Glenn Gers rumine énormément sur ses personnages. Auteurs et autrices font de même. Après avoir posé nombre de jalons concernant ses personnages et quelques nécessaires scènes dans le plan en construction de son récit, il en vient à questionner les motivations de ses personnages.
Pourquoi diable alors qu’ils viennent d’horizons divers, qu’ils ne se connaissent pas, chacun d’entre eux dĂ©cident de s’engager dans la recherche d’un assassin mettant en pĂ©ril leur sĂ©curitĂ© d’auditeurs d’un podcast (une activitĂ© passive) dont le meurtre de l’animateur est un mystère.
La question d’Ariane
Glenn Gers Ă©crit une romance. Elle se prĂ©sente sous la forme d’un thriller mais au fond, c’est une romance.
Le Love Interest du personnage principal, Gers avait commencĂ© par en faire une femme isolĂ©e, perdue dans une campagne profonde et qui aspirait Ă connaĂ®tre autre chose mais n’avait jusqu’Ă prĂ©sent trouvĂ© la force d’accomplir une volontĂ© qui la torturait intimement.
En prĂŞtant davantage d’attention Ă ce personnage, Gers en conclut qu’il ne fonctionnait pas. Il ne parvenait pas Ă justifier pourquoi cette femme saisissait soudain l’opportunitĂ© de rejoindre un groupe d’inconnus et se lancer dans une dangereuse quĂŞte. Ce motif semblait trop simple Ă Gers ; or la nature humaine est par nature une chose complexe.
Par ailleurs, Gers a inclus dans son plan qu’Ariane serait le personnage qui rĂ©cupĂ©rerait le dossier des indices accumulĂ©s par l’animateur. Il lui apparaĂ®t alors logiquement qu’Ariane ne cherche pas Ă intĂ©grer le groupe. Elle y est en quelque sorte forcĂ©e.
Ainsi, s’il en fait la femme divorcĂ©e de l’animateur, son profil serait mieux dessinĂ©. On peut expliquer par ailleurs que l’activitĂ© de l’animateur, emplissant tout son esprit, ne lui a pas permis de s’apercevoir qu’il dĂ©laissait sa femme, que celle-ci se sentait frustrĂ©e par ce manque d’attention. Elle en nourrit comme une jalousie qui les mena tous deux Ă la sĂ©paration.
Introduire une jalousie dans une relation amoureuse, c’est indiquer la fragilitĂ© d’un couple. Et c’est tout Ă fait comprĂ©hensible par le lecteur ou la lectrice qui accepteront alors les circonstances qui entourent un personnage. En particulier, cela explique pourquoi elle a accès au dossier.
Et cela permet de mettre en place aussi qu’Ariane se trouve en concurrence avec le tueur qui connaĂ®t aussi l’existence de ce dossier. Par nature, cette rivalitĂ© dans l’obtention d’un mĂŞme but est chargĂ©e de tension dramatique.
Et Éric ?
Éric a dĂ©cidĂ© de prendre de la distance avec son mĂ©tier de journaliste d’investigation qui l’a Ă©loignĂ© de sa famille. On retrouve un motif similaire entre Ariane et la femme d’Éric qui lui reproche cette absence. Mais cette solution de continuitĂ© ne me satisfait pas. La femme d’Éric ne devrait pas avoir envie de se sĂ©parer vraiment de son mari. Elle souhaite davantage une pause dans leur relation : ainsi, Éric prend retraite dans un village isolĂ© (prĂ©cisĂ©ment celui oĂą vit Ariane) pour Ă©crire un livre dont le sujet serait d’Ă©tudier les raisons qui incitent un individu ordinaire Ă revĂŞtir la tenue du justicier.
Leur rencontre se fonde donc sur une coĂŻncidence. Ce qui renouvelle la question de l’incident dĂ©clencheur. Ce qui importe nĂ©anmoins est que la femme d’Éric prĂ©sente des nuances qui peuvent reprĂ©senter un obstacle dans l’amour naissant d’Éric et d’Ariane.
