PROBLÈME PERSONNEL & STORY GOAL

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Le problème de l’histoire ou Story Goal devrait-il être radicalement différent du problème personnel (celui du personnage principal) de cette même histoire ?

De nos jours, il est plus facile d’atteindre le spectateur émotionnellement qu’intellectuellement. Je ne fais pas de jugement ici. La lecture d’un récit de fiction est un plaisir et s’il faut que l’on nous aide à mieux nous sentir en ce monde plutôt que de nous divertir seulement, le choix de nos lectures ne nous est nullement imposé.

Pourtant, il est agréable pour un auteur que l’on se souvienne de ses œuvres. Et utiles pour un lecteur/spectateur d’avoir des choses qui ont quelque chose de significatif à dire à propos de nos expériences humaines.

Les récits de fiction ont cela de magique qu’ils permettent de tirer de la signification d’événements apparemment inutiles et douloureux.

Un lien thématique

problèmeIn the air de Jason Reitman et Sheldon Turner, d’après un roman de Walter Kirn est un bon exemple (que l’on peut recopier et reprendre à son compte sans faire de plagiat) où le problème personnel du personnage principal se confond avec celui qui affectent tous les personnages de l’histoire.

Cela permet au lecteur de faire l’expérience de ce problème (des conséquences possibles de ce problème) à la fois objectivement par un point de vue extérieur, surplombant les événements et subjectivement par le point de vue, par la voix du personnage principal.

Cela permettrait au lecteur de trouver plus de significations aux choses qu’il ne peut en obtenir dans la vie réelle. Dans In the Air, Ryan est un spécialiste du licenciement (c’est le Story Goal, le licenciement est alors le problème de tout un chacun).

Mais un jour, une jeune femme très ambitieuse, Natalie, parvient à trouver une solution plus rentable pour la compagnie qui emploie Ryan et qui mettrait un terme (c’est une métaphore du licenciement) aux voyages qu’affectionne tant Ryan.

On a un Story Goal qui concerne tous les personnages (y compris donc le personnage principal).
Celui-ci est néanmoins affublé d’un problème personnel. Ryan applique dans sa vie privée la même logique qu’il emploie pour réduire les coûts salariaux des entreprises.

Il ne s’en rendra compte qu’au moment du climax (juste avant le dénouement), mais cette économie affective de voyager léger en quelque sorte sur le plan émotionnel, de se fondre dans les exigences de la société en oubliant son individualité et ses passions, à terme, cela peut mener à des problèmes.

Au début de l’histoire, Ryan ne s’en rend pas compte. Pour lui et à ce moment, tout va très bien.

Un changement qui est un plus grand problème

On sait que le changement fait partie des gènes d’un personnage principal. Il est condamné à changer. Traditionnellement, le personnage principal est appelé (on ne sait trop par qui) à devenir meilleur. Mais ce n’est pas toujours le cas.

Prenons le cas de Ryan justement. Au début de l’histoire, la viduité de son existence est patente. Au fil de ses pérégrinations et tribulations, Ryan finit par comprendre certaines choses, une sorte d’illumination. Et cela rend sa vie encore plus misérable.

Lorsque l’on fait la connaissance de Ryan, il n’a pas pris conscience que sa vie était si pauvre. Sed contra, il éprouve de sa vie une véritable béatitude.
Comme il est bon d’expliquer les choses, en fiction comme ailleurs, cette béatitude s’explicite parce que Ryan a trouvé dans son mode de vie exactement à l’image de ce qu’on exige de lui tout ce dont il croit avoir besoin pour être heureux.

Parvenu au climax, Ryan découvre qu’il y a tellement plus dans la vie. L’auteur a le choix à ce moment précis de faire prendre à son personnage principal une voie radicalement différente, le mener enfin vers le véritable bonheur.

Tout ce qu’il offre à Ryan cependant, c’est une amertume. Le message ici est que l’arc dramatique souhaitable pour Ryan l’emmène en fait vers une angoisse profonde.
L’illumination, la reconnaissance par un personnage principal que son état actuel n’est pas une bonne chose n’a pas à être nécessairement positif. Cette approche ne nuit nullement à écrire une bonne histoire. Certains diraient même que ce message est honnête car il représente ce qu’il se passe dans notre réalité.

Cette histoire se rapproche par bien des aspects de la tragédie personnelle. L’objectif de Ryan est de démontrer que les nouvelles méthodes de licenciement ne sont pas une bonne idée. Et il réussit. Mais à quel prix ?

Son trajet personnel tout au long de cette histoire ne lui a apporté aucun confort durable.

