UN PASSÉ DE PERSONNAGE

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Il en est d’un personnage comme dans la vraie vie. Lorsqu’on rencontre quelqu’un pour la première fois, parfois on est curieux de connaître ce que fut cette vie. D’où vient cette personne ? Pourquoi est-elle maintenant ici ? Pourquoi… pourquoi… comment…. où ?

Nous sommes curieux du passé parce qu’il y a une histoire derrière chaque décision, dit Linda Seger. Certaines décisions peuvent impliquer une intrigue (elle fut obligée de quitter la ville) ou bien une romance (Ils se sont rencontrés à Paris lorsqu’ils faisaient leurs études en France) ou bien encore parler de corruption…

La situation actuelle

La situation actuelle est le résultat de décisions et d’événements. Nécessairement, ils se situent dans le passé. Et les choix qui ont été faits déterminent ceux à venir. Un récit est d’abord une histoire dans laquelle tous les personnages agissent ou subissent l’action des autres. Cette histoire est celle qui est donnée au lecteur et qu’il observe passivement, c’est-à-dire objectivement.

Mais les personnages dans cette histoire font ce qu’ils font et sont ce qu’ils sont en raison essentiellement de leurs passés.

Ce passé peut comprendre des traumatismes et des crises personnelles, des personnes importantes qui sont entrées dans leur vie, les réactions négatives et positives qu’elles ont reçues, les rêves de l’enfance et s’être fixés des objectifs, et bien sûr les influences de la société et de la culture.

Deux types d’informations remontent du passé, constate Linda Seger. L’un concerne les événements passés qui influencent directement la construction de l’histoire. Hamlet, Des gens ordinaires ou Citizen Kane possèdent tous des événements passés dont l’histoire dans son ensemble et l’intrigue en particulier se nourrissent.

Sans ces événements passés, ces histoires n’existent pas.

L’autre type d’informations est d’ordre autobiographique. Cette information peut ne jamais être divulguée au lecteur, mais l’auteur doit la connaître pour l’aider à créer le personnage.

Les personnages naissent dans l’esprit d’un auteur et se voient attribuer un jeu spécifique d’attitudes et d’expériences. Le vécu d’un personnage aide les auteurs à découvrir lesquelles de ces attitudes et expériences sont essentielles pour créer pleinement son personnage. Cela me rappelle l’identité narrative de Paul Ricœur qui définit un être comme une historicité concrète et personnelle.

De quel passé avez-nous besoin ?

Lajos Egri dans The Art of Dramatic Writing recommande que les auteurs créent ces biographies pour leurs personnages.

Linda Seger propose trois types d’informations :

  • La physiologie telle que l’âge, le sexe, les attitudes et autres façons de se tenir, l’apparence, des défauts physiques ou encore l’hérédité ont pu s’immiscer dans le passé et définir le comportement et le mode d’être ou de penser actuels d’un personnage.
  • La sociologie qui précise la classe sociale et qui sans être un adepte du déterminisme influe énormément sur le devenir. Il y a aussi les activités, l’éducation, la vie de famille, la religion ou des choix politiques, tout cela cumulé crée un personnage.
  • La psychologie qui décrit des standards moraux, des ambitions et des frustrations, le tempérament, un point de vue sur la vie, des capacités et un degré d’intelligence (et l’intelligentsia n’en est pas la seule dépositaire) et une personnalité en général telle qu’extra ou introvertie.
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Carl Sauter était un auteur qui écrivait aussi pour des séries télévisées.

Et voici la recommandation de Carl Sautter : Il y a un danger à faire la biographie d’un personnage en trois pages. J’encourage toujours les auteurs à la faire, mais je leur dis ensuite de la jeter. Faites cette biographie et comprenez-la, mais laissez les autres éléments évoluer au fur et à mesure que votre personnage évolue.
De bien des façons, ce personnage naît devant vous. N’importe qui peut proposer une biographie de trois pages pour un personnage, et vous trouverez beaucoup d’éléments utiles et intéressants grâce à cet exercice que vous pourrez utiliser plus tard. Mais cela ne peut pas s’arrêter là.

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Frank Pierson était un réalisateur et un scénariste.

Il est important de comprendre comment un personnage ressent ce qu’il lui est arrivé, conseille Frank Pierson. Il est un peu bête de demander à un personnage s’il a déjà travaillé dans une usine par exemple. Ce qui est préférable, c’est qu’il nous confie quel fut le moment le plus embarrassant de sa vie, s’il ne s’est jamais senti ridicule dans certaines circonstances, quelle fut la pire des choses qu’il lui soit arrivé…

Il faut faire ressortir ces émotions, parce que c’est ce qu’un personnage porte dans une scène et colore tout ce qu’il fait.

