ÉCRIRE LE MYSTÈRE – 8

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Les conventions du mystère #1
Mettre en place un crime mystérieux pour accrocher le lecteur/spectateur

L’ouverture d’un roman ou d’un film policier est le moyen nécessaire et suffisant pour capter l’attention du lecteur/spectateur (qu’il faudra ensuite maintenir). Présenter d’emblée un crime étrange et inexpliqué le jette aussitôt au cœur de l’intrigue et suscite son désir d’en savoir plus. Ce procédé est d’ailleurs largement utilisé au cinéma, où les premières minutes constituent à la fois l’atmosphère et l’énigme.

Memories of MurderMemories of Murder (2003) de Bong Joon-ho débute par la découverte du corps d’une jeune femme assassinée. Ce prologue dérangeant et mystérieux pose dès les premières images la question : qui a commis ce meurtre sordide, et pourquoi ?

ZodiacDe même, Zodiac (2007) de David Fincher s’ouvre sur le meurtre d’un couple par un tueur masqué qui restera longtemps non identifié. Dès les premières minutes, le lecteur/spectateur a hâte de découvrir qui se cache derrière ces crimes, et cette mise en place prépare le suspense qui ne fera que s’amplifier par la suite.

Le personnage principal en charge de l’investigation sera introduit dès les premières scènes

Afin que le lecteur/spectateur puisse suivre l’enquête sous le point de vue du personnage principal, nous devons connaître rapidement qui il est.

Dans toute bonne histoire policière, l’introduction rapide du personnage principal sera le moyen par lequel le lecteur/spectateur s’engage dans l’intrigue après qu’il ait été accroché par le prologue. Que ce soit un policier, un détective privé ou même un simple quidam pris dans des circonstances extraordinaires (comme dans le Cosy Mystery), ce protagoniste doit être présenté de manière à ce que le lecteur/spectateur puisse rapidement s’identifier à lui (c’est-à-dire plus prosaïquement suivre l’enquête sous son point de vue) et s’investir dans son parcours, un investissement psychologique qui nous permet d’apprécier les affres de cette investigation.

Les meilleurs films du genre parviennent à esquisser en quelques minutes une personnalité attachante même si nous devinons qu’il y a beaucoup plus sous les apparences, dont on a envie de suivre les aventures. Une expression, un geste, une réplique bien sentie.. peuvent en dire long sur le caractère et les motivations de l’héroïne ou du héros.
Le dessein de cette initiative est de créer rapidement un rapport humain entre nous et ce personnage fictif, de mettre en place une forme d’empathie afin que nous nous sentions concernés par la résolution de l’énigme. Cette présentation qui suit le prologue sera un individu à l’aise dans son environnement de travail ce qui crée souvent un effet distancié avec le lecteur/spectateur (si c’est ce qui est voulu) ou au contraire nous le fera découvrir plus vulnérable si l’autrice ou l’auteur cherchent à appuyer d’abord l’accessibilité du personnage pour le lecteur/spectateur.

Denis Villeneuve

Les grands classiques du film noir ou les polars modernes les plus marquants ont en commun cette capacité à imposer leur personnage principal dès les premières minutes. Que l’on pense à l’entrée en scène mémorable du Sam Spade dans Le Faucon Maltais, à la présentation électrisante du détective Jake Gittes dans Chinatown, ou plus récemment à l’apparition glaçante de Lisbeth Salander dans Millénium, le lecteur/spectateur est immédiatement dans l’univers du héros ou de l’héroïne.

Les Rivières PourpresLes Rivières Pourpres (2000, Mathieu Kassovitz) présente le commissaire Pierre Niemans dès la quatrième minute du film. Cet homme à la fois endurci et idéaliste sera notre guide tout au long de l’intrigue criminelle en ce milieu universitaire. De même, dans Prisoners (2013, Denis Villeneuve), le personnage du père apparaît d’emblée, bouleversé par l’enlèvement de ses filles. Sa détermination à les retrouver par tous les moyens en fera très vite le pivot de l’intrigue.

