CONSTRUIRE LA SCÈNE

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C’est étrange mais il semble bien que la scène soit l’élément dramatique le moins compris de l’écriture scénaristique. Si l’on cherche une définition de ce qu’est précisément une scène, on aboutit presque immanquablement à une explication si vague de celle-ci qu’il devient difficile d’en tirer une conclusion pratique.

Pourtant la scène est une brique dramatique d’une fiction. Et elle est organisée. Tout comme l’histoire, elle possède sa propre structure.
D’abord, pour faire simple, on peut distinguer deux types de scènes qui correspondent au binôme action/réaction.
C’est sommaire comme définition mais cela peut faciliter les choses pour orienter notre écriture. D’autant plus qu’il suffira de penser une scène comme un double mouvement articulé selon un rapport causal d’action appelant une réaction.
Une scène, c’est d’abord l’expression d’un conflit (en règle générale car il y a des moments dans une histoire où il ne s’agit ni d’agir, ni de réagir. Nous pourrions d’ailleurs les considérer comme des scènes contemplatives un peu comme cette discussion entre Maya et Miles dans Sideways de Alexander Payne et Jim Taylor, d’après le roman Sideways de Rex Pickett).

Le conflit n’est pas tension dramatique

Poser un conflit, ce n’est pas jouer avec la tension dramatique. Observer le personnage principal qui peine à trouver un taxi pour se rendre à un rendez-vous urgent (le conflit est protéiforme et pointe vers une difficulté) engage moins le lecteur qui craindra pour la vie du personnage (tension dramatique) si celui-ci ignore la bombe qui est à proximité.

Classiquement, la majorité des scènes possède deux composantes qui fonctionnent en une dynamique :
Il y a d’abord l’action. Une scène s’inscrit dans une structure plus large dans laquelle on peut distinguer le nœud dramatique qui orientera l’histoire dans une direction nouvelle ainsi que la description des actes des personnages qui affecteront tout ce qui s’ensuit.

Le second élément d’une scène qui consiste en la réaction d’un personnage à ce qu’il vient de vivre est habituellement plus calme que l’exposition du conflit qui l’a précédé. Mais ce calme apparent de la scène est chargé de tension dramatique. Pourquoi de la tension ?
Parce que c’est dans la réaction que des décisions vont devoir être prises. C’est souvent aussi l’expression d’un dilemme et le choix qui sera fait peut être tragique.

Une scène structurée

Une scène a un début, un milieu et une fin. En d’autres termes, une accroche, un développement et un dénouement (souvent comme un climax, c’est-à-dire qu’elle atteint un point culminant d’intensité avant de retomber).

Il y a donc un mouvement à l’œuvre entre le point de départ de la scène et sa destination. Tout comme pour un personnage, on observe un arc dramatique (la théorie narrative Dramatica apprécie guère l’expression arc dramatique, elle lui substitue plutôt la notion de ligne dramatique).
Quels que soient les mots que l’on couche sur ce mouvement, une scène doit être dynamique.

Pour faciliter la compréhension, considérons les briques dramatiques que nous devrions retrouver dans une scène :

Un objectif

Globalement, ce que veut un personnage dans une scène est ce qui motive sa présence dans cette scène. D’ailleurs, c’est précisément cela aussi qui rend légitime la présence d’un protagoniste : ce qu’il veut dans l’histoire est ce qui entraîne l’histoire, ce qui lui donne l’énergie nécessaire pour aller d’un point A au point B. Et la scène fonctionne de la même façon.

L’objectif en soi n’est pas l’élément dramatique le plus crucial. Ce n’est pas par lui que l’auteur pourra communiquer avec son lecteur. Ce n’est pas un personnage doté d’un objectif qui concrétisera l’engagement personnel de l’auteur dans ce qu’il affirme par son récit.

Ce qu’il se passe dans chaque scène au niveau de l’objectif est censé rapprocher le héros de son but. Cela suffit à expliquer pourquoi celui-ci devrait être présent dans la majorité des scènes. Même quand il n’est pas présent, son absence doit peser.
C’est le cas dans Çà de Stephen King : le monstre est le protagoniste. Pennywise ou Grippe-sou le Clown est effectivement le personnage qui a un but dans l’histoire. C’est un but qui sera contrarié par le Club des Ratés (ou Losers) mais Stephen King n’a jamais véritablement conclu que son monstre avait été définitivement éradiqué.