Nous changeons au fil du temps qui passe mais…

Le dénouement de In the Air est un triste dénouement. Ryan est seul et de toutes façons, sa tentative pour devenir meilleur arrive trop tard.
Cette dichotomie entre son image sociale très positive et le rejet et la solitude de sa vie privée est dans la nature de Ryan. C’est quelque chose qu’il ne peut changer.

Il est seul mais ne devrait pas être seul. Lorsqu’il réalise qu’il ne veut pas être seul (le choix lui est proposé vers la fin du récit), c’est trop tard.

La théorie narrative Dramatica lorsqu’elle propose que parmi les caractéristiques qui définissent un personnage (en pensant d’abord au personnage principal) figurent ce qu’elle nomme le Main Character Resolve.

Ce Main Character Resolve est un signifiant qui contient deux valeurs : Change et Steadfast.
Change concerne le changement car il est vrai qu’on ne peut s’interdire d’évoluer au fil du temps. Change est cependant un véritable changement de personnalité (ce qui arrive plus souvent en fiction que dans la réalité de notre quotidien).

Et Steadfast explicite que le personnage n’est pas différent en soi à la fin de l’histoire. Il a gardé en quelque sorte une permanence de lui-même mais l’histoire lui a quand même permis (on ne résiste pas au temps) de se renforcer dans ses convictions.

Le changement (Change) peut être une bonne chose si le personnage est sur la mauvaise voie avant même le début de l’histoire. Ou bien une mauvaise chose s’il était sur la bonne voie.
Et bien sûr, rester le même (Steadfast) est préférable si l’on est déjà plutôt positif dans sa vie mais les choses pourraient tourner au vinaigre si le personnage est malavisé ou ne fait pas les bons choix.

Pensez au message que vous voulez transmettre à votre lecteur. Ryan peut être qualifié de Steadfast parce que quelque chose chez lui a changé puisqu’il a pris conscience de son état mais ce changement, cette prise de conscience n’a fait que renforcer (non pas ses convictions, ni ses croyances ici) mais sa nature, ce qu’il est et qu’il ne peut changer.

Restons avec Dramatica et voyons un peu les relations entre les personnages. Posons comme hypothèse comme le veut Dramatica qu”il existe un personnage nommé Influence Character.
Ce personnage (quelle que soit sa fonction car il peut être antagoniste ou bien mentor ou n’importe quelle autre fonction dans l’histoire) aura une influence sur la destinée du personnage principal.

Passions et Émotions

Selon Dramatica, l’état émotionnel du personnage principal s’incarne et se lit dans la relation qu’il entretient avec cet Influence Character.

Il y a deux femmes dans la vie de Ryan. Alex est comme Ryan. Ils se rencontrent dans des suites d’hôtel désespérément semblables. Ils dînent ensemble et font l’amour.
Tous deux prétendent à être ce couple parfait qui jamais n’engage l’un envers l’autre.

Et il y a Natalie. C’est une jeune femme brillante et ambitieuse fraîchement sortie de ses études et qui a trouvé cet emploi dans l’entreprise de Ryan parce que cela lui permettait d’être proche de son petit ami. Et Ryan lui apprend les ficelles du métier. Il est comme un mentor auprès d’elle.

Alex est donc ce que Ryan est maintenant et Natalie est ce qu’était Ryan autrefois.

Nous pourrions penser que Alex est cet Influence Character. Et que sur le plan émotionnel, elle serait l’agent qui inciterait Ryan à changer.
Le problème avec cette intuition est que Alex a le même point de vue sur le monde que Ryan. Un personnage qui pense la même chose que le personnage principal ne peut pas participer au développement de celui-ci.

Ce ne peut être qu’à travers des points de vue différents sur la façon dont devrait tourner le monde que les personnages sont amenés malgré eux à reconsidérer leurs préjugés et leurs croyances.

Si Ryan n’avait pas rencontré Natalie, sa relation avec Alex perdurerait. C’est par Natalie que Ryan est forcé de prendre conscience de la viduité de son existence.
C’est la relation conflictuelle qu’il entretient avec Natalie qui illuminera en quelque sorte chez Ryan toutes ces justifications erronées auxquelles il s’accroche pour donner un sens fallacieux à sa vie.

Les assertions naïves de Natalie sur ce que devrait être la vie sont de puissants catalyseurs pour le développement de Ryan. Ils se disputent sans cesse sur ce sujet puis, en fin de compte, Natalie parvient à briser l’attitude entêtée de Ryan.

C’est donc bien la relation avec Natalie qui force Ryan à cette prise de conscience. Elle est donc l’Influence Character.

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