Le passé sera différent pour chaque personnage. La biographie en elle-même ne vous donnera pas toujours des informations pertinentes. Si vous écrivez Hamlet, il n’est pas nécessaire de savoir à quels jeux Hamlet jouait dans son enfance, ni qui était sa petite amie d’enfance.
Si vous écrivez Un violon sur le toit de Joseph Stein, ces informations peuvent être essentielles.

Quid & Quid Est Quod

Pour de nombreux auteurs, le processus de création d’un arrière-plan, d’une historicité personnelle, commence d’abord par la création d’un personnage et le travail sur le récit. En écrivant, ils se rendent compte qu’ils n’ont pas certaines informations dont ils ont besoin sur leur personnage. Ou bien ils découvrent que leur personnage a des réactions inattendues aux événements et envers autrui.

Peut-être ne savent-ils pas comment leur personnage réagirait dans des circonstances particulières. Ils découvrent ainsi le passé en se posant des questions sur le pourquoi et le quoi de leur personnage, nous confie Linda Seger.

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Coleman Luck

Les informations du passé affermissent la relation entre l’auteur et son personnage. Écoutez ce que dit Coleman Luck : Vous commencez par considérer votre personnage comme ayant une vie à part entière – une vie qui doit être explorée. C’est comme revenir en arrière et découvrir votre grand-père. Allez-vous rester assis là et le définir en écoutant tous les faits à son sujet… ou en posant des questions clés pour essayer de trouver l’essence de son caractère ?

Trouver la vérité d’un être (même de fiction) est un processus de découverte, d’étonnement. Vous commencez par poser des questions à votre personnage. Ensuite, vous revenez en arrière pour essayer de comprendre ce qu’il s’est passé dans le passé et qui pourrait influencer les décisions et les actions dans le présent.

Les informations du passé d’un personnage n’apparaissent pas toujours dans le récit. L’auteur a simplement besoin de certaines informations pour l’aider à comprendre le personnage qu’il est en train de construire mais elles ne sont pas nécessairement utiles dans la ligne dramatique en cours d’écriture.

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Kurt Luedtke

Kurt Luedtke explique : Je pense que nous ne travaillons jamais assez sur le passé. Je n’ai jamais connu de situation où le passé était complètement éclairci avant d’écrire le scénario. Vous pensez que vous le maîtrisez, mais en cours de route, vous avez une situation et vous vous rendez compte que vous ne savez pas d’où vient cette attitude.
Parfois, une scène peut sembler plate, en partie parce qu’on sait clairement ce que le personnage va faire. Parfois, je me demande : « Et s’il ne fait pas cette chose particulière que la plupart des gens feraient ?  Et s’il ne dit pas ce à quoi vous vous attendez, mais le contraire ? Et parfois, cela devient intéressant. Et cela nécessite une exploration plus approfondie d’un passé singulier.

Les révélations du passé

Le passé nous aide à comprendre pourquoi les personnages se comportent comme ils le font. Parfois ce passé nous fournit juste les informations qui nous aideront à comprendre la psychologie du personnage dans le présent.

voglerDans Fatal Attraction, lorsqu’on comprend que le père d’Alex (la figure masculine la plus importante de sa vie) est mort alors qu’Alex n’avait que 7 ans, il est plus facile d’accepter son comportement actuel, cette méfiance qu’elle ressent envers les hommes tout en étant toujours dépendante d’eux.

Le traumatisme – en particulier s’il est mort devant elle – contribue à son sentiment de peur et d’insécurité. Bien qu’Alex nie la mort de son père quelques minutes plus tard, Dan découvre que c’était vrai. Cet événement important de l’enfance répond aux questions de savoir pourquoi Alex réagit comme elle le fait.

Les informations historiques d’un personnage peuvent nous dire pourquoi il a peur d’aimer (peut-être à cause d’un passé douloureux), ou pourquoi il est devenu cynique (peut-être à cause de la mort d’un être cher).

Le passé peut nous donner un aperçu des motivations, des actions et des réactions. Il nous montre que ce sont les influences spécifiques d’événements passés qui créent un personnage très spécifique dans le présent. Encore une fois, c’est ce que Paul Ricœur appelle une identité narrative.

Linda Seger nous invite néanmoins à ne pas faire l’erreur d’intégrer trop de ces informations dans le récit. Les analepses, les séquences oniriques… peuvent surcharger un récit jusqu’à le tuer. C’est le présent qui importe.

Ce qui est dramatique, c’est le présent – ici et maintenant. Ce qui est passé n’est jamais aussi dramatique, même si cela peut avoir un impact sur le comportement actuel.

Carl Sautter dit : Ce qu’il faut voir, c’est comment ce personnage réagit maintenant, et si vous, en tant que scénariste, savez pourquoi il le fait – à cause d’un événement du passé -, c’est tant mieux. Mais vous n’avez pas besoin de l’expliquer au lecteur.