Une scène possède sa finalité. Lorsque vous réduisez l’objectif global à celui de la scène, vous reflétez les raisons qui font agir le personnage. Prenons simplement un personnage qui doit creuser un trou. C’est son objectif global. C’est sa volonté.
Maintenant, il lui faut agir pour concrétiser ce besoin. La scène est descriptive des actions à mener comme par exemple la nécessité de se procurer une pelle. Premier obstacle, premier conflit. Et la scène peut être justifiée parce qu’elle a une finalité qui va s’ajouter à la compréhension de l’ensemble.

Concrètement, il faut que le lecteur comprenne rapidement pourquoi le personnage central d’une scène particulière est dans cette scène. Qu’est-ce qui justifie sa présence ? Qu’est-ce qui la rapporte à l’ensemble ? Quels sont les enjeux de cette scène ?

Qu’est-ce que le personnage principal doit accomplir dans cette scène ? Et ne vous contentez pas de dire qu’il doit se procurer une pelle par exemple. Transcendez le besoin. Demandez-vous pourquoi doit-il se procurer une pelle ? Certes, il a un trou à creuser. Mais pourquoi veut-il se servir d’une pelle ?
Un auteur peut même trouver des objets plus symboliques tant qu’il peut en dériver de la signification.

Et puis, il faut envisager aussi si un échec dans cette scène singulière ne serait pas plus utile que d’emporter le point de dissension qui l’oppose à un ou plusieurs autres personnages ou bien aux circonstances spécifiques décrites dans la scène.

Du conflit

Une fois établi un but, il faut mettre en place un obstacle qui va contrecarrer l’intention du personnage dans cette scène. Par exemple, notre héros sait qu’il peut trouver une pelle sous le hangar. Une fois rendu sur place, point de pelle.
Comme on dit, pas de conflit, pas d’histoire, pas de scène. Le conflit foisonne partout. Et puis tant que l’objectif est hors d’atteinte, l’histoire a encore des choses à dire. Il faut du temps à l’auteur pour communiquer son message.

Le conflit se manifeste dans le milieu de la scène. Il en est le développement. Il donne à la scène sa chair. Votre héros veut obtenir quelque chose d’un autre personnage que ce soit matériel ou bien son assentiment et l’autre le lui refuse.
C’est par cette négation que la scène se développera. C’est de ce mouvement qui est dialectique par nature que la scène peut avancer et donc simultanément l’histoire.

Cela suppose donc qu’une querelle par exemple ne peut être légitime que si elle entrave le personnage dans son avancée vers son objectif. Si le but du personnage n’est pas menacé par le conflit, cela indique que l’auteur est dans l’erreur. Il lui faut inventer une autre scène plus apte à intenter à l’intention du personnage (principal dans la plupart des cas).

Des conséquences

Dans une fiction, il y a un nécessaire mécanisme causal. Un événement en entraîne un autre logiquement. Il en est de même pour les scènes. Une scène en appelle une autre.

Pour rendre cela possible, la plupart du temps, le résultat d’une scène ne sera pas bénéfique pour le personnage principal. Son besoin spécifique ne sera pas comblé. Ainsi, vous vous ouvrez un horizon pour continuer l’histoire.
En effet, il semble naturel qu’un être insatisfait ne peut se complaire dans un mal-être (à moins que cela appartienne à sa personnalité et que son arc dramatique consistera à lui faire changer d’état d’esprit).

Nuançons cependant cette définition. Une scène n’a pas à se résoudre systématiquement de manière tragique pour que l’histoire puisse s’écouler librement. Selon les exigences de celle-ci, le personnage principal peut obtenir ce qu’il veut dans plusieurs scènes consécutives. Par exemple, cette accumulation de réussites pourrait alors n’être d’aucune utilité lors d’un conflit important qui laisserait alors le héros pantois et dans une grave crise.


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