Gers prĂ©cise ses personnages : Ariane est profondĂ©ment Ă©motionnellement blessĂ©e dans son rapport Ă son mari ; Éric s’est vu soudainement reprochĂ© d’avoir dĂ©laissĂ© sa femme et sa fille au profit de sa carrière. Ce fut une totale surprise pour lui.
Pourquoi le sujet du livre que s’apprĂŞte Ă Ă©crire Éric parle t-il d’individus ordinaires jetĂ©s dans des circonstances extraordinaires ? Éric ne renie pas son activitĂ© professionnelle. Au contraire, il estime que son devoir est de dĂ©noncer les raisons qui font que le monde ne tourne pas rond. S’il y avait moins d’injustice (et donc moins de crimes [dans un sens gĂ©nĂ©ral, parlons plutĂ´t de transgressions]), Éric ne se serait pas lui-mĂŞme investi dans cette tentative de faire du monde un lieu meilleur.
Il est important, constate Glenn Gers, de comprendre ses personnages, de fouiller leurs personnalitĂ©s mĂŞme s’ils sont des ĂŞtres mauvais. Le moindre individu (personnages fictifs ou personnes rĂ©elles) possède une volontĂ©. Pour l’auteur et l’autrice, il est bon de tenter de la cerner par vos rĂ©flexions, ce dialogue tout Ă fait naturel avec vous-mĂŞmes.
Gardons aussi dans un coin de notre esprit que notre personnage principal (et s’il n’y en a qu’un, ce sera lui) est un ĂŞtre qui doit changer, qui doit Ă©voluer au cours de son aventure (cette Ă©volution ne prĂ©dit d’ailleurs pas ce qu’il deviendra). Et le fait qu’il s’agisse d’abord d’une comĂ©die romantique n’oriente pas nĂ©cessairement le dĂ©nouement vers le happy ending.
Je prĂ©cise aussi que je prends certaines libertĂ©s avec la pensĂ©e de Glenn Gers : pour Gers, le personnage principal est attirĂ© dans l’intrigue parce qu’il suit son Love Interest dans sa quĂŞte des pièces Ă conviction qui devraient permettre d’en connaĂ®tre davantage sur le serial killer qui a assassinĂ© son mari (enfin son ex).
Pour ma part, bien que l’idĂ©e de Gers soit viable, je prĂ©fère noter pour le moment qu’Éric fait des recherches pour le livre qu’il Ă©crit et que sa rencontre avec Ariane est fortuite. Le hasard est toujours possible dans une fiction : seulement il sera bien mieux acceptĂ© (du moins, il ne sera pas trop dĂ©battu) s’il fonde l’incident dĂ©clencheur, plutĂ´t que d’avoir posĂ© un fait ou un phĂ©nomène prĂ©alables menant Ă cet incident dĂ©clencheur (qui sera bien souvent une rencontre : Joseph Campbell dĂ©nommait ce personnage de rencontre comme un hĂ©raut (herald) porteur d’une nouvelle que le personnage principal doit accepter et ce messager est souvent lui-mĂŞme surprenant).
Traduire les choses en scènes
Le plan doit indiquer les scènes majeures, celles qui articulent effectivement le rĂ©cit. Vous avez Ă©tabli des fiches pour chacun de vos personnages ainsi que des fiches pour les thèmes que vous souhaitez explorer (ces fiches thĂ©matiques peuvent servir pour votre note d’intention).
Cette indication des scènes nĂ©cessaires au rĂ©cit s’Ă©labore progressivement au moment oĂą vous travaillez sur vos fiches personnages ou thĂ©matiques. La rencontre par exemple appelle une scène et alors que j’ignore encore quels en seront les dĂ©tails, je prĂ©vois dĂ©jĂ dans le plan une scène que je titre La rencontre entre Ariane & Éric.
