les deux classes. Une autre dimension que Cuarón a donné à son récit est politique. Nous sommes en 1970 et les rues de Mexico nous renvoient le contexte politique et social de cette époque.
Dans votre scénario, faites en sorte que le contexte participe de l’émotion et de l’action des personnages. Je me lance : un village au cœur d’une forêt. Des disparitions inexpliquées s’y sont produites et ont attiré Anne, une journaliste d’investigation. La forêt joue un rôle dans ce récit : on a le sentiment d’une présence qui veille, qui juge. En un mot, elle est un mystère.
Anne est confronté au mutisme des habitants et son enquête l’attire irrésistiblement vers la forêt. Quand elle erre dans celle-ci, les bruits deviennent des murmures. L’effet voulu est que nous ressentions le malaise de Anne face à une espèce de conscience obscure. Et puis, lorsque Anne est sur le point de révéler quelque chose, la forêt se recouvre d’un brouillard. Que cache t-il ?
Ainsi est donné à la forêt d’indicibles motivations qui jouent sur le registre de la peur de l’inconnu et des croyances.
Des associations
La belle demeure de la famille Park dans Parasite (2019) de Bong Joon-ho représente symboliquement l’ordre et la sécurité réservés à une élite alors que le sous-sol exigu et malodorant exprime la pauvreté, la marginalisation et la survie.
Le labyrinthe dans Le Labyrinthe de Pan (2006) de Guillermo del Toro est le symbole de la résistance face à l’oppression. Dans un récit, vous avez des conflits et une dynamique, c’est-à-dire que le récit contient des forces telles que des motivations, des tensions dans les relations, des conflits intimes liés au vécu des personnages, des désirs secrets… Il est parfois difficile de représenter ces notions alors le symbole peut aider. En divisant l’espace d’une même demeure, Parasite traduit l’idée d’une volonté d’élévation sociale. De même dans son Zarathoustra, Nietzsche fait redescendre Zarathoustra de sa montagne vers les hommes et si nous osons juxtaposer ce mouvement avec celui de Marie qui, après l’annonciation, gravit la montagne pour rejoindre sa cousine Élisabeth, nous traduisons l’idée d’une élévation vers le divin.
Vos thèmes seront plus accessibles à la lectrice et au lecteur si vous les associez à du concret. Un chemin labyrinthique traduit l’idée d’un dilemme et de la difficulté du choix, par exemple. Ou bien un manoir délabré et oublié exprime la solitude d’un être dont l’âme ne peut se détacher d’un temps où elle fut heureuse ; une porte fermée à double tour recèle un secret. L’espace est le moyen de donner à l’abstraction une autre réalité afin que nos sens puissent s’en saisir.
Mais pour que notre esprit qui raisonne et qui imagine soit mis en branle, le contraste par la juxtaposition des idées est un outil narratif efficace. Le désir et la réalité, par exemple, s’oppose dans une dialectique qui confronte des arguments contradictoires mais justifiés entre d’un côté la nécessité de s’accomplir et de l’autre, une espèce de fatalité inéluctable. Plus votre idée sera immatérielle, et mieux la chose concrète la rendra vivante.
Laissons l’intuition de notre lecteur/spectateur interpréter ce que nous lui donnons à voir. Les mots s’avèrent insuffisants à dire les choses alors le poète emploie la métaphore. Par exemple, les cris joyeux des enfants dans un parc, symbole d’innocence et de pureté, seront contrastés par le regard froid, sans émotion, d’un loup tapi dans l’ombre d’un bosquet. Ici, l’inconscient collectif fait remonter à notre conscience la figure du prédateur et concomitamment la crainte de la dévoration.
C’est culturel et se construit depuis les récits ancestraux. Il est inutile pour l’autrice et l’auteur de s’étendre longuement sur l’explication de cette image, le lecteur/spectateur comprendra intuitivement la nature du péril et cette image évocatrice est puissamment dramatique.