Semer des indices vrais ou faux tout au long du récit

Distribuer des indices tout au long de l’intrigue est indispensable car après avoir joué avec les émotions du lecteur/spectateur en lui faisant adopter le point de vue singulier de l’enquêteur, il nous faut maintenant interpeller son intellect. Au-delà de la simple dissémination d’éléments de preuve, vrais ou faux, qui donnent de la matière à l’intrigue, la visée de cette convention est de créer chez le lecteur/spectateur l’impression constante d’une progression vers la résolution du mystère.

Cette sensation de progression est essentielle pour entretenir le suspense et par conséquent son intérêt. Chaque indice révélé semble apporter un élément de réponse supplémentaire, rapprochant presque imperceptiblement le héros ou l’héroïne et, par extension, le lecteur/spectateur de la vérité. Même les fausses pistes et les leurres doivent être intégrés de manière à donner l’illusion d’une avancée, avant d’être éventuellement démasqués pour ce qu’ils sont.
L’impression de progression ne repose pas nécessairement sur une accumulation linéaire de preuves. Elle peut au contraire se construire à travers un savant jeu de va-et-vient, d’accélérations soudaines et de faux-semblants. L’enquête peut paraître piétiner pour mieux rebondir à la faveur d’une découverte surprenante. L’essentiel est que chaque étape, même infructueuse en apparence, semble nourrir la réflexion du héros ou de l’héroïne et, par ricochet, celle du lecteur/spectateur.

Les meilleurs récits policiers parviennent à instiller ce sentiment de progression même dans les phases les plus contemplatives ou introspectives. Les doutes, les questionnements intérieurs des personnages participent eux aussi de cette dynamique en donnant l’impression d’une maturation, d’un cheminement intellectuel et émotionnel vers la vérité.

thriller

Entretenir cette impression de progression est un défi permanent qui exige une grande maîtrise de la structure narrative et du rythme. Les indices doivent être donnés au moment opportun, ni trop tôt ni trop tard, et s’enchaîner de façon organique, c’est-à-dire naturelle. Ils ne doivent pas donner l’impression d’être rajoutés, forcés sur le lecteur/spectateur. Ils découlent naturellement des décisions et des actions des personnages. Le lecteur/spectateur ressent qu’il avance dans les pas de l’héroïne et du héros, partage leurs triomphes tout autant que leurs frustrations et leurs angoisses, sans pour autant que la résolution de l’énigme ne devienne trop prévisible.

Memories of Murder parsème ainsi son récit de petits détails (un bonbon, des traces de pas, un nœud particulier pour ligoter les victimes..) qui orientent l’enquête des policiers. Certains les mettront sur une bonne voie, d’autres les égareront, mais ces indices réguliers rythment le film et la traque de l’assassin.

Gone Girl (2014, de David Fincher) joue constamment sur les fausses pistes, les indices ambigus et les revirements de situation, tenant ainsi le lecteur/spectateur pendant plus de deux heures, jusqu’à son dénouement retors et surprenant.

L’héroïne et le héros ne seront pas en sécurité

Les situations conflictuelles et périlleuses sont souvent indissociables dans les récits de mystère bien qu’elles ne soient pas une convention spécifique au genre. Ces moments de péril agissent comme des points d’orgue dans le cours de la narration. Ils créent une tension immédiate, une focalisation autour de cet instant précis où le personnage n’est plus en sécurité. Le lecteur/spectateur, soudain saisi par ce basculement, s’investit encore plus intensément dans le récit. Le geste que feront le héros et l’héroïne prend alors une importance capitale.

Mettre en danger son personnage, c’est comme de proposer une espèce d’ablution psychologique au lecteur/spectateur. Ces pics de tension sont satisfaisants car lorsque le ressort se relâche, non seulement nous nous sentons soulagés mais notre rapport au récit se fait plus intime. Voir le protagoniste ébranlé, poussé dans ses retranchements par une situation extrême, c’est aussi le découvrir sous un jour nouveau. Car face au danger, il se révèle. Il découvre en lui des ressources et reconnaît ses propres failles et cela crée une proximité avec notre propre humanité (et c’est que l’autrice et l’auteur tentent de faire d’un personnage par nature fictif, immatériel).