La question qui apparaĂ®t maintenant est pourquoi ces deux-lĂ avec leurs vĂ©cus respectifs tombent-ils amoureux ? Tout comme Glenn Gers, je considère que cette question fera l’objet d’un brainstorming (c’est-Ă -dire faire une liste des choses possibles qui pourraient se produire). Qu’est-ce qui attire Éric chez Ariane ? Est-ce un coup de foudre ou bien l’un d’entre eux doit-il parvenir Ă se faire aimer de l’autre ?
Une mĂ©thode possible serait de structurer leur relation en un certain nombre d’Ă©tapes successives qui, assemblĂ©es, formeront une sĂ©quence entière que nous Ă©claterons tout au long du rĂ©cit. Gardons Ă l’esprit que la nature humaine est complexe. La relation entre Ariane et Éric le sera tout autant.
Sur la fiche de son serial killer, Glenn Gers envisage un modus operandi des crimes un peu plus original (selon son propos) que l’habituel crime du genre Thriller. En effet, Gers choisit pour son tueur.. le poison.
Ainsi, l’assassin suit ses victimes Ă leur insu de manière Ă Ă©tudier leurs habitudes (intĂ©ressant de reprendre le motif de la vulnĂ©rabilitĂ© d’un individu par ses habitudes de vie). L’assassin n’est pas dans l’urgence ; il prend le temps d’observer ses proies pour les connaĂ®tre suffisamment afin de les atteindre par le biais d’une faiblesse, c’est-Ă -dire Ă ne pas prendre au sens littĂ©ral mais plutĂ´t comme une situation oĂą le personnage n’est pas sur ses gardes. Un ĂŞtre foncièrement religieux par exemple, qui assiste rĂ©gulièrement Ă la prière de la mi-journĂ©e, pourrait ĂŞtre empoisonnĂ© par une hostie altĂ©rĂ©e par les mains de l’empoisonneur.
Glenn Gers explique que les idĂ©es que vous retenez n’ont pas d’autre source que le plaisir que vous prenez Ă les possĂ©der. Vous aimez quelque chose, notez-le. Donc, cette histoire de poisons n’est pas clairement formulĂ©e car lorsque la victime meurt, cela semble une mort naturelle.
Cependant, il existe un concept suivi par les enquĂŞteurs qui consiste Ă repĂ©rer lors d’une mort que nous qualifierons de suspecte s’il n’y a pas une signature cachĂ©e sous ce dĂ©cès. C’est prĂ©cisĂ©ment ce type d’informations qui figurent dans le dossier montĂ© par l’animateur du podcast contre le serial killer.
Maintenant, l’importance de mettre la main en premier sur ce dossier apparaĂ®t dans toute sa lumière. De plus, Glenn Gers ajoute que cette signature que l’on pourrait considĂ©rer comme une faute de l’assassin n’est en fait pas une erreur mais qu’elle fut posĂ©e lĂ intentionnellement afin que les enquĂŞteurs prennent conscience qu’ils ont affaire Ă un individu qui leur est intellectuellement supĂ©rieur et qui se propose de jouer au chat et Ă la souris avec eux.
Le postulat est que le serial killer justifie ses actes par la publicité qui en est faite. Mais la question pour le moment est bien plus terre-à -terre : quelle serait cette signature ?
Les détails
D’abord, comprenez bien qu’on ne pourrait pas apprĂ©cier ce rĂ©cit. Ce que cherche Ă dĂ©montrer Glenn Gers n’est pas la qualitĂ© d’un texte mais la manière de dĂ©velopper le pilote d’une sĂ©rie, mĂ©thode que l’on peut appliquer Ă d’autres projets : des fiches pour chaque personnage expliquant qui ils sont et pourquoi sont-ils ce qu’ils sont ; une fiche pour les thèmes qui seront dĂ©veloppĂ©s et qui se remplit au fur et Ă mesure de la rĂ©flexion ; une fiche pour les scènes majeures qui articuleront le rĂ©cit et lui donneront sa logique et sa cohĂ©sion ; et un brainstorming incessant pour se maintenir l’esprit en alerte.