Tout dire au lecteur sur le passé du personnage peut entraver ce qui est vraiment important : la révélation du personnage dans le présent. Il n’est pas nécessaire de parler beaucoup du passé (comme dans la vraie vie d’ailleurs).

Les personnages qui s’assoient et racontent leur vie passée ont tendance à être ennuyeux, fades et indolents. Les longs monologues, les analepses et les expositions qui donnent trop d’informations sur l’histoire peuvent être mortels, repoussant le récit vers l’arrière plutôt que de le faire avancer vers l’avenir. Tout moment relatant un événement passé ralentit le rythme, voire constitue par lui-même un arrêt du déroulement de l’intrigue.

Le lecteur doit seulement en savoir assez pour comprendre ce qui motive le personnage et il va intuiter un sens du passé à travers le comportement actuel de celui-ci. Plus le passé est riche, plus le personnage est riche.

Des situations qui ont besoin du passé

Bien que l’auteur n’a pas besoin de tout connaître sur le passé d’un personnage, il y a certaines situations qui méritent qu’on s’y attarde un peu pour les comprendre.

Si un personnage est appelé à changer vraiment dans le cours de l’intrigue (donc au présent), on a souvent besoin de connaître une information ou deux de ce qu’il s’est passé autrefois pour clarifier des décisions et des actions actuelles.

Comment comprendre Rambo sans connaître son passé ?

Les transitions d’une vie ne sortent pas de nulle part, mais sont motivées par certaines situations du passé. Si un personnage fait quelque chose d’inhabituel ou d’incroyable, ou s’il semble ne pas être dans son élément, il faudra recourir à des faits historiques pour expliquer ce comportement, nous dit Linda Seger.

Et puis, comme dans la vraie vie, si un personnage s’enferrent dans une nasse illusoire et de mauvaise foi, il perd toute perspective, il stagne. Au lieu de chercher à se dépasser, il se résout à de fausses certitudes et autres préjugés.
Un personnage qui éclate vers des horizons nouveaux, qui prend le risque et de s’étonner et de critiquer, en un mot, de ne pas accepter aveuglément, prendre ce risque doit être compris et interprété par le lecteur d’un tel personnage. Alors, certaines lumières du passé peuvent aider.

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Linda Seger

Linda Seger est plus concrète que mes rêveries ci-dessus. Si une femme au foyer tout à fait ordinaire dans votre histoire décide soudainement, sans explication, de passer les prochains mois de sa vie à résoudre un crime, il est préférable qu’il y ait des informations dans le récit qui expliquent non seulement pourquoi elle le fait, mais aussi pourquoi elle pourrait s’attendre à résoudre un crime que la police ne peut pas résoudre.

Vous pourriez, bien sûr, montrer le crime en première page, et montrer son mari, son amant ou son enfant comme la victime, établissant ainsi une motivation personnelle pour son implication. Mais vous pouvez aussi décider que, dans son passé, elle était étudiante en droit, douée pour la recherche et connaissant bien les rouages du droit, ou qu’elle est une passionnée de longue date de romans policiers, ou qu’elle est membre d’Amnesty International et a un grand sens de la justice, ou encore que son père était policier, ou que sa mère a été victime d’un crime qui n’a pas été résolu.

Toutes ces informations peuvent aider à expliquer un comportement qui n’est normalement pas en accord avec un personnage. Plus cette discordance avec l’action du personnage est marquante, plus le personnage exigera que ses motivations soient expliquées.

Petit brainstorming proposé par Linda Seger
  • Mon travail sur le passé est-il un processus de découverte ? Est-ce que je fais attention à laisser le passé se dévoiler, plutôt que d’imposer à mon personnage des faits et une histoire personnelle qui pourraient ne pas être pertinents pour mon projet ?
  • Lorsque j’intègre des informations du passé dans l’histoire, est-ce que je fais particulièrement attention à ne raconter que les informations absolument nécessaires et pertinentes ? Est-ce que je dissémine ces informations tout au long de l’histoire, plutôt que de les confiner à un ou deux longs discours ?
  • Est-ce que je m’efforce de raconter les faits historiques (le vécu du personnage) de la manière la plus courte et la plus concise possible ? Est-ce que j’essaie de formuler l’information de manière à ce qu’une seule phrase puisse en révéler beaucoup, en termes de motivation, d’attitudes, d’émotions et de décisions ?

Inventer le passé d’un personnage, c’est découvrir des faits comme lorsqu’on dit inventer un trésor quand on découvre l’un d’entre eux. L’auteur s’interroge sur le passé pour expliquer le présent. Notez qu’il n’y a rien d’universel dans cette assertion. Elle s’applique à la fiction dans l’esprit de Linda Seger.

Et ce processus continue au moment même de l’écriture du projet. Linda Seger constate que le passé d’un personnage enrichit, étend et approfondit sa personnalité et pour elle, ce serait même la clef pour créer des personnages vraisemblables.

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