ÉCRIRE L’HORREUR – LES ANALYSES

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La Charrette Fantôme (1921) de Victor Sjöström

Il n’est jamais trop tard pour changer et se racheter. Voilà ce que nous dit ce récit. Ici, nous avons un héros qui prend la mesure de ses actions passées et de leurs conséquences.

La temporalité

La Charrette FantômeVictor Sjöström innove en mêlant analepses et visions dans son récit. Par ce moyen, il démontre la complexité de la vie de David dans laquelle son passé, son présent et son futur sont étroitement entremêlés. Sjöström pose en effet que nos actions actuelles sont déterminées par notre vécu. Ainsi s’explique ce qu’est devenu David tel que nous en faisons la connaissance. Et progressivement la chute morale qui l’a mené à une telle situation.

Les visions ne sont pas des prophéties mais des avertissements impliquant notre responsabilité personnelle dans notre devenir. Si David ne change pas, il en subira les conséquences, et partant, la nécessité de sa rédemption.
Le souhait de la salutiste n’est pas une fioriture dramatique. Autrefois, David était sur le droit chemin. Mais il fut perverti.

L’inspiration de la figure mythologique de Charon est évidente. David et Charon sont tous deux des passeurs d’âmes. Tous deux impliquent une continuité de l’âme quels que soient les mondes qu’elle habite. Ce qui est intéressant avec La Charrette fantôme est que sa fonction n’est pas de faire traverser les âmes mais d’offrir une seconde chance à celui qui la manie.

En jouant avec la temporalité, Victor Sjöström sonde la psyché de son héros expliquant son évolution et sa prise de conscience.

Le purgatoire

La charrette en question n’est pas nommément le purgatoire mais elle y ressemble. Elle est un état intermédiaire entre l’âme et son jugement. Pour le cocher d’une année, elle est un moment de retour sur soi. Il lui est offert de se purifier par une prise de conscience lors d’une pénitence d’une année. Saura t-il saisir cette chance ?

Possédons-vous vraiment un libre-arbitre ? C’est la question au cœur de ce récit. Après tout, la charrette fantôme est un symbole fort que la mort est notre destinée. Nous sommes déterminés à mourir. Et dans ce folklore scandinave, le dernier mort de l’année devient le cocher, qu’il le veuille ou non. Et ce rite est immuable : une nouvelle année, un nouveau cocher. Une puissance supérieure semble bien nous imposer tout ceci. Or la charrette est bon enfant : par ses visions, elle nous montre les conséquences qu’il pourrait arriver si nous ne changeons pas de comportement. David n’est pas MacBeth. Ce n’est pas qu’il met en doute les visions, il les considère plutôt comme un enseignement. Je me demande d’ailleurs jusqu’à quel point cette charrette n’aurait pas inspiré le personnage de l’ange dans La vie est belle de Capra.

Donc si nous prenons la mesure de cet enseignement, nous pouvons alors changer le cours des événements.

L’agonie

L’agonie de la salutiste est effectivement foncièrement liée à la responsabilité de David. Son comportement irresponsable et son mépris d’autrui sont la cause directe de la maladie de Edit la salutiste. David incarne le mal à ce moment de son histoire personnelle et Edit en est la victime. Par la souffrance de Edit, nous comprenons que le bien se trouve encore en David comme une faible lueur dans l’obscurité.

Quelques conseils

La temporalité articulée autour des analepses et des prolepses est très souvent utilisée dans l’horreur pour révéler par exemple les histoires personnelles des personnages. C’est par le passé que s’expliquent les terribles événements du moment. C’est ainsi que notre esprit fonctionne. Admettons qu’en ce gouffre se cachent nos souvenirs, nos désirs que nous ne saurions énoncer publiquement, nos peurs même celles que nous ignorons tout comme nos motivations que nous avons parfois tant de difficultés à exprimer (tout comme nos émotions d’ailleurs).

Quand un récit entremêle les actions passées, l’action présente et qu’il se projette dans le futur qui pourrait advenir (ce n’est pas une prophétie), il imite le fonctionnement de notre esprit. C’est un mimétisme qu’en chacun de nous, le passé et l’anticipation influencent notre présent. C’est ainsi qu’une expérience traumatisante telle que le rejet brutal d’un amour de jeunesse agit sur un comportement excessif de prudence qui oblitère tout nouvel amour par l’anticipation d’un échec qui n’est pourtant que probable et non assuré.

Dans l’horreur, lorsqu’un personnage est dominé par ses peurs, ce sont les analepses qui nous l’expliquera. Celles-ci cependant ne se confinent pas seulement aux personnages. Dans Blue Velvet (1986) de David Lynch, les images idylliques du prologue se prolongent dans un monde grouillant d’insectes ce qui nous démontre sous le regard de Lynch que sous la surface apparente des choses se terrent des secrets bien plus sombres.

