Écrire une scène, c’est d’abord la situer. Et ce n’est jamais sans un dessein précis que de choisir le lieu, car il donne du sens à une scène. Composant dynamique de celle-ci, l’espace ne s’offre jamais dans sa totalité. De ce qui nous est donné à voir, nous construisons un ensemble selon un point de vue et un contexte (un moment de la journée par exemple, un moment dans le passé…).
Le lieu participe à une scène parce que, précisément, il nous apparaît fragmenté. Les personnages présents dans une scène ne se dévoileront pas totalement ; ils n’offrent d’eux-mêmes ce qu’ils ne dissimulent pas : l’espace devient protecteur, le gardien de secrets. Un grenier par exemple recèle des souvenirs ; y situer une scène, c’est apporter au lecteur/spectateur un moment introspectif et nostalgique chez le personnage, ce qui serait difficile sans l’aide de ce lieu sciemment choisi par l’autrice et l’auteur.
L’espace est donc l’instrument de l’opportunité des scènes. Il ouvre ou contraint les opportunités d’action des personnages, il affecte leurs émotions et l’enjeu dramatique de la scène. Ce qu’il se passe dans un café bondé ou dans une salle de réunion produit une scène avec une intention très différente. Un lieu peut être aussi marqué par son passé.
La dynamique des relations
Dans un espace étroit, la proximité entre les personnages est évidente ; un espace vaste et ouvert est le signe d’une liberté, d’une solitude ou encore d’une fragilité : l’intention de la scène est intimement liée au lieu dans lequel elle se déroule. Les interactions entre les personnages ne dépendent évidemment pas seulement de là où ils se trouvent, mais cet endroit peut être propice ou conditionner les actions et réactions des personnages entre eux. Dans Caché (2005) de Michael Haneke, la maison de plus en plus oppressante de Anne et de Georges participe activement des scènes. Anne et Georges s’y sentent observés et menacés. Tout cet espace renforce le sentiment de claustrophobie et par là, la fragilité de ces deux êtres dans un lieu qui devrait pourtant les rassurer.
Ce n’est pas tout. Le lieu est un point de rencontre et parfois de rupture entre la conscience et le monde extérieur. Un personnage investit le lieu de ses expériences passées, de ses peurs, de ses espoirs, de ses obsessions. Le lieu devient un objet dramatique : l’étonnant The Invitation (2015) de Karyn Kusama fait de l’espace de la maison une perception différente pour chacun des invités. Pour Will, c’est son ancienne demeure avant son divorce. Chaque pièce y est chargée de souvenirs douloureux ; chaque recoin de cet espace est l’occasion d’une confrontation avec son passé.
Un lieu sera aussi un objet de résistance à la volonté des personnages. Une conscience, c’est-à-dire un personnage, cherche toujours à négocier avec le monde extérieur. C’est ainsi que se crée une relation entre l’espace et le personnage : l’espace représente une intériorité ou bien un obstacle. Dans le non moins étonnant Barton Fink (1991) des Frères Coen, le Earle Hotel est l’obstacle principal au désir de création de Barton et semble, en fait, conspirer contre lui.
Et la femme sur la plage n’est que la projection d’un idéal qui révèle en fait les incertitudes et les doutes de Barton toujours piégé dans ses illusions sur sa capacité à créer.
Essayez de ne pas séparer le sujet (à savoir le ou les personnages) de l’objet, l’espace dans lequel ils évoluent au cours d’une scène. La scène que nous écrivons est une représentation mentale parce que nous nous adressons à un lecteur/spectateur pour qu’il s’en saisisse. Or, pour les personnages présents dans une scène, celle-ci est une expérience vécue.
Le rapport entre l’espace et le personnage est celui d’une expérience vécue par le personnage, donc sa conscience et partant, le sujet, c’est-à-dire le personnage, ce qu’il perçoit, c’est-à-dire l’espace, ne sont qu’un. Je m’inspire de la Nouvelle Vague : Le Paris des années 1960 (A bout de souffle (1960) de Jean-Luc Godard) empli de chaos et d’autant d’opportunités prolonge ce qu’il se passe en Michel. Michel se fonde dans cet environnement urbain dans lequel chaque coin de rue est une nouvelle possibilité ou une menace. Dans Cleo de 5 à 7 (1962) de Agnès Varda, la ville est aussi le théâtre de l’intériorité de l’héroïne. Les lieux reflètent l’insouciance, l’angoisse, l’acceptation et finalement la sérénité dans une espèce de libération en contraste avec l’enfermement de l’appartement de Cléo. François Truffaut dans Les Quatre Cents coups (1962) nous présente ce qui semble être un parcours initiatique pour le jeune Antoine Doinel qui s’échappe de l’étroitesse de l’appartement à travers les rues de Paris, mais chaque lieu qu’il traverse ne lui offre qu’un sentiment aliénant et lorsqu’il court vers la mer, espace totalement ouvert, devons-nous vraiment interpréter cet espace comme celui d’une liberté trouvée ou plutôt, le soulignement d’une profonde solitude ?