C’est là tout le paradoxe et aussi la force des situations périlleuses : en mettant le personnage à l’épreuve, en le confrontant à ses propres limites, elles renforcent dans le même temps notre empathie envers ses tribulations. Chaque victoire arrachée dans ces moments critiques n’en est que plus exaltante mais surtout, chaque échec ou compromis n’en est que plus émouvant parce que nous les reconnaissons en nous.

Dans Memories of Murder ou Mother de Bong Joon-ho, cette technique est souvent employée pour maintenir la tension et l’engagement émotionnel du lecteur/spectateur. Placer le protagoniste dans une situation précaire, où il doit non seulement résoudre l’énigme mais aussi se protéger d’une menace imminente, ajoute une dimension supplémentaire à l’intrigue. Cela renforce l’enjeu de son enquête, car l’échec n’est plus seulement une question de vérité non révélée, mais potentiellement de vie ou de mort.
Nous l’avons dit, ces moments de péril incitent le héros et l’héroïne à se dépasser, à prendre des risques qu’ils n’auraient peut-être pas pris autrement. C’est comme dans la vraie vie, le risque est un matériel dramatique parce que, quand on apprécie une personne, la voir en danger nous bouleverse. En conséquence, confronté à un danger, le personnage peut se montrer vulnérable, déterminé, ingénieux, autant de qualités qui renforcent notre empathie à son égard.

dynamiques

Mais au-delà de la dimension psychologique, ces situations périlleuses apportent aussi un rythme, une cadence à l’intrigue. Elles créent des pics d’intensité qui contrastent avec les moments plus contemplatifs ou analytiques de l’enquête. Cette alternance entre tension et relâchement est essentielle pour maintenir l’intérêt. Bien sûr, il est important de doser judicieusement ces moments de péril pour qu’ils ne deviennent pas gratuits ou prévisibles. Chaque confrontation doit avoir un sens dans le contexte général, complexifier davantage l’énigme ou révéler quelque chose d’essentiel sur les personnages. Utilisées à bon escient, ces situations dangereuses ne sont pas seulement des artifices pour susciter une réaction facile, mais de véritables outils narratifs au service de l’intrigue et de l’émotion.

Dans La Nuit du Chasseur (1955) de Charles Laughton, le personnage principal est un prédicateur manipulateur et meurtrier qui traque deux enfants pour mettre la main sur un butin caché. Tout au long du film, les enfants sont confrontés à un danger constant, physique et psychologique qu’incarne cette figure malveillante et obsessionnelle.
Charles Laughton joue de la tension dramatique, avec des moments de confrontation puissants qui révèlent la vraie nature du prédicateur, contrastant avec des scènes plus contemplatives où les enfants tentent de lui échapper. Leur vulnérabilité et les ressources dont ils font preuve face à ce péril omniprésent ne peut que créer en nous une forte empathie.

Dévoiler le coupable dans une scène finale expliquant tous les événements

La scène de révélation finale, souvent spectaculaire et riche en rebondissements, est une convention essentielle du roman policier pour plusieurs raisons fondamentales. Tout d’abord, elle représente le point culminant de l’intrigue, le moment tant attendu où tous les nœuds de l’énigme se dénouent enfin. Après avoir suivi pas à pas l’enquête, s’être perdu en conjectures, le lecteur/spectateur est en droit d’attendre une résolution à la hauteur de son investissement. Cette scène finale se doit donc d’être à la hauteur de toutes les prétentions du récit, des fausses pistes et des retournements de situation qui l’ont jalonné.

