EMPATHIE & SYMPATHIE

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Considérons cette scène de Forrest Gump

Alors que le jeune Forrest se fraye un chemin dans l’allée d’un bus scolaire, nous voyons, à travers ses yeux, des camarades de classe se moquer de lui et refuser de partager leur siège. Puis la caméra revient sur le visage de Forrest, ce qui nous permet de voir sa réaction – une expression silencieuse et blessée.
En tant que lecteur/spectateur, nous ne pouvons nous empêcher d’avoir de la peine pour ce petit garçon. Nos propres expériences, accumulées tout au long de notre vie, sont les ingrédients d’une fiction narrative aussi puissante. De son point de vue, nous ressentons ce qu’il ressent ; ensuite, de l’extérieur, nous nous disons : Ce pauvre gosse, comment peuvent-ils le traiter de la sorte ?

Certes, nous savons que Forrest Gump n’est pas une vraie personne. Et pourtant, ce personnage nous émeut. Pourquoi ?
La façon dont nous réagissons aux personnages de fiction a beaucoup à voir avec notre capacité à nous connecter aux autres et à nous sentir concernés par la situation d’une personne. Il est admis que nous n’aurions aucun moyen de traiter un personnage sur le plan cognitif si nous n’avions pas d’expériences avec des personnes en dehors de l’univers fictif. Les expériences avec les personnages de fiction résonnent en nous parce que nous avons vécu des expériences profondes avec des personnes véritables tout au long de notre vie.

Empathie et sympathie

L’empathie et la sympathie sont des phénomènes que nous expérimentons presque quotidiennement dans nos relations avec les autres et qui jouent un rôle clé dans la façon dont nous réagissons aux personnages de fiction. Selon les psychologues sociaux, l’empathie nous permet de ressentir les sentiments d’une autre personne (ou du moins de reconstruire, de nous représenter ce que nous pensons que cette personne ressent sans que nous ayons à le raisonner).
L’empathie peut ensuite conduire à la sympathie (comme similitude de sentiments), c’est-à-dire à notre capacité à comprendre qu’une autre personne souffre, ce qui nous incite souvent à vouloir atténuer cette douleur pour elle.

Tant que le récit donne une perspective appropriée à un personnage de fiction – nous permettant à la fois d’imaginer sa douleur et de percevoir son expérience à distance, par procuration, comme dans Forrest Gump – nous pouvons momentanément oublier le fait que ce personnage n’existe que dans le domaine de la fiction. Nous déplorons que leurs rêves soient anéantis ou qu’ils soient tués, et nous nous réjouissons avec eux lorsque les choses vont dans leur sens.
En d’autres termes, nous nous lions à eux sur le plan émotionnel, comme nous le ferions avec un ami. Lorsque nous sommes captivés par ce que nous voyons & entendons, autrefois on écrivait que nous étions en admiration, nous nous investissons profondément dans l’expérience de vivre avec des personnages de fiction. Nous avons tendance à leur répondre comme s’il s’agissait de personnes réelles.

Tout comme nous le faisons avec nos amis et notre famille dans la vie réelle, nous remplissons inconsciemment dans notre esprit les détails qui manquent de la vie des personnages. On imagine des épisodes de leur passé, ce qu’ils pensent ou ce qu’ils faisaient lorsque nous n’étions pas là, ce qui ne fait que renforcer le sentiment de leur réalité. Ces personnages peuvent même nous renvoyer à nos propres douleurs (une belle histoire d’amour nous émeut d’autant plus que nous ne connaissons pas l’amour par exemple).

En même temps, pendant la durée du film, nous pouvons apprendre à connaître ces personnages plus personnellement que nous ne connaissons certains de nos proches. La narration nous ouvre une fenêtre sur leurs pensées, et le récit nous permet de jeter un coup d’œil sur leurs affaires les plus privées.
Parfois, même les personnages que nous n’aimions pas au départ peuvent se racheter. Autrices et auteurs jouent souvent avec la notion de première impression – qui peut être très forte – en construisant progressivement notre sympathie pour une personne qui nous a d’abord repoussés. Dans Un Jour sans Fin, par exemple, Phil Connors nous apparaît d’abord comme un égoïste arrogant et égocentrique. Cependant, après avoir été aspiré dans une boucle temporelle, Phil devient progressivement plus sympathique, se mettant en tête de s’améliorer et d’aider les autres.

Ce n’est pas tant que nous le voyons différemment ou que nous l’avons mal compris plus tôt, mais que nous voyons le processus qu’il traverse et qui lui permet de réviser nos croyances à son sujet.

Même si nous ne pouvons pas nous référer directement à la situation d’un personnage – par exemple, si nous n’avons jamais fait la guerre, si nous n’avons jamais vécu au Kenya ou si nous n’avons pas le même sexe ou le même âge – nous pouvons tout de même nous identifier à lui.
Tant que quelque chose nous est conté et que ce quelque chose contient des perspectives émotionnelles, notre capacité à ressentir des émotions pour des personnages de fiction (et il y a tant de façons de sentir les choses, reconnaissait Stendhal) transcende tous les autres détails circonstanciels.

Considérons cette autre scène de Forrest Gump :

Jenny présente à Forrest son fils, dont il ignorait jusqu’à présent l’existence. Pour le lecteur/spectateur, il est clair que la première pensée de Forrest est de savoir si son enfant a hérité du handicap de son père. Lorsque Jenny confirme que leur fils est en bonne santé, les yeux de Forrest se remplissent de larmes.
La prise de conscience de Forrest nous fait comprendre tout ce qu’il a souffert dans sa vie à cause de ce handicap que pourtant nous ne possédons pas. Et pourtant, nous apercevons la totale humanité de ce personnage et toutes ses souffrances dues aux regards des autres.

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2 thoughts on “EMPATHIE & SYMPATHIE

  1. Bonjour,
    vous faites allusion à une émotion majeure (et pourtant oubliée dans la liste classique des 6 émotions) : l’attendrissement. Le maître, en ce domaine, est Charlie Chaplin qui sait nous attendrir avec une jeune fille aveugle, un petit garçon orphelin, un petit chien, etc.
    De fait, l’attendrissement est l’émotion la plus facile à provoquer parce que son objet est faible, innocent (cad. ne risque pas de nuire) et donne normalement envie de le protéger (cad. renforce notre sentiment de supériorité).
    Problème ! On sait depuis Aristote que tout est une question de mesure. Donc, il faut éviter d’abuser du procédé, car nous sommes trop nombreux à nous ranger automatiquement du « bon côté » (bonne conscience oblige). En bref, le procédé devient vite « morue » ! Là est l’écueil.
    Bonne journée.

    1. Bonjour Xavier et Merci pour cette intervention. Ce sentiment de supériorité, Stendhal le nommait vanité, cette recherche d’effet sur autrui de sa propre présence. Contrairement à Rousseau, je ne pense pas que la nature de l’homme est bonne. Mais en société, face à la vraie innocence, autrice et auteur doivent provoquer à la fois l’innocence et l’attendrissement recherché (si c’est cet effet qui est voulu). Enfin, c’est leur tâche de prendre à contrepied l’opinion.
      Bonne Journée à vous aussi

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