Le genre du récit peut décider de sa destinée. La forme que l’on donne à un récit est un moyen d’expliquer le monde et de nous expliquer nous-mêmes. Chacun de nous se raconte à sa manière. Souvent, ce que l’on raconte de nous-mêmes ne reflète pas notre vécu. Sélection et imaginaire obliquent le récit de nos vies.
Or, ce récit est ce que nous renvoyons de nous aux autres. Nous sommes les personnages de nos propres histoires. Dans notre quotidien, nous rencontrons des antagonismes contre lesquels il nous faut lutter, des obstacles qu’il nous faut surmonter et nous avons des buts que nous nous promettons d’atteindre. C’est ainsi que nous vivons dans le monde.
Le genre dans lequel nous disons notre propre histoire ou que nous lisons l’histoire d’un autre est une perspective singulière sur le monde. Cette perspective reflète notre propre vision du monde, nous nous y reconnaissons. Le genre est un puissant moyen d’expression.
Les conventions liées à un genre nous aident à interpréter le message que ce nous faisons de nos vies n’est peut-être pas le plus adéquat. Que l’on apprécie les comédies romantiques ou les aventures ou d’autres genres, les uns comme les autres nous renvoient une représentation de notre aspiration à vivre autrement.
Mais le genre nous permet aussi de comparer nos propres valeurs et de les affirmer. Si nous revenons sans cesse aux comédies romantiques par exemple, ce n’est pas pour les circonvolutions de l’intrigue que nous connaissons déjà, mais bien parce que nous avons besoin de nous rassurer sur nos propres existences. Si nous apprécions les récits de vengeance personnelle, ce n’est pas parce que nous avons subi une quelconque iniquité, mais parce que nous possédons en nous un sens de la justice que nous souhaitons voir appliquer dans le monde.
Thème & Genre
Le problème soulevé par le thème et les réponses possibles qui lui sont données par l’autrice et l’auteur sont portés par le genre dans lequel cet auteur et cette autrice s’expriment naturellement. Ce que chacun de ces genres fait, c’est de proposer une séquence dramatique d’événements pour exprimer une vision thématique plus profonde.
Reconsidérons notre vécu : il est certes fait de nos expériences mais aussi d’un héritage, celui de nos parents, de notre communauté, de notre religion et cet amalgame crée nos croyances. Ces croyances limitent et transforment ce que nous percevons de la réalité alentour. Ce que nous nous représentons de la réalité n’est pas la réalité.
Ce que nous nous racontons est forcément subjectif. Si je me trouve gros, est-ce vraiment une pensée objective ? Ne serait-ce pas plutôt parce qu’une norme à laquelle je me soumets totalement en a décidé ainsi pour moi ? C’est le risque avec les idéologies, système d’idées prédéfinies envers lesquelles on peut parfois manquer d’esprit critique.
Donnons que notre personnage est une personne obèse. Et que son obésité le fait souffrir. Cette souffrance a sa source dans l’enfance de ce personnage et elle le hante depuis que le regard des autres n’a cessé de le blesser. C’est du moins l’histoire qu’il se raconte à lui-même.
Pour dissiper sa souffrance, il pourrait imaginer un substitut : un ami imaginaire qui le pousserait alors à se venger de ceux qui le dénigre. Ce qu’il se passe lorsque nous sommes lecteur et lectrice d’un tel récit, c’est que nous reconnaissons les failles de ce personnage. Nous n’avons pas accès à un personnage par des actes de bonté dont il ferait preuve mais bien plutôt par les passions qui l’animent.
Un être de fiction et les situations dans lesquelles il est plongé sont une sorte de catharsis moderne qui nous force à une révélation de nous-mêmes, qui nous libère de la présence du passé. Cette actualisation du passé dans notre quotidien se maintient parce qu’elle s’est construite sur une espèce de matrices de significations et de valeurs qui nous leurrent sur la vision du monde que nous concevons. Quand, une nuit, au détour d’un chemin de campagne, nous rencontrons ce que la tradition nomme une dame blanche, cette apparition pourrait être l’aboutissement de croyances qui se seraient sédimentées avec le passage du temps et non la réalité.
Ce récit que l’on nous fait de ce phénomène peut nous atteindre car il serait étonnant que nous ne reconnaissions pas quelques significations ou valeurs savamment posées dans la personnalité de ce personnage.
Voir autrement
C’est le propre d’un récit de fiction de nous proposer une vision du monde que nous ne saurions concevoir autrement. Les aventures d’un personnage aussi incroyables et improbables soient-elles trouvent toujours le moyen, ne serait-ce que par un fil ténu, de faire sens pour nous.
Considérons Le Parrain. Le monde que décrit cette œuvre est très étrange pour la plupart d’entre nous. Cependant, les valeurs familiales qu’elle véhicule sont universelles. Et soudain, nous pourrions prendre conscience de l’importance de nos êtres aimés dans nos vies si nous sommes happés par notre ambition par exemple.
Quand un récit nous renvoie des images qui coïncident avec nos propres représentations, notre participation au récit devient effective.
Le genre n’est pas seulement affaire de goût. Il facilite certaines thématiques : le sens de la justice, le désir de vengeance.. une pléiade de valeurs s’expriment mieux sous un genre donné plutôt qu’un autre.
Un récit a un impact sur son lecteur ou sa lectrice car il parvient à les toucher en quelque endroit de leur âme : une expérience qu’ils ont vécue, une iniquité qu’ils ont subie.
Nous sommes tous les héroïnes et les héros de nos propres histoires. Souvent, il s’agit de s’être donné un but dans sa vie (ne serait-ce que pour donner du sens à cette vie) et nous sommes confrontés à toutes sortes d’oppositions.
Ce sentiment d’échec est profondément enraciné en nous. Quand on se retourne sur le passage du temps, ce qu’on anticipe devient terriblement incertain et destructeur.
Merci pour votre générosité.