Quelle est la situation ? Nous avons un tueur qui parvient Ă attirer les soupçons d’une petite communautĂ© envers l’un de ses membres. Et ce tueur mais incognito appartient aussi Ă ladite petite communautĂ©.
Je vous l’ai dit : je me suis permis quelques libertĂ©s avec la pensĂ©e de Glenn Gers. Seulement celui-ci propose un climax intĂ©ressant : Éric et Ariane tissent tout au long de l’intrigue une relation sincère et forte avec le tueur. Et lorsque le suspect, contre toute attente, menace la vie d’Ariane, alors le vĂ©ritable tueur la sauvera.
La question dramatique qui s’impose lors de ce climax serait alors de savoir si Éric et Ariane seront reconnaissants de ce geste et laisseront s’Ă©chapper le tueur maintenant qu’il s’est rĂ©vĂ©lĂ© Ă eux. Seulement du point de vue moral, ce serait une grave entorse. Certes, force est de constater, si l’on se penche sur l’histoire de l’humanitĂ©, un effondrement des valeurs. Mais cela justifie t-il qu’un crime restera impuni ?
Nous avons prĂ©cĂ©demment dĂ©crit l’assassin comme un ĂŞtre ayant terriblement souffert des autres d’abord enfant puis adolescent et dans sa vie d’adulte. Nous trouvons lĂ une justification des actes horribles commis. Mais la justice divine ne peut avoir prĂ©sĂ©ance sur la justice des hommes ; Éric et Ariane dĂ©cideront donc de dĂ©noncer aux autoritĂ©s l’assassin.
La dĂ©nonciation elle-mĂŞme n’est pas un geste positif, d’autant plus pour Éric dont les dĂ©nonciations des transgressions des hommes est un combat de toute une vie. Ariane et Éric en seront conscients ce qui rend encore plus difficile leur dĂ©cision car aucune des deux options qui s’offrent Ă eux n’est satisfaisante. Ce climax seulement possible Ă ce stade de la rĂ©flexion est une scène majeure ; en consĂ©quence, elle se rajoute au plan. Gardez en tĂŞte que ce plan n’est pas figé ; il permet seulement aux idĂ©es de ne pas s’Ă©vanouir.
D’autres climax sont possibles : Éric et le tueur peuvent se battre (la hargne d’Éric en serait dĂ©cuplĂ©e par la trahison de la confiance qu’il avait placĂ©e dans le tueur). Gers imagine qu’ils pourraient non pas se battre Ă mains nues signifiant que seule la force de l’un d’entre eux ferait la diffĂ©rence mais pour la possession d’une arme qui donnerait un avantage certain.
Seulement, cette option n’est pas suffisamment dramatique. Il faut que les deux adversaires se trouvent Ă armes Ă©gales Ă un moment de la lutte posant ainsi davantage d’incertitudes sur l’issue du combat.
Pour se retrouver Ă armes Ă©gales avec le tueur, Éric pourrait alors utiliser un objet qui a Ă©tĂ© nonchalamment introduit lors d’une scène prĂ©cĂ©dente. C’est la technique narrative du fusil de Tchekhov qui consiste Ă placer une arme accrochĂ©e Ă un mur dans l’acte Un et dont le hĂ©ros ou l’hĂ©roĂŻne se serviront dans l’acte Trois pour se sortir du pĂ©ril.
Ce qui ne fonctionnerait pas, c’est qu’ils dĂ©couvrent par hasard cette arme dans l’acte Trois ce qui reviendrait Ă Ă©crire un Deus Ex Machina, c’est-Ă -dire une opĂ©ration divine qui sert essentiellement Ă l’auteur ou Ă l’autrice Ă se sortir eux-mĂŞmes de l’impasse dans laquelle ils se sont jetĂ©s pour la rĂ©solution de leur rĂ©cit.
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