LE DIALOGUE : UNE INTENTION

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Le film est un support visuel et le premier réflexe d’un scénariste devrait être de révéler la personnalité d’un personnage à travers ses actions. Cependant, le dialogue est un outil important pour donner des indices sur l’identité d’un personnage, sur ce qui lui tient à cœur et sur les stratégies qu’il emploie pour atteindre ses objectifs.

Le dialogue n’est pas une conversation, c’est une motivation. Identifier ce qu’un personnage veut à chaque moment influencera ce qu’il dira et comment il le dira. L’objectif du dialogue est l’intention de l’autrice ou de l’auteur et la stratégie du personnage pour l’atteindre.

Une passion qui évolue

C’est la phrase emblématique de Rhett Butler, Franchement, ma chère, je m’en fiche complètement. En soi, ce n’est pas un dialogue très brillant. La raison pour laquelle cette ligne de dialogue fonctionne et demeure dans notre mémoire est ce qu’on nomme setup & payoff. De très nombreuses scènes ont été consacrées à la mise en intrigue (le setup) du principal objectif émotionnel de Rhett Butler : l’amour pour Scarlett O’Hara.
Il la poursuit, la taquine, l’intimide, la sauve et se bat pour elle. Aussi, lorsqu’il atteint enfin le point (le payoff) où non seulement il abandonne, mais où il se désintéresse de la situation, c’est significatif et puissant. Les mots n’ont d’importance qu’en raison des actions stratégiques préalables qui leur donnent du sens.

Lorsqu’une ligne de dialogue est durement gagnée, ce ne sont pas les mots eux-mêmes qui importent, mais la raison pour laquelle ils sont prononcés. Au moment où le colonel Nathan Jessep s’écrie You can’t handle the truth (Vous ne pouvez pas supporter la vérité) dans Des Hommes d’honneur, le lecteur/spectateur l’a vu contrôler, manipuler, gérer et manœuvrer sa position de pouvoir.
Cette réplique est le point culminant pour Daniel Kaffee, qui prend enfin le dessus et le surpasse. Kaffee mérite cette victoire grâce aux efforts et à l’évolution du personnage auxquels nous avons assisté tout au long du récit.

Dans Pour le pire et pour le meilleur, la fantastique réplique You make me want to be a better man (Vous me donnez envie d’être un homme meilleur) ne fonctionne que parce que nous l’avons vu se braquer et se hérisser pendant tout le film et repousser les gens, en étant égoïste et grossier.
Enfin, il laisse tomber ses défenses et accepte d’être vulnérable. Cette réplique, si elle avait été prononcée plus tôt, n’aurait eu aucun impact.

Le latent

Le défi du dialogue n’est pas de nous dire ce que nous savons déjà car c’est le latent, ce qui n’est pas manifeste, ce qui n’est pas dit, qui est le plus fascinant. Une bonne écriture révèle le personnage à travers son comportement, le dialogue servant souvent de bouclier ou de diversion.

Dans l’une des meilleures scènes de Plus on est de fous, Constance interroge Joe sur d’autres femmes. Bien que cela ne soit jamais exprimé verbalement, tout dans leur comportement suggère qu’ils sont complètement épris l’un de l’autre. Leurs actions, leur comportement et la façon dont ils se regardent l’un l’autre témoignent en ce sens. Le sous-texte du dialogue en dit long et rend la scène plus intéressante à regarder.
Si Constance révélait son intérêt envers Joe, ce serait plutôt ennuyeux. La façon dont c’est écrit rend la scène sexy et captivante.

Dans Les Vestiges du jour, deux êtres sont follement amoureux, mais ne peuvent l’admettre. Dans une scène apparemment simple, Miss Kenton dérange Stevens alors qu’il lit un livre et lui demande ce qu’il lit. Son but est que Stevens s’ouvre à elle, qu’il apprenne à la connaître et qu’elle l’incite à exprimer ce qu’il ressent. Mais en raison de sa position et de sa situation dans la vie, Stevens ne s’autorise pas à entrer en contact avec elle sur un plan personnel.
Bien que le dialogue porte sur le livre, ce n’est pas le cas et ce dialogue est tendre, déchirant et empreint d’une totale humanité.

Parfois, c’est pour des raisons à la fois émotionnelles et sociétales que les personnages parlent en code. Dans Moonlight de Barry Jenkins, une simple conversation téléphonique entre deux hommes qui ont eu une relation amoureuse des années auparavant a le poids du regret et de la nostalgie. Le dialogue est banal. C’est la connexion qui est importante.
Dans une scène ultérieure, lorsque Black (Chiron adulte) rend visite à Kevin adulte au restaurant où il travaille, il lui demande : Pourquoi tu m’as appelé ?. Kevin répond : Il a joué cette chanson, mec, faisant allusion à une chanson qui a réveillé un souvenir.