Mais au-delà de l’aspect purement narratif, cette convention répond aussi à un besoin profond tout comme dans les contes de fées où le dénouement heureux apporte non pas tant une satisfaction, certes on est content pour le héros ou l’héroïne, mais surtout un sentiment de complétude. Et c’est bien cela qui est très satisfaisant. Le lecteur/spectateur assiste à une série d’événements troublants, à un apparent chaos qu’il cherche à ordonner mentalement. La scène de révélation vient alors comme une récompense, une confirmation que tout a finalement un sens, une logique interne. C’est une forme de catharsis intellectuelle tout comme Aristote l’a décrite qui procure une satisfaction intense.

Cette exigence de clarté et d’exhaustivité dans la résolution est d’autant plus capitale que le récit policier est souvent lu comme un défi lancé au lecteur/spectateur. En dissimulant les indices au milieu de fausses pistes, en brouillant les pistes, l’autrice et l’auteur mettent à l’épreuve notre sagacité. La scène finale vient alors comme un ultime tour de force, une démonstration éclatante de leur maîtrise qui impressionne et convainc même les plus sceptiques.

Enfin, cette convention de la révélation spectaculaire participe pleinement au plaisir car le lecteur/spectateur est avide de surprises, d’étonnement, voire de sidération. Les meilleurs dénouements parviennent à déjouer les pronostics tout en paraissant rétrospectivement évidents, ce qui nous procure ainsi un sentiment grisant de stupéfaction et d’évidence mêlées.

Bien sûr, pour fonctionner pleinement, cette scène de résolution se doit de respecter certaines règles. Elle doit apporter une réponse claire à toutes les interrogations posées par le récit, sans laisser de zone d’ombre majeure. Elle doit être surprenante mais pas incohérente, s’appuyer sur des éléments présents dans l’intrigue sans paraître pour autant prévisible. C’est dans cet équilibre délicat que réside tout l’art du récit policier.

El CuerpoEl Cuerpo (2012) de Oriol Paulo est un thriller psychologique espagnol. Il propose une intrigue assez alambiquée centrée sur la disparition mystérieuse du corps d’une femme alors qu’elle était à la morgue. L’inspecteur chargé de l’affaire se retrouve pris dans le jeu du chat et de la souris avec le principal suspect qui n’est autre que le mari de la défunte.

Le film multiplie les fausses pistes et les rebondissements jusqu’à une scène finale qui remet tout en question. C’est alors que tous les éléments de l’énigme s’imbriquent enfin et nous en révèlent la clef de manière aussi logique que surprenante. El Cuerpo illustre brillamment l’art du dénouement dans le genre policier et récompense le lecteur/spectateur tout en le sidérant par son ingéniosité.

La Isla MinimaDans La isla mínima (2014), Alberto Rodriguez joue avec les conventions du polar. Lorsque les deux inspecteurs, Pedro et Juan, parviennent enfin à dénouer les nœuds de l’intrigue, Rodriguez nous présente une résolution à la fois spectaculaire et riche en rebondissements.

Tout au long du récit, le lecteur/spectateur a suivi pas à pas l’enquête menée par les deux policiers dans les marais inquiétants du Guadalquivir. Les fausses pistes et les retournements de situation ont été légion, sans jamais affaiblir le suspense. La scène finale se devait donc d’être à la hauteur de toutes ces promesses, et Rodriguez ne déçoit pas.

La révélation finale de La isla mínima répond aussi à ce besoin profond de complétude. Alors que le lecteur/spectateur a assisté à une série d’événements troublants, à un apparent chaos, la résolution vient apporter un sentiment de satisfaction intense. Tout s’éclaire enfin, chaque élément trouve sa place dans un schéma global cohérent. C’est bien cette catharsis intellectuelle qui rend le dénouement si gratifiant.

De plus, tout au long du film, Rodriguez semble nous lancer un défi, en nous invitant à démêler par nous-mêmes les fils de l’intrigue. En dissimulant les indices au milieu de fausses pistes, en brouillant les pistes, il met à l’épreuve notre sagacité. La scène finale apparaît alors comme un ultime tour de force, une démonstration éclatante de sa maîtrise de conteur qui force l’admiration.

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