Jeffrey nous entraîne à sa suite dans la vérité des lieux à travers le personnage de Dorothy Vallens. D’abord, Lynch nous offre une perspective naïve et innocente de Lumberton jusqu’au moment de l’incident déclencheur, c’est-à-dire la découverte de l’oreille pourrissante. La rencontre avec Dorothy est le second mouvement de cet événement. A travers elle, nous découvrons la violence, la perversion et la corruption des lieux (un état figuré par l’oreille coupée).

Or faire de Dorothy une simple victime n’est pas suffisant : trop simpliste, trop manichéen. Lynch développe une dualité en elle à travers sa relation avec Jeffrey ; c’est une victime, certes, mais elle est aussi dangereuse. Tout dans Blue Velvet possède deux aspects.

Une situation

enjeu émotionnelL’horreur, c’est une situation. On y prend des décisions mais celles-ci seront déterminées par le vécu. Considérons Paul Sheldon de Misery (1990) de Rob Reiner. Comme Paul est un auteur à succès, il décide de jouer le jeu de Annie et de lui écrire le roman qu’elle exige. C’est une réponse logique à sa séquestration et un moyen de gagner du temps afin d’élaborer une stratégie pour s’échapper.

Confiant en son passé d’auteur, il manipule et apaise Annie. Sa relation avec elle est toute fondée sur son expérience de l’écriture. Mais ne serait-ce pas une arme à double tranchant ?
Nos habitudes acquises au fil du temps nous aveuglent et les décisions que nous prenons, surtout en situation de crise, ne sont pas toujours les plus adéquats à la situation présente. Parce qu’elles sont une réponse automatique, nos habitudes oblitèrent la réflexion qui devrait accompagner une décision. Parce qu’autrefois, Paul avait l’habitude de cacher ses cigarettes de sa femme, il réplique cette attitude face à Annie comme cette boite d’allumettes qu’il dissimule.

Le symbolisme dans l’horreur

Représenter nos peurs n’est point chose facile. Le symbolisme peut y aider. Un loup-garou par exemple est-il autre chose qu’une géniale illustration de nos instincts primitifs ? Il n’y a pas que les entités qui se revêtent d’un symbole : les objets aussi. Une poupée représentera la perte de l’innocence ou l’enfance corrompue ; une maison abandonnée matérialisera à sa manière le traumatisme enfoui d’une enfance blessée.

Take ShelterL’horreur sera plus efficace si elle ne provient pas de l’extérieur, si elle relève des peurs et des regrets des personnages. Quand elle est personnelle, l’horreur parle davantage au lecteur/spectateur qui se reconnaît en elle plutôt que de tenter d’apercevoir dans une menace extérieure ce que celle-ci peut avoir de commun avec lui. Take Shelter (2011) de Jeff Nichols nous montre que la menace d’une catastrophe imminente est le fruit de l’esprit de Curtis. Et l’horreur ressentie est bien celle de son incertitude qui se communique jusqu’à nous. Le spectaculaire est un plaisir pour le regard mais le sentiment nous atteint plus durablement.

L’expérience de Curtis avec sa mère, atteinte de schizophrénie, le terrifie davantage que ses propres hallucinations. Une image qui naît de nulle part nous étonne parfois mais elle nous terrifie si nous la relions à une expérience personnelle.

Comment se traduit sa paranoïa ? En affectant ses relations. Une relation évolue dans le cours de l’intrigue. Elle possède son propre arc dramatique que vous devez penser si vous souhaitez nous retenir dans votre récit.

L’inspiration

Pour parfaire votre inspiration, fouillez dans la mythologie ou le folklore ou bien encore dans les traditions locales. La Nuée (2020) de Just Philippot s’inspire d’une des plaies mentionnées dans l’exode et donne ainsi une vision apocalyptique de son récit. L’invasion des insectes dans les cultures est tirée de la réalité. Il est même fait appel au mythe de Gaïa, la terre-mère, qui se venge des abus que les hommes lui font subir.

Le goût du sang n’est pas non plus une invention de Jérôme Genevray et Franck Victor, les scénaristes. Des créatures assoiffées de sang jouent avec l’imagination depuis fort longtemps, mais ici, ce goût pour le sang est le début de l’arc dramatique de Virginie vers l’obsession et la folie. La corruption de son âme est parallèle aux moyens qu’elle utilise pour nourrir ses insectes. Et cela lui cause un dilemme. Si vous ne parvenez pas à établir la nécessité de choisir chez un personnage même entre deux maux, il souffrira d’un manque ontologique, si on veut.

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