Le reste de la scène se déroule en action. Un dialogue tacite s’instaure pendant que Kevin fait jouer la chanson sur le juke-box. Les deux hommes passent par les étapes de l’excuse, de l’acceptation et de l’attirance renouvelée.

Le stratégique

Il est rare qu’une personne se révèle à son niveau le plus fondamental. Chacun vit avec la peur de perdre ce qu’il a ou de ne pas pouvoir réaliser ce qu’il veut. Le dialogue est une stratégie verbale qui implique deux ou plusieurs personnes essayant d’obtenir ce qu’elles souhaitent tout en surmontant un obstacle.

Un bon exemple de cela se trouve dans Up in the Air, dans une scène avec Craig, Ryan et Natalie. Craig veut économiser de l’argent et a fait appel à Natalie pour changer la façon dont ils mènent leur activité de réduction des effectifs, en passant de la route à l’Internet.
Ryan s’oppose à ce changement en déclarant : Il y a une méthodologie dans ce que je fais. Il y a une raison pour laquelle ça marche.

Chaque personnage a un objectif, une motivation et une stratégie. La stratégie verbale du personnage de Ryan consiste à engager Natalie dans un jeu de rôle où il expose ses défauts. Il gagne la bataille, mais pas la guerre, car le changement est inévitable.
C’est le but de tout le récit, la transformation de Ryan qui, de grand voyageur passionné, se rend compte de la valeur de l’enracinement, de la reconstruction et de l’établissement de relations.

Parfois, le principal obstacle d’un personnage dans une scène n’est pas l’autre personne, mais ses propres insécurités, ses blessures profondes ou ses défauts. Le conflit de Mark Zuckerberg dans la scène d’ouverture de The Social Network n’est pas sa petite amie, Erica, qui essaie courtoisement pendant la première moitié de la scène de la rendre légère, intéressante et exempte de conflit.
Mais l’obsession de Mark pour l’élite, la particularité et la supériorité fait tout capoter. Finalement, il dépasse les bornes, l’insulte et elle rompt avec lui. C’est une scène très dense en dialogues, mais chaque moment est orienté vers un objectif et révèle un personnage.

À un moment donné, Erica lui dit : Parfois, tu dis deux choses à la fois, et je ne suis pas sûre de savoir laquelle me concerne. Puis elle ajoute : Sortir avec toi, c’est comme sortir avec un Stair Master.
Le style d’écriture qui justifie cette réplique n’est pas le fruit du hasard, mais de l’intention de l’auteur. Le dialogue d’Aaron Sorkin oscille entre les différents sujets abordés par Eisenberg, ce qui donne le vertige.

Un but

Le dialogue n’est pas un jeu à faible enjeu. C’est généralement le dernier recours lorsque les images ne suffisent pas. Par conséquent, lorsque l’on s’appuie sur les dialogues, il faut qu’ils aient un but précis. Chaque élément d’un scénario a pour mission de faire avancer la narration. Dans un film bien conçu, même une scène qui ne semble pas nécessaire a une raison d’être.

Dans cette scène de Passion Fish de John Sayles, May-Alice Culhane accueille un groupe de femmes de l’époque où elle était actrice dans un soap opera, avant qu’un accident ne la cloue sur un fauteuil roulant. Cette scène comprend un long monologue d’un personnage qui n’apparaît que dans cette seule scène.
Supprimer ce monologue n’affecterait pas l’intrigue, mais l’histoire en souffrirait, car il rend parfaitement compte de la superficialité de l’ancienne vie de la protagoniste. Le lecteur/spectateur éprouve toujours de l’empathie pour la perte de mobilité de la protagoniste, mais cette scène l’aide à l’encourager à cesser de regarder en arrière et à embrasser un avenir digne de ce nom.

Tout ce que dit votre personnage n’est pas une simple conversation, c’est une stratégie axée sur un objectif. Utilisez le dialogue pour susciter une anticipation. Avant que Miranda n’apparaisse dans Le diable s’habille en Prada, les paroles et les actions de Andy nous indiquent que Miranda est une personne respectée, redoutable et exigeante. Nous attendons d’elle qu’elle rugisse comme un lion.
Quand elle ronronne comme un chaton exigeant, c’est inattendu et encore plus effrayant et